« Les Kurdes sont l’un des peuples les plus opprimés de la région depuis ces 100 dernières années. Bien qu’ils aient une présence forte, ancienne et bien établie dans la région, néanmoins ils ont été victimes des conflits nationalistes des Empires qui ont gouverné et gouvernaient, ainsi que des intérêts des puissances coloniales dans la région.

L’entité fédérale établie dans le nord de l’Irak a été leur « réalisation » la plus importante à ce jour, et les Kurdes aspirent avec beaucoup d’optimisme à répéter l’expérience de la région dite de Rojava, en Syrie du Nord. Mais cette expérience est toujours en suspens, car la Syrie est en proie à une guerre internationale infiniment complexe.

En Turquie, en revanche, les Kurdes font face aux persécutions ethniques, bien qu’ils aient la plus longue histoire de lutte armée, payé un lourd tribut, et subit nombre de sacrifices indicibles.

Aujourd’hui les Kurdes sont les acteurs importants dans l’arène du Moyen Orient, en particulier depuis l’éruption du soi-disant printemps arabe. Le parti des travailleurs du Kurdistan (Pkk) a émergé comme l’artisan d’une réelle influence, notamment en Syrie et en Turquie, et sa présence en Irak s’est considérablement affirmée, notamment dans la guerre contre l’Etat islamique (EI), où les troupes armées kurdes agissent le long des diverses lignes de front.

Pour mieux comprendre les aspirations du Pkk, rien de mieux que d’interviewer un de ses plus éminents dirigeants et fondateurs, qui a occupé de nombreux postes importants, le dernier en date étant celui du chef de la politique étrangère. En d’autres termes, il est ministre des affaires étrangères du parti, un travail plutôt sensible en ces temps d’intérêts régionaux et internationaux, entrecroisés.  Son nom est Riza Altun, il était bien connu au Liban et en Syrie du temps de la résidence d’Abdullah Ocalan dans ces deux pays. En revanche, en Turquie, il est une des personnes plus recherchée.

 Les dirigeants du Pkk ne restent jamais bien longtemps au même endroit, ils sont constamment en mouvement, et communiquer avec Altun n’a pas été facile, même par l’intermédiaire de moyens technologiques modernes. En fin de compte et grâce à ces mêmes moyens de communication, le journal As-Safir a réussi à mener cet entretien avec lui, dans lequel il exprime son point de vue sur ce moment critique dans l’histoire de la région, y compris de la Turquie en particulier, avec le dernier coup d’Etat. »

Commençons par une question classique : Etes-vous toujours pour un Etat kurde indépendant en Turquie ?

Nous ne considérons pas la cause kurde comme fondée sur des aspirations spécifiquement nationalistes ou ethniques. Nous croyons qu’elle est la base nécessaire pour la réalisation de la liberté de tous les peuples du Moyen-Orient et la pierre angulaire de la relation symbiotique entre toutes les composantes de la région.

De façon générale, notre position tient aux liens historiques et sociaux qui existent entre tous les peuples du Moyen-Orient.

Un examen de l’histoire de la région révèle que lorsque les aspirations nationalistes sont le fondement à la création d’une entité séparée, et le résultat d’aspirations invariablement ethniques, nationalistes, religieuses ou sectaires, elles étaient sources de conflits avec les autres composantes de la société. Par conséquent, nous essayons d’éviter de faire les mêmes erreurs.

Si nous devions suivre cette même voie, nous nous retrouverions pris dans un bourbier, le même que celui qui afflige actuellement le Moyen-Orient, et ajouterait aux autres questions litigieuses de la région.

Nous recherchons une solution pour que prévale le statu quo, car notre objectif est de trouver une réponse basée sur une « démocratisation » qui respecterait le pluralisme ethnique, religieux ou sectaire.

Au lieu d’un État indépendant et des appels à la sécession, et autres partitions, nous devons nous concentrer sur la liberté pour tous les habitants de la région. Avant la première guerre mondiale, ces communautés étaient plus interdépendantes qu’elles ne le sont aujourd'hui. Mais après la guerre, la nation [arabe] a été divisée en plusieurs États, conduisant à une augmentation des problèmes et des incongruités entre les composants de ladite nation.

Vous voulez dire que les appels du Pkk pour un Etat indépendant étaient une erreur ?

Je préfère ne pas les qualifier de corrects ou d’incorrects. A cette époque, nous avons fait appel à la création d’un Etat indépendant, seulement si cet État était réalisable. Ce qui n’est pas arrivé. Puis, nous avons mis l’accent sur la démocratisation et les libertés qu’il apporterait. Avec le temps, le terme « indépendance » a été remplacé par celui de « liberté », parce que cette dernière est essentiel pour nous et d’autres. Par définition, le mot « indépendance » n’inclut pas la notion de liberté, mais « liberté » comprend celui de l’indépendance.

Après la première guerre mondiale, la partition du Moyen-Orient en États nationaux n’a créé que des problèmes. Donc, se concentrer sur l’établissement d’un Etat kurde national finirait par exacerber les problèmes existants ; il faut mettre l’accent sur la liberté, c’est la clé vers la réussite.

Le soi-disant printemps arabe a été rejeté par les régimes du Moyen-Orient qui ont surgi après la première guerre mondiale. Ces régimes n’ont jamais conduit à la liberté, au bonheur et au bien-être.

Le mouvement du takfiri salafiste (ndr : extrémistes islamistes nés d'une scission des Frères musulmans, adeptes d'une idéologie ultra-violente), représenté par l’EI s’est développé en parallèle avec la révolte du printemps arabe.

Il est important de se confronter aux idéaux de l’EI et du mouvement salafiste, étant donné que la solution ne peut pas venir d’eux et que leur tactique ne peut même pas conduire à la mise en place d’un califat.

D’autre part, les puissances capitalistes et impérialistes avancent aussi leurs pions avec leurs interventions. Elles sont responsables de la partition du Moyen-Orient en des États qui se sont affrontés les uns aux autres. Cette mentalité orientaliste rétrograde n’est pas la recette du succès.

Où va le Moyen-Orient ? Que pouvons-nous faire dans cette tourmente ? En tant qu’entité nationaliste, la question est posée. Nous n’avons pas de problème face à l’émergence d’entités nationalistes reflétant les identités nationales, mais le problème réside dans le fanatisme national au sein de ces entités. En conséquence, nous ne devons pas séparer notre liberté de celle et de ceux qui nous entourent.

La diversité et les différences ethniques sont importantes. Mais en créant un espace de rencontre, pour s’unir ou se séparer, nous favoriserons l’unité dans la diversité. Entre Kurdes, Arabes et Perses, mais j’exclus les Turcs, qui se sont installés plus tard dans la région et qui n’en sont pas originaires comme les trois autres civilisations qui ont maintenu leurs identités ethniques, et donné la culture de la région. Nos cultures respectives, nos coutumes, notre cuisine et tant de choses sont similaires et forment un tout unifié. Comment un appel à la sécession pourrait-t-il nous unir ?

Nous croyons que nous sommes tous musulmans et l’Islam prêche le droit de toutes les religions à exprimer leurs croyances. Pourtant, nous ne voyons qu’affrontements sectaires au nom de l’Islam. Si, c’est cela l’Islam, comment peut-il offrir une solution ? Non, il ne s’agit que de l’antithèse des principes fondamentaux de l’Islam. Le plan proposé par Ocalan (fondateur du Parti des Travailleurs du Kurdistan) propose la démocratisation de l’ensemble du Moyen-Orient, avec toutes ses entités, qui permettra à tous de s’exprimer dans le cadre d’une Fédération régionale.

Votre proposition semble une solution parfaite pour les problèmes de la région. Mais dans le cas de la Turquie, d’autres groupes existent au sein de la société turque, de fervents nationalistes, des laïques, ou des extrémistes islamistes. Votre proposition est-elle acceptée par ces groupes ? Pourquoi le problème kurde n’est-il pas encore résolu ? Quelles autres options auraient les Kurdes en cas de refus de votre proposition : une confrontation pacifique dans un cadre parlementaire, ou la poursuite du conflit armé ?

C’est difficile à résoudre en une nuit. Mais quand le cadre existera pour un tel changement, alors nous pensons que tous les moyen-orientaux l’accueilleront à l’exception des personnes ayant de mauvaises intentions. Tous les peuples qui ont souffert de l’oppression, de l’exploitation et des ravages de la guerre, qui vivent dans le désespoir, sont maintenant en quête d’espoir. Nous pensons que cette proposition représente l’espoir auquel ils aspirent.

Ce que vous dites sur la réalité turque est vrai, la situation est compliquée, mais nous avons résisté pendant ces 40 dernières années. Le mouvement kémaliste traditionnel veut rester au pouvoir, mais il est en déclin. Les mouvements nationalistes ont commencé à perdre de leur éclat au sein de la société. [Recep Tayyip] Erdogan et son parti sectaire exploite la situation du Moyen-Orient pour faire avancer ses projets politiques. Mais, ces derniers temps, ledit mouvement a échoué dans un chaos épouvantable.

Notre proposition n’est pas parfaite, elle doit se traduire en action dès que l’occasion se présentera. Par exemple, la résistance des groupes qui émergent et affrontent l’État est proche de ce que nous proposons. Les élections du 7 juin ont été très importantes à cet égard, car elles ont empêché la réalisation du rêve d’Erdogan d’avoir une majorité parlementaire.  Le parti populaire républicain et le parti nationaliste [Action] ont échoué à former une véritable opposition au parti de la Justice et du développement. Je dis que l’opposition réelle a été menée par le Parti démocratique des peuples grâce à son action sur le terrain et le rassemblement des forces ethniques, gauchistes, alaouites, communistes, chrétiennes et autres minorités. Cet état d’esprit est basé sur la démocratie et sur le fait qu’il laisse ces différentes minorités s’exprimer librement.

Un autre exemple de cet état d’esprit existe dans la révolution de Rojava en Syrie. Dans la ville al-Qamishli (ndr, capitale de la région au nord-est de la Syrie, d’un Kurdistan – Rojava-  de facto autonome et reconnu en Mars 2016 par les Kurdes syriens comme « entité fédérale démocratique »), par exemple, Arabes, Kurdes, Arméniens, Circassiens et Turkmènes, entre autres, vivent tous dans la même ville.

Nous n’avons jamais prétendu que c’était une ville kurde. Nous n’exigerons pas leur expulsion, bien que les Arabes s’y soient établis dans le cadre d’une politique d’arabisation. Nous n’utilisons pas le terme « Etat » pour Rojava, parce que son utilisation signifierait qu’il est imprégné d’une identité nationaliste, celle d’une ethnie particulière qui représenterait la majorité, tandis que les autres ethnies en seraient exclues. Nous avons proposé une alternative : une organisation en canton, où chaque groupe ethnique peut se présenter et gérer ses propres affaires, via une autorité [le Centre], comme c’est le cas maintenant.

Nous ferons en sorte que les Kurdes ne se mêlent jamais des affaires syriennes ou autres, à la condition, cependant, qu’aucun autre peuple ne pose une sérieuse menace pour le bien-être de l’ensemble.

Mais l’expérience de Rojava est intenable actuellement en Turquie, et le Parti démocratique des peuples n’a recueilli que 13 % du total des votes, ce qui pouvait amener un changement politique après les élections du 7 juin, mais pas suffisant. Allez-vous maintenir votre présence au Parlement en dépit de l’absence apparente de progrès, ou l’affrontement armé reste-t-il le seul moyen de sortie de cette situation ? En d’autres termes, quel rôle sera celui de la force militaire à ce stade ?

Notre bataille présente de multiples facettes et comprend différentes actions en direction des forces sociales, des intellectuels, des actions diplomatiques et même militaires, selon l’attitude de l’Etat ; nous essayons de tirer par tous les moyens quelques chances de succès. Lorsque l’Etat utilise la puissance militaire pour menacer votre propre existence, vous vous trouvez contraint de recourir à la violence pour assurer votre défense. Des percées sur le front militaire sont utiles s’il le faut pour obtenir un changement démocratique.

Nous avons ces derniers temps été soumis à une pression considérable qui nous a obligés à recourir à la résistance armée. Partis et médias interdits, immunité parlementaire levée, arrestations effectuées, ne nous laissaient qu’une seule issue disponible : à savoir, le recours à la force.

Retour vers la Turquie. Qui a exécuté et se tient derrière le dernier coup d’Etat récent ? Quelles en seront les conséquences sur la guerre contre les Kurdes et la cause kurde en général, alors que l’armée turque a été humiliée par Erdogan lors du coup d’État ? Cela affectera-t-il la volonté et la motivation de l’armée dans sa guerre contre les Kurdes ?

La situation en Turquie est extrêmement complexe, et rend difficile tout pronostic. Erdogan a attribué l’idée de ce coup d’Etat à Gülen. En bref, c’est faux, et le rôle de ce dernier n’aurait pu être qu’extrêmement limité.

En Turquie, le kémaliste traditionnel du pouvoir s’exerce sur le pays par une mise sous tutelle militaire empreinte d’une mentalité anti kurde, contre l’Islam, et anti socialiste. L’ascension de Erdogan au pouvoir était soutenue par l’Occident, il est arrivé en raison de l’absence de perspectives du régime kémaliste traditionnel et sa politique d’oppression des Kurdes. Sous le règne d’Erdogan, la route a été très sinueuse, mais en fin de compte, la tradition kémaliste a été brisée.

 Deux mouvements kémalistes existaient au sein de l’armée, l’un tentait de s’adapter aux politiques d’Erdogan et un autre plus traditionnel que je crois responsable de ce coup d’État. Pourtant, en même temps, ce mouvement a trouvé du soutien parmi d’autres factions de l’armée insatisfaites du règne d’Erdogan.

Le coup d’État a échoué, et nous assistons actuellement à un contre coup d’État à caractère anti-civil. Nous sommes face à un homme, Erdogan, qui ne reconnaît pas la loi constitutionnelle. Plus de 50.000 personnes ont été arrêtées jusqu'à présent. Tous les professeurs d’Université ont été licenciés et 17 000 enseignants arrêtés, avec un nombre croissant d’arrestation chaque jour.

Le véritable coup d’État est celui que conduit actuellement Erdogan. Même si nous avions supposé que la tentative de coup d’État militaire pouvait réussir, le régime qui s’en serait suivit n’aurait pas été démocratique, mais anti Kurdes. Aucun n’est meilleur que l’autre : ni Erdogan, ni l’armée.

Erdogan n’a pas accepté les résultats des élections du 7 juin. Il avait déjà modifié, par un premier coup d’Etat, le régime en un régime présidentiel pour marginaliser les autres institutions parmi lesquelles le pouvoir judiciaire. Le coup d’Etat militaire va à l’inverse du premier coup d’Etat initié par Erdogan, mais il a échoué, et ouvre la porte à d’autres futurs coups d’Etat.

En bref, Erdogan est une menace pour les Kurdes et la région dans son ensemble. Ce qu’il a fait n’est que le prélude à des actions futures résultant de son alliance avec l’EI, avec Jabhat al-Nusra, Ahrar al-Sham et autres mouvements réactionnaires qu’il veut utiliser pour devenir le leader incontestable de la région.

La répression interne et anti kurde augmentera-t-elle après le coup d’État ?

Erdogan n’a pas obtenu ce à quoi il aspirait, et il tente maintenant de normaliser les relations avec certains pays, comme Israël et la Russie. Il n’a pour soutiens que le Qatar et l’Arabie saoudite. Il a été l’un des piliers des États-Unis dans la région, mais le déclin de cette relation l’a amené à réévaluer sa politique.

En interne, les événements lui ont permis de modifier sa situation, et d’imposer son monopole sur la structure du pouvoir. Il a même abandonné ses camarades de parti et conservé seulement à ses côtés un entourage consentant à coopérer avec les autres forces pour atteindre ses objectifs. Tous ces développements sont liés à la dernière tentative de coup d’État.

Le coup d’État évité, Erdogan ne se livrera jamais à une réévaluation de ses politiques passées, mais il continuera à les appliquer. Il est à une croisée des chemins : rester au pouvoir et tuer tous ceux qui s’opposent à lui ou être tué lui-même. Il n’y a pas d’autre choix. S’il devait être tenu responsable de ses actes, il serait déclaré coupable de meurtre, de corruption. En outre, ses actions ne pourront pas mettre un terme aux tentatives de coups d’Etat futurs. Il va essayer de gérer la Turquie malgré le chaos, mais il lancera la Turquie sur une trajectoire encore plus chaotique.

Ses actions sont claires, il gardera ce cours et maintiendra la même politique contre les Kurdes de Syrie. La question kurde est essentielle pour comprendre les problèmes auxquels la Turquie est confrontée, et c’est la clé qui ouvre la voie vers le salut. Ou une solution est trouvée, ou la crise se poursuivra sans relâche.

Donc, il continuera à soutenir l’opposition syrienne, en dépit du coup d’État et de son obsession concernant les affaires internes ?

Quand le parti Justice et Développement est arrivé au pouvoir, Erdogan a reconnu la cause kurde et adopté une rhétorique démocratique. Il a déclaré qu’il pouvait résoudre la question kurde ; déclarations a accueilli avec satisfaction par 80 % de la population, des discussions devaient commencer pour trouver une solution au problème kurde. Mais il a manqué à sa parole et a repris les politiques adoptées précédemment. Parce qu’il n’a pas pu résoudre le problème kurde, il a ouvert la porte à de futurs coups d’État militaires. Cette vague de coups d’État ne pourra être stoppée tant que la stabilité n’est pas rétablie en Turquie, maintenant ou dans l’avenir.

Nous rejetons la politique d’Erdogan, tout comme nous refusons le coup d’État militaire. Nous formons une troisième ligne de propositions, auquel cas le problème kurde sera résolu démocratiquement.

Erdogan est-il d’accord avec ce que les Etats Unis attendent de lui ?

Les relations de la Turquie avec l’Occident sont stratégiques. L’Ouest a embrassé [Mustafa Kemal] Ataturk parce qu’il avait des penchants pro-occidentaux. Le problème réside dans le fait que les Turcs qui ont leur propre culture adoptent et vivent un mode de vie occidental.

L’Ouest utilise les Turcs comme outil de lutte contre ses propres adversaires. Il a aspiré la Turquie dans l’OTAN et l’Union européenne, bien que la Turquie n’ait pas été d’accord avec l’intervention de l’Occident pendant la guerre en Irak. Pour la première fois, les kémalistes abandonnent les politiques américaines qui ont mis Erdogan et les islamistes au pouvoir, pour jouer un rôle déterminant et transcender une tradition kémaliste décrépie par les nouvelles politiques d’Erdogan.

Erdogan n’est pas un leader né de la volonté du peuple. Les Etats-Unis, l’ont préparé et conduit au pouvoir. L’étoile d’Erdogan a brillé sans éclat, alors qu’il n’avait aucune fonction officielle, hormis le fait qu’il se soit rendu aux États-Unis, où il a passé quelque temps, où il fut traité comme un chef de file. Par la suite, le fossé s’est creusé entre Erdogan et les États-Unis en raison de ses politiques contradictoires envers entre autres la Syrie, l’Irak, la Libye, Israël, l’Egypte.

L’Amérique ne pouvait plus tolérer cette politique qui a causé d’innombrables problèmes. Bien que l’Occident se soit proclamé être contre le dernier coup d’Etat, il est resté silencieux dès les premières heures jusqu'à ce qu’il soit devenu clair que le coup d’Etat n’avait pas abouti. Les déclarations auraient été différentes si le coup d’État avait réussi.

Cela veut dire que les États-Unis ont joué un rôle dans le coup d’Etat ?

Peut-être. Ils sont restés silencieux pendant que les événements se déroulaient.

Pourquoi les États-Unis participeraient-ils à un coup d’État voué à l’échec ?

Le rôle de l’Amérique ne peut être établi. Mais Erdogan accuse Gülen de l’avoir orchestré, or ce dernier vit aux Etats-Unis, d’où il ne saurait organiser un coup d’État sans que les US n’en prennent connaissance. L’approche américaine de la Turquie est différente de son approche d’autres pays. Peu importe que les Usa soient contrariés, ils ont besoin d’elle. Des problèmes existent entre la Turquie et les occidentaux, mais cela ne signifie pas qu’ils n’aient plus besoin de la Turquie, qui a un rôle à jouer dans la région.

Vous avez dit qu’Erdogan a adopté des politiques non conformes à celles des États-Unis, bien qu’il ait été mis au pouvoir par Washington. Pourquoi ? Est-ce à cause de ses aspirations à faire revivre l’Empire Ottoman ou son désir de monopoliser le pouvoir dans la région ? Il ne sait pas que sa survie dépend du soutien US ?

Erdogan a émergé en surfant sur les traditions nationalistes qu’il a ensuite trahies, comme il a trahi Necmettin Erbakan (ndr, fondateur du parti du « salut national », pour le retour aux « valeurs traditionnelles de l’empire ottoman ») préférant, une fois au pouvoir, épouser les politiques des extrémistes islamistes salafistes. Au début, Erdogan était censé gouverner pour une période déterminée, mais l’évolution de la situation au Moyen-Orient l’a amené à adopter des politiques autoritaires jusqu’à ce que son égo lui fasse penser qu’il était le chef des sunnites et du monde musulman, qu’il allait construire un nouveau califat Ottoman, alimentant ainsi sa divergence avec les Etats-Unis. Toutes ses déclarations avaient un arrière-goût d’Islam ; l’ironie réside dans le fait que cette même Turquie a abandonné son héritage oriental et adopté les traditions occidentales pour finir par défendre fortement son héritage oriental et se retourner contre l’Ouest.

L’Amérique a-t-elle peur d’une Turquie forte ?

Elle a peur de la forte popularité d’Erdogan, ce qui est à l’origine de sa méfiance envers lui ces derniers temps.

Y a-t-il des contacts entre le PKK et les États-Unis ?

Des contacts existent, mais ils sont d’un faible niveau et n’incluent aucun rapprochement.

Des contacts directs?

Ils sont quelque part entre directs et indirects.

Ils sont positifs ?

Cela dépend de la région en question. Par exemple, pour Rojava, les américains soutiennent le modèle apparu là, ils s’efforcent d’empêcher une intervention turque dans la région. Mais en revanche, les Etats-Unis ferment les yeux sur les massacres, les meurtres et la répression contre les Kurdes par l’État turc. Les Etats-Unis collaborent avec les unités de combat kurdes, leur fournissent un soutien, mais leur attitude envers nous est à double tranchant, selon leurs intérêts. Les relations avec Washington sont donc de nature tactique.

Les américains ont-ils promis de soutenir une Fédération kurde en Syrie ?

Absolument pas. La politique des États-Unis est pragmatique. Ils ne rejettent pas le fédéralisme, sans l’accepter véritablement. Ils permettent à l’idée d’exister jusqu'à ce qu’elle devienne évidente. Leurs intérêts dictent leur façon d’aborder la question. Ils adoptent une attitude conciliante envers tous. Dans les coulisses, ils déclarent qu’ils ne s’opposent pas à l’idée d’une Fédération, mais ils disent publiquement qu’ils sont contre la partition, alors que le fédéralisme n’a rien à voir avec la partition.

Est-ce que Washington permettra aux kurdes d’atteindre « Afrine » et de se connecter entre kurdes dans la région ? (ndr : Afrine, ville dans le district d’Alep, sous contrôle kurde)

Les Etats-Unis agissent en manipulant tout ce qui peut entraver l’avance des Kurdes vers Afrine. Mais il est également révélateur que la Turquie ne reconnaisse pas l’entité kurde de Rojava.

Avez-vous des contacts avec le régime syrien ?

Nous avons eu des relations avec Damas depuis le début et les contacts n’ont jamais cessé. Mais je ne peux pas dire que les rencontres entre nous soient nombreuses. Nous honorons nos relations et l’aide que Damas nous a donnée dans le passé.

Annoncer le projet de création d’une fédération sans consulter ceux qui habitent la région, n’est-ce pas prendre le risque d’une scission ? 

Nous avons également critiqué ce point de vue, la manière dont il est libellé et l’utilisation qu’en fait Rojava car Rojava reste une partie intégrante de la Syrie unie. L’annonce devait être formulée différemment et nous nous sommes opposés à ce texte d’annonce d’une Fédération.

Nous appuyons la création d’une Fédération en Syrie du Nord, pourquoi aurions-nous alors besoin d’un Rojava fédéral ? Quel serait le sort du territoire syrien restant ? Ils ne pensent pas au reste de la Syrie.

La faute à qui ? N’y a-t-il pas une coordination entre vous et les autorités de Rojava ?

Il n’y a pas de coordination dans le sens de « faire ceci ou cela. » Nous n’interférons pas directement mais nous faisons des suggestions, sans donner des instructions précises. Nous avons également critiqué leur annonce qui donnait l’impression du fait accompli ; c’est très dangereux. Le projet aurait dû être expliqué avant d’en faire l’annonce.

Nous préférons l’utilisation du terme Fédération de Syrie du Nord, et nous avons exigé la disparition de la référence à la Rojava parce que Rojava désigne une Fédération à identité kurde. Le Nord de la Syrie est la maison de tous ceux qui l’habitent, et la liberté des Kurdes, dépendra du degré de liberté dont jouiront les autres habitants de la région. Notre objectif, est donc la mise en marche d’une révolution intellectuelle, sans laquelle tout deviendra encore plus compliqué. 

Août 2016