Jeremy Corbyn vient de remporter une victoire décisive en se voyant confirmé à son poste de leader du parti travailliste malgré une très rude bataille menée contre lui par l’establishment de la droite du Labour.  313 209 participants ont voté pour lui, soit 61,8 % des suffrages, contre 59,5 % l’an dernier. Son adversaire Owen Smith candidat du syndicat « Unité », proche de la droite du parti, a obtenu 193229 voix, soit 38,2% des suffrages. Le taux de participation a été de 77,6 %, avec 506 438 membres et sympathisants qui ont voté pour un choix historique.

L’aile droite parlementaire du parti n’avait pas accepté sa première victoire. Elle avait mené une campagne fractionnelle les mois précédents, aboutissant à ce que 80 % de ses élus au parlement finissent par voter une motion de défiance à son encontre. Ils ont remué ciel et terre pour se débarrasser de lui. L’aile droite du parti n’acceptera jamais Corbyn. Mais avec la victoire de ce dernier qui vient après le Brexit, il se pourrait-il qu’une nouvelle période politico-sociale s’ouvre en Grande Bretagne, un exemple pour les gauches européennes, après Syriza ? Le débat est ouvert. U.C

Nous reproduisons ici, une interview de Charlie Kimber, Secrétaire national du Socialist Worker Party, (trotskiste), par la « Socialist Review », réalisée en septembre, peu avant la réélection de Jery Corbyn.

Dans la course à l’organisation du référendum sur l’UE en juin 2016 nous avions argumenté que le vote « leave » (partir) créerait une crise pour notre classe dirigeante, particulièrement pour le parti Tory ; comme pour le projet européen lui-même ; et que, par conséquent ce vote pouvait nous donner l’occasion de renforcer la lutte contre l’austérité. Pensez-vous que nous ayons vu juste ?


Le résultat de ce référendum a suscité un tremblement de terre politique et ses répliques se répercuteront encore pendant longtemps. Ce vote a représenté la révolte de gens ordinaires contre les élites. Il présente des aspects contradictoires ; certains ont voté contre l’UE pour des motifs racistes, mais ce n’est pas là l’aspect essentiel et déterminant de ce vote. Il a aussi affaibli le projet de l’UE.

L’un des premiers tests concernant l’UE après le vote était de voir si elle allait imposer des amendes contre les gouvernements espagnol et portugais qui avaient dépassé leurs objectifs de dépenses. Elle a fini par ne pas le faire. Les Portugais de gauche avaient clairement indiqué qu’ils lanceraient un référendum si les amendes étaient infligées.

L’UE est toujours déterminée à appliquer l’austérité, mais elle a fait marche arrière suite au vote « leave ». Plus il y aura d’autres exemples ou de forces réfractaires en Europe qui diront, « ne pensez plus qu’il n’y a pas d’opposition à la politique de l’UE ; Regardez ce qui s’est passé en Grande-Bretagne » plus ce sera positif. C’est pourquoi de grandes sections de la gauche européenne se sont félicitées du vote en Grande-Bretagne.

En Grande-Bretagne, nous devons affronter la réalité, certes il y a eu une augmentation des attaques racistes immédiatement après le vote, et quoi que les gens aient voté le 23 juin, c’est toujours absolument central de contester et de lutter contre le racisme. Cependant, le racisme n’a pas commencé le 24 juin. Il a une longue histoire en Grande-Bretagne, et pas seulement celle de la droite Tory et de l’UKIP mais de tous les principaux partis politiques, qui utilisent l’immigration et le racisme pour étayer leurs positions politiques. Il est effectivement remarquable que beaucoup de gens rejettent ces arguments.

L’UKIP, loin d’être prospère est en grande difficulté au lendemain du référendum. Nigel Farage, son chef de file a démissionné et une cohorte hétéroclite de candidats s’est présentée pour le remplacer. Dans chaque élection depuis le référendum, les voix de l’UKIP demeuraient stables et avaient même tendance à baisser.

Certaines personnes ont dit que David Cameron devrait s’accrocher malgré tout, mais, comme nous l’avions prédit, il a démissionné. Alors elles ont déclaré que Boris Johnson serait le prochain chef du gouvernement. Eh bien, non. Il a été poignardé dans le dos par Michael Gove, et puis Gove a été contraint de renoncer. Theresa May s’est alors imposée sans pitié ; elle devrait bénéficier d’une période de « honeymoon ».

Toutefois, les conservateurs doivent résoudre deux grandes questions.

L’une est leur volonté de continuer à imposer l’austérité. Le nouveau chancelier Philip Hammond doit présenter sa déclaration en automne. Et malgré les discours de May qui dit vouloir s’occuper de la classe ouvrière, elle contiendra probablement la continuation de l’austérité.

La deuxième question concerne l’Union européenne elle-même. Les Tories sont divisés entre deux courants. L’un est soumis à la pression des grandes entreprises et des banques qui veulent conserver autant que possible leur accès au marché unique. L’autre à celle de l’UKIP qui veut réduire l’immigration. 

Les grandes entreprises sont prêtes à faire des concessions sur la « liberté de mouvement », mais exigeront de l’UE d’avoir accès au marché unique.

Il est très important que la gauche en Grande-Bretagne précise sa position sur le Brexit et ce qu’elle veut exiger : plus de liberté de mouvement, plus de droits pour les migrants, tous les droits pour les ressortissants de l’UE et ainsi de suite, pour entrer dans ce débat.

Je pense que l’imperturbabilité des Tories et de May va bientôt être confrontée à des décisions difficiles. Elle sera peut-être tentée d’aller vers une élection générale rapide, mais il y a un risque. Pour l’immédiat c’est sans danger, mais à long terme la classe dirigeante sera de nouveau confrontée aux mêmes problèmes s’il n’y a aucun signe d’une amélioration fondamentale de la situation économique que sous-tend ces difficultés. L’économie européenne n’a pas rebondi ; l’économie britannique est essentiellement stagnante, non pas à cause du vote du « leave » mais parce que depuis un certain temps, elle est affectée par des problèmes de faible productivité et de manque d’investissements qui vont continuer.

Vous avez mentionné que la gauche doit poser ses propres exigences dans le cadre du Brexit. Le SWP (Socialist Worker Party) et la gauche ont fait une campagne pour le « leave » relativement faible en termes d’impact ce qui a été critiqué. Pensez-vous que ces divisions autour du référendum ne remettent pas en cause la capacité de la gauche à répondre aux problèmes ?

Aussi longtemps que la classe ouvrière sera divisée entre ceux qui veulent revenir sur le vote et ceux qui veulent le respecter et le mettre en œuvre, ce sera difficile. Vous pouvez le vérifier y compris dans la direction du parti travailliste. Owen Smith est pour un second référendum et une élection générale qui redéfinissent si oui ou non la Grande-Bretagne doit quitter l’UE. Alors que Jeremy Corbyn a dit très justement que le résultat doit être respecté et mis en œuvre.

Notre avis est que la gauche dans son ensemble a un réel intérêt à dire : « nous comprenons le vote démocratique, nous allons le respecter, et nous devons maintenant définir les enjeux sur ce qui doit nous unir ». La campagne de gauche du « leave », à laquelle s’ajoutaient celle de la gauche écossaise, et du Tusc (ndr, Trade Union and Socialist Union, coalition électorale entre certains Travaillistes et d’autres groupes de gauche) était importante, non pas parce qu’elle a recueilli des millions de voix, mais comme la preuve qu’il était possible de lutter contre l’UE sur une base de lutte antiraciste, anticapitaliste et internationaliste.

La gauche doit mettre cela en avant, mais en vérité, nous ne voulons pas que le mouvement de la classe ouvrière britannique se divise sur cette question. Nous avons toujours dit que nous avons beaucoup plus en commun avec quelqu'un qui a soutenu Jeremy Corbyn (ndr, pour le maintien dans l’UE), et voté « leave », qu’avec quelqu'un qui a voté « leave » mais soutient les Tories pour le pire.

Il faut traduire tout cela en revendications concrètes afin que tout le monde à gauche accepte que les ressortissants de l’UE en Grande-Bretagne aient tous leurs droits garantis. C’est une campagne « Contre le racisme » (Stand Up to Racism, SUTR) que toute la gauche doit prendre en charge. Nous voulons que la liberté de mouvement soit garantie ; en effet, nous voulons des frontières ouvertes. L’ensemble de ceux qui faisaient la campagne du « leave » à gauche ne sont pas tous d’accord avec cela, mais c’est un argument que nous voulons défendre.

C’est dans l’intérêt de l’ensemble de la gauche que nous soulevions des questions sur les droits à garantir par les syndicats dans le cadre de la négociation du départ de l’UE, mais nous devons aller plus loin et demander la suppression du Trade Union Act (loi sur les syndicats).

Nous n’avons pas à être sur la défensive par rapport au vote de sortie de l’UE : les évènements nous ont confirmé que nous avons eu raison. Dans le même temps, il faut regrouper la gauche la plus large, et Corbyn pourrait jouer un rôle crucial, en disant quelles Charte et revendications que nous voulons imposer lors des négociations avec l’UE.

Cet été, en raison de l’offensive de la droite qui a secoué la direction du parti travailliste, il y a eu des rassemblements massifs pour Jeremy Corbyn dans tout le pays. Pensez-vous que les choses ont changé pour Corbyn, au cours des 12 derniers mois ?

C’est la question centrale de la politique britannique à l’heure actuelle. Et c’est incroyablement excitant de voir l’enthousiasme de ceux qui fréquentent les grands rassemblements de Corbyn. Des milliers de personnes viennent manifester un sentiment politique latent qui existait pendant si longtemps dans la société britannique sans trouver à s’exprimer.

Il y a 12 mois c’était différent, en partie parce que Corbyn est devenu maintenant le leader. Il y a un an, c’était inattendu qu’il reçoive tout à coup ce soutien immense. Il affrontait trois candidats essentiellement de l’aile droite : Yvette Cooper, Andy Burnham et Liz Kendall. Corbyn a réalisé qu’il était contesté par quelqu'un qui disait « je ne suis pas en désaccord sur le plan politique avec Jeremy, mais je ne pense pas qu’il soit susceptible d’être élu. » Owen Smith a maintenu ses positions politiques, mais ne pouvant prétendre représenter celles de Kendall ou de Cooper et de Burnham, il n’avait aucune chance de gagner.

La première année de Corbyn a été très intéressante car il a essayé de composer avec la droite de bien des façons. Une de ses premières décisions, par exemple, a été de faire campagne pour « rester » dans l’UE, je pense que c’était une mauvaise décision qui l’a affaibli. Ensuite, Corbyn et McDonnell n’ont pas soutenu à 100% la grève des médecins en formation. Ils ont été sanctionnés par le « cabinet fantôme ». Plus tard, en avril, Corby et McDonnell ont conduit une manifestation de médecins et d’enseignants. C’était très important.

On peut voir aussi une opposition intransigeante de 172 élus essentiellement travaillistes, qui n’ont pas voté la confiance à Corbyn, y compris le maire de Londres, Sadiq Khan, le chef du parti en Ecosse, Kezia Dugdale, et certains dirigeants syndicaux. La tradition historique du parti travailliste veut que les forces dirigeantes, le leader, les parlementaires et les dirigeants syndicaux, contrôlent et tentent de discipliner les contestataires. Maintenant, nous avons un leader en phase avec les radicaux, un nombre d’adhésions qui progresse et des leaders syndicaux et des députés radicaux qui soutiennent Corbyn, tout au moins pour l’instant.

Le bailleur de fonds le plus important de Corbyn c’est probablement McCluskey de Unite (ndr, le plus grand syndicat des travaillistes). McCluskey était certain que le parti travailliste ne s’opposerait pas au projet « Trident » (programme nucléaire) en raison de l’argument erroné que les emplois des syndiqués de Unite seraient protégés en contrepartie. C’est pourquoi il couvre les frais généraux.

Néanmoins, quelque chose de nouveau est arrivé au sein de la politique du parti travailliste. Espérons que Jeremy l’emporte (lors de la conférence annuelle) le 24 septembre.

S’il est élu, que se passera-t-il ensuite ? Il est impossible de le prévoir. La droite du Labour n’est pas seulement Blairiste comme nous l’avons dit. En effet certains Blairistes ne sont pas très heureux d’Owen Smith parce qu’il a laissé filer le parti vers la gauche. Mais il y a un groupe beaucoup plus important au centre du parti travailliste qui se prononce contre Corbyn. Il m’est difficile d’imaginer comment ils pourraient faire marche arrière ensemble.

Corbyn, va-t-il chercher un compromis avec la droite ou va-t-il mener la démocratisation du parti travailliste et en faire sortir ceux qui s’engagent dans un projet tout à fait différent du sien ? Notre avis est qu’il doit poursuivre la radicalisation du mouvement à l’intérieur du parti et pousser la droite dehors. Mais il doit également encourager la mobilisation dans les rues et sur les lieux de travail.

Certaines personnes qui soutiennent Corbyn ont dit que le parti travailliste devient un mouvement social. Est-ce la réalité du projet Corbyn, en supposant qu’il gagne ?

Il n’y a aucun doute que le phénomène Corbyn présente certains aspects d’un mouvement social. Vous ne pouvez pas aller à ces rassemblements et penser qu’ils sont dans la norme du parti travailliste. Il y a des aspects d’un mouvement social dans le sens où nous sommes des dizaines de milliers, des centaines de milliers de personnes qui ont décidé de soutenir Corbyn pour de la politique qu’il représente. Ce n’est pas vraiment un engagement envers le parti travailliste comme tel, mais c’est en fait très positif.

Il y a des limites toutefois à ce que le « Corbynisme » soit un mouvement social, ou le mouvement social dont nous avons besoin. Il est limité par les structures et l’électoralisme du parti travailliste. Ce serait une erreur profonde, par exemple, de cesser l’agitation autour de la question des armes nucléaires et du Trident pour permettre à Corbyn de faire des concessions à la droite du parti travailliste.

Un véritable mouvement social doit être ouvert à toutes les forces politiques de la gauche, pensez aux grands succès du mouvement social contre la guerre de la Coalition, qui se sont associés à la gauche et à ses leaders ; le peuple aime Jeremy Corbyn mais ce n’était pas le projet du parti travailliste et c’est pourquoi il a été si puissant.

Le vote va monopoliser l’attention pour quelques semaines, mais après un certain temps, les questions reviendront : que va faire le parti travailliste pour contrer les attaques contre le NHS (le système hospitalier britannique) ? Au sujet de racisme ? Contre les experts, dont malheureusement beaucoup sont issus du Labor, qui mettent en œuvre des attaques sur les Services sociaux ?

Il y a vraiment beaucoup de gens dans le parti travailliste qui veulent travailler sur ces questions avec d’autres qui sont à l’extérieur, et cela est extrêmement sain.

Le phénomène Corbyn est le dernier avatar d’une politisation plus générale dont nous avons parlé, que ce soit un sentiment anticapitaliste au tournant du Millénaire ou le mouvement anti-guerre. Pensez-vous que cette radicalisation puisse prendre des formes organisationnelles et comment pourrait-elle se développer ?

C’est une question très importante, car si la radicalisation n’existe que dans un cadre parlementaire et électoral, elle ne va pas nourrir le genre de mouvement dont nous avons besoin. Comme cela a été le cas dans la société britannique au cours d’une longue période de mouvements successifs qui se sont renforcés jusqu’au mouvement pour l’arrêt de la guerre, bien plus massif que le mouvement anticapitaliste. L’atmosphère politique a été parfois très hostile envers les directions des partis politiques, non seulement en Grande-Bretagne mais à l’échelle internationale. Cette hostilité n’est pas disparue, mais elle s’est réduite ces dernières années. L’idée qu’il faut s’organiser ensemble pour être efficace est beaucoup plus largement acceptée.

L’amertume des populations envers leur parlementaires est visible. Il suffit de regarder l’histoire de Syriza, la vitesse à laquelle cette organisation est passée d’un grand espoir du peuple contre l’austérité et le racisme en Europe, à la mise en œuvre d’un ensemble de politiques d’austérité plus sévères que celles de son prédécesseur conservateur et comment elle accueille les réfugiés expulsés brutalement par le régime turc dans des camps d’internement.

Regardez la France et le gouvernement de François Hollande, élu en 2012 : une brève période de réformes pour ensuite appliquer l’austérité, une politique anti-migrants et des mesures islamophobes ouvrant l’espace pour la croissance du Front National.

Il existe un réel danger pour ceux d'entre nous qui sommes révolutionnaires de se pencher sur cette situation et dire : « Eh bien j’ai déjà vu jouer ce film-là auparavant ; je sais comment il se termine. ».  Il faut assurer au contraire que nous n’irons pas dans cette même voie. La tâche du révolutionnaire est certes de critiquer l’expérience historique en Grande-Bretagne de ces gouvernements travaillistes qui se disent socialistes, mais aussi d’ouvrir une voie qui mobilisent systématiquement les masses sur les lieux de travail et dans les rues. Nous pourrons dire alors, comme Léon Trotsky « Nous partagerons vos luttes, mais pas vos illusions ».

Nous devons combattre à tous les stades et appuyer la radicalisation de la classe ouvrière. Que va-t-il arriver à ces millions de personnes de la classe ouvrière qui ont voté « leave » et qui balancent entre des idées contradictoires ?

La droite cherche à les attirer, la gauche doit les gagner. Elle ne peut le faire que si elle tend la main aux communautés de la classe ouvrière avec un programme qui exprime un changement radical dessinant un avenir pour eux et leurs enfants, tout en insistant également sur la nécessité de l’unité y compris contre le racisme et l’islamophobie.

Corbyn est essentiel pour cette lutte er faire obstacle à la droite. Si Corbyn continue de radicaliser et toucher les gens il peut finir par bloquer le processus d’évolution vers la droite, parce que les gens vont voir en lui une force qui peut les en délivrer.

Une des réalités à laquelle nous avons dû faire face depuis de nombreuses années c’est le niveau historiquement bas des grèves et le niveau relativement faible de l’organisation sur le terrain et dans les milieux de travail sur ces 40 dernières années en Grande-Bretagne.

Il y a quelques semaines, les chiffres pour 2015 sont sortis et ils annoncent que le nombre de jours ouvrables « perdus » lors des grèves en 2015 a été le deuxième le plus bas depuis le début des statistiques en 1891, et le nombre de travailleurs ayant participé à des grèves en 2015 a été le plus bas pour la même période.

Nous avons d’un côté cette extraordinaire radicalisation autour de Corbyn, et de l’autre des statistiques qui enregistrent la plus basse participation aux grèves depuis 1891. C’est la contradiction incroyable à laquelle nous sommes confrontés.

Les grèves qui se produisent sont très importantes et généralement bien accueillies. Le problème, c’est qu’elles ne sont pas assez nombreuses et ne permettent pas le renforcement de l’organisation collective sur les lieux de travail. Est-ce parce que les travailleurs en Grande-Bretagne sont tellement heureux, qu’ils n’ont pas à se battre ? Non. Le TUC (fédération de syndicats) a publié récemment des chiffres qui montrent qu’entre 2007 et 2015 le salaire horaire moyen réel avait chuté de plus de 10 %. Le seul pays de l’OCDE ayant enregistré une baisse comparable c’est la Grèce.

Alors pourquoi n’y a-t-il pas plus de lutte ? Une grande partie de l’explication tient au rôle des dirigeants syndicaux qui ont manqué, occasion après occasion, de soutenir les luttes qui se produisaient pour les élargir en une vague plus puissante. Je ne dis pas qu’il y a des millions de travailleurs qui rongent leurs freins, désespérés de ne pas organiser des piquets de grève ; il y a un manque de confiance au sein de larges couches de la classe pour savoir si l’on peut combattre et gagner. Les dirigeants syndicaux doivent-ils encourager la résistance, élargir les combats qui ont lieu, ou les freiner ? La vérité est que, depuis de très nombreuses années, c’est ce rôle là qu’ils ont joué.

Pourquoi les dirigeants syndicaux contiennent les luttes ?

Il n’y a aucun doute que certains d'entre eux ont pris l’habitude de ne pas se battre. Lorsque la statistique sur les grèves est sortie, des dirigeants syndicaux ont dit, « Eh bien, c’est dire quel merveilleux travail nous faisons. Vous n’avez pas besoin de lois anti syndicales, nous faisons le travail pour vous ! »

Mais je pense qu’il y a deux facteurs décisifs.

L’un, c’est que les dirigeants syndicaux ont fini, après avoir analysé la succession de défaites des années 1980, par accepter l’idée que toute lutte nationale était vouée à l’échec, tout en méprisant leurs membres, pensant qu’ils ne voulaient pas combattre. La manière dont les syndicats pouvaient survivre consistait donc à passer des accords entre employeurs et salariés, et la pression venant du patronat a été vraiment terrible, alors que la pression de la base était à son niveau le plus bas. Ils ont lâché peu à peu devant la politique de la droite en acceptant les nouvelles politiques de l’emploi.

L’autre, qu’il y avait des pressions de la direction du parti travailliste sur les syndicats, dont la plus grande partie lui est inféodée, afin d’éviter les grèves. Évidemment c’était le cas sous Tony Blair et Gordon Brown, mais ce fut également vrai sous Ed Miliband.

Corbyn apporte un renouveau - sauf lors des attaques sur la remise en cause des conseils ouvriers -  il s’alignera avec les travailleurs en lutte.

Si nous n’obtenons pas le développement des luttes sur les lieux de travail nous ne pourrons dire si cette radicalisation politique se développera et quel changement elle entrainera dans la société. C’est une des raisons pour lesquelles 'il est très important que les révolutionnaires tentent d’encourager la résistance par le bas, pour consolider l’organisation de la classe ouvrière et pour prendre en charge tous ces combats qui auront lieu. Sans cela, toute personne qui tentera d’organiser le milieu de travail simplement autour de questions concernant le court terme, ou même la solidarité avec d’autres travailleurs, sera limitée dans son action.

Il est donc crucial de reprendre les débats dans le parti travailliste sur les questions des politiques à mettre en place, de la lutte contre le racisme, les, le changement climatique et ainsi de suite.

Comment est-ce que nous, comme groupe relativement restreint de révolutionnaires, pouvons faire pression sur les dirigeants syndicaux et à un niveau plus large sur la société ?

Tout d’abord nous avons besoin de victoires ; et non pas de défaites glorieuses. Plus le message reçu par les travailleurs sera « si vous vous battez vous gagnerez, ou au moins vous gagnerez quelque chose », plus il sera reçu par d’autres groupes de travailleurs. Nous devrions reprendre la question de la solidarité très au sérieux.

Deuxièmement, même si les gens gagnent, personne n’est mis au courant. C’est une des raisons pour lesquelles il nous faut Socialist Worker, pour répandre la bonne nouvelle. Il y a trop de gens qui propagent les mauvaises nouvelles : chaque fois qu’il y a une défaite, tout le monde est informé par la presse grand public.

Il faut attiser les flammes partout où nous le pouvons dans nos propres syndicats. Quand la Loi sur les syndicats a été mise en application, il s’est répandu dans le mouvement syndical l’idée qu’elle rendait impossible les luttes syndicales au niveau national.

Nous devons mobiliser les gens. Nous devons restaurer la confiance et tenter de construire des réseaux plus larges de solidarité autour de ceux qui résistent. Plus les réseaux politiques s’exprimeront sur les actions, plus facilement elles se diffuseront sur les lieux de travail.

Si nous regardons tout ce que dont nous avons parlé en termes d’équilibre des forces de classe, il semble que nous avons convenu qu’il y a de grandes faiblesses de part et d’autre.

Nous sommes toujours très conscients de nos propres limites. Et pendant une longue période, on a pensé qu’il y avait une lutte des classes, mais que la classe elle-même, n’était pas convaincue de cette nécessité. Corbyn, pourrait-il changer cela ? Il y aura des crises politiques et économiques qui ouvriront la possibilité d’une résurgence des luttes. Si les centaines de milliers de personnes qui ont rejoint le parti travailliste se décident à lutter sur les lieux de travail et dans leurs communautés, ce sera un sérieux changement à long terme en Grande-Bretagne, mais rien de tout cela n’est sûr.

Un des dangers du Corbynisme est qu’il devienne un substitut de la lutte, qu’il soit inutile de se battre car il suffira de se regrouper derrière lui. Il y a certains dirigeants syndicaux qui vont tenter de jouer cet air : « Jeremy a été réélu, la question essentielle suivante c’est l’élection générale de 2020, qui peut être avancée, voilà où nous devons porter tous nos efforts. » Ce serait une catastrophe, tout d’abord parce que d’ici 2020 les conservateurs auront déchiqueté tous les Services sociaux, réduit les emplois, pesé sur les conditions de vie et intensifié le racisme, mais aussi parce que si Jeremy veut gagner la prochaine élection générale, la meilleure façon serait qu’il soit porté par les luttes, et qu’il recueille la confiance et entretienne la combativité des travailleurs.

Comment pouvons-nous créer un mouvement qui s’adresse au pays, travailler avec le plus large nombre de personnes que possible, pour une action qui n’ait pas comme seul horizon les élections au Parlement ? Il faut soutenir les luttes, c’est certainement le moyen le plus efficace pour régler ces questions d’austérité et de racisme : un sérieux défi pour les patrons et l’État.

Il y a une phrase de Corbyn reprise par ses partisans : « L’austérité est un choix politique. » Vous pouvez décider de dépenser £ 135 milliards pour le nucléaire, Trident, ou vous pouvez investir sur le NHS et l’éducation ; vous pouvez décider de dépenser de l’argent pour les allégements fiscaux pour les riches, ou vous pouvez l’utiliser dans l’intérêt de la majorité. Il est également vrai que le capitalisme en crise ne va pas simplement rester là les bras croisés à attendre que vous preniez l’argent des riches et des sociétés. Nous savons cela par l’histoire britannique et l’histoire du monde.

La période Corbyn va poser de nouvelles questions aux révolutionnaires du monde, tout en soulignant la nécessité d’un projet d’organisation révolutionnaire indépendante.

Septembre 2016