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« L’Italie évalue de façon positive les opérations aériennes lancées aujourd’hui par les Etats-Unis sur certains objectifs de Daesh à Syrte. Elles répondent à la demande du Gouvernement d’Unité Nationale, en soutien des forces fidèles au Gouvernement, dans l’objectif commun de contribuer à rétablir la paix et la sécurité en Libye » : tel est le communiqué diffusé par la Farnesina (ndr, ministère des Affaires Etrangères italien) le 1er août, à Rome.

Ceux qui pensent à Washington, Paris, Londres et Rome à « la paix et la sécurité en Libye » sont les mêmes, qui, après avoir déstabilisé et mis en pièces l’Etat libyen par la guerre, vont en recueillir les débris dans le cadre de la « mission d’assistance internationale à la Libye ».

Leur idée transparaît à travers des voix autorisées. Paolo Scaroni, à la tête de l’ENI (ndr, la sté nationale italienne des hydrocarbures) qui a manœuvré en Libye entre les factions et les mercenaires et se retrouve aujourd’hui à la vice-présidence de la Banque Rothschild, a déclaré au Corriere della Sera « qu’il fallait en finir avec la fiction de la Libye », « un pays inventé » par le colonialisme italien. Et au contraire « favoriser la naissance d’un gouvernement en Tripolitaine, qui fasse appel à des forces étrangères pour l’aider à rester debout », en poussant la Cyrénaïque et le Fezzan à créer leurs propres gouvernements régionaux, avec, éventuellement l’objectif de se fédérer à long terme.  En attendant, « chacun gèrerait ses sources énergétiques », présentes en Tripolitaine et Cyrénaïque.

C’est la vieille politique colonialiste du 19ème siècle, remise à jour par la stratégie néo coloniale USA/Otan, qui a détruit nombre d’Etats nationaux (Yougoslavie, Libye) et fractionné (ou tenté de fractionner) d’autres Etats (Irak, Syrie), pour contrôler leurs territoires et leurs ressources.

La Libye possède presque 40% du pétrole africain, précieux pour sa haute qualité et son faible coût d’extraction, et de grosses réserves de gaz naturel, dont l’exploitation peut rapporter aujourd’hui aux multinationales étasuniennes et européennes, des profits bien plus élevés que ceux obtenus auparavant dans le cadre de l’Etat libyen. De plus, en éliminant l’Etat national et en traitant séparément avec des groupes au pouvoir en Tripolitaine et Cyrénaïque, elles pourraient obtenir la privatisation de réserves énergétiques publiques et donc leur contrôle direct.

En plus de l’or noir, les multinationales étasuniennes et européennes veulent s’emparer de l’or blanc : l’immense réserve d’eau fossile de la nappe phréatique nubienne, qui s’étend sous la Libye, l’Egypte, le Soudan et le Tchad. Les possibilités qu’offrent celle-ci avaient été comprises par l’Etat libyen, qui construisit des aqueducs transportant de l’eau potable et pour l’irrigation, des millions de mètres cubes par jour, extraits de 1300 puits dans le désert, sur 1600 Km jusqu’aux villes côtières, rendant fertiles des terres désertiques.

Aux raids aériens étasuniens, aujourd’hui en Libye, participent simultanément des chasseurs-bombardiers qui décollent de porte-avions en Méditerranée et probablement de bases en Jordanie, et des drones Predator armés de missiles Hellfire qui décollent de Sigonella (ndr, base étasunienne en Sicile).

Interprétant le rôle de l’Etat souverain, le gouvernement Renzi « autorise au cas par cas » le départ de drones armés étasuniens de Sigonella, tandis que le ministre des affaires étrangères Gentiloni précise que « l’utilisation des bases ne requiert pas une communication spécifique au parlement », tout en assurant que ceci « n’est pas le prélude à une intervention militaire » en Libye.

En réalité l’intervention a déjà commencé : des forces spéciales étasuniennes, britanniques et françaises - comme le confirment le Telegraph et le journal Le Monde - opèrent depuis longtemps en secret en Libye pour soutenir « le gouvernement d’unité nationale du Premier ministre Sarraj ».

En débarquant tôt ou tard officiellement en Libye sous prétexte de la libérer de la présence de l’E.I. (Daesh), les USA et les plus grandes puissances européennes peuvent aussi ré-ouvrir leurs bases militaires, fermées par Kadhafi en 1970, une position géostratégique importante à l’intersection entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient.

Enfin, avec la « mission d’assistance à la Libye », les USA et les plus grandes puissances européennes se partagent le butin de la plus grande rapine du siècle : 150 milliards de dollars des fonds souverains libyens confisqués en 2011, qui pourraient quadrupler si l’exportation énergétique libyen revenait aux niveaux précédents.

Une partie des fonds souverains, à l’époque de Kadhafi, fut investie pour créer une monnaie et des organismes financiers autonomes pour l’Union Africaine.

Les Etats-Unis et la France - comme le prouvent les emails d’Hillary Clinton - décidèrent de bloquer « le plan de Kadhafi de créer une monnaie africaine », alternative au dollar et au franc CFA. Ce fut Hillary Clinton - document publié par le New York Times - qui convainquit Obama de passer à l’action. « Le Président signa un document secret, qui autorisait une opération couverte en Libye et la fourniture d’armes aux rebelles », y compris à des groupes jusque récemment classifiés comme terroristes, que le Département d’Etat dirigé par Clinton reconnaissait comme « gouvernement légitime de la Libye ».

En même temps l’Otan sous commandement étasunien effectuait une attaque aéronavale avec des dizaines de milliers de bombes et missiles, démantelant l’Etat libyen attaqué simultanément de l’intérieur par des forces spéciales y compris du Qatar (grand ami de l’Italie) (ndr, et de la France : cf. l’épisode du scratch d’un hélicoptère et de la mort de son pilote français en Octobre 2015, près de Tripoli).

Le désastre social qui en a résulté a fait plus de victimes que la guerre elle-même, surtout chez les migrants, et va ouvert la porte à la reconquête et au partage de la Libye.

Il Manifesto, 4 août 2016