Peter Wahl, est président du conseil d'administration de l'organisation non-gouvernementale Weltwirtschaft, écologie et développement (WEED) et ancien dirigeant d’Attac Allemagne

Les résultats des élections au Bundestag vont produire un changement profond dans le système politique de l’Allemagne et pourraient avoir des répercussions au-delà des frontières. A noter que c’est le "second vote", qui compte, parce qu’il détermine la composition du Bundestag. D’autre part le nombre de sièges est strictement à la proportionnelle.La « première voix » (en allemand : erste stimme) permet de voter pour un candidat de la circonscription (en allemand : Direktkandidaten im Wahlkreis) ; la « seconde voix » (en allemand : zweite stimme) permet de voter pour une liste de candidats présentée dans le cadre de l’Etat fédéral (en allemand : Landesliste).(Wikipédia)

Ce qu’il y a derrière les chiffres

Il y a un glissement général du pays vers la droite.

Le secteur centre gauche/gauche (SPD, Les Verts, Die Linke) perd 4,1% et ne rassemble plus maintenant que 38,6% des voix.

Le glissement vers la droite s’exprime d’abord dans les 12,6% pour l’AfD, qui est maintenant le troisième parti au parlement.

L’AfD est particulièrement forte dans les nouveaux Länder. En Saxe elle est même le numéro Un. A la lumière de l’histoire allemande le score de l’AfD est d’une autre nature que le succès obtenu par les partis d’extrême-droite dans d’autres pays. Au début de son essor, des éléments nationaux-conservateurs étaient dominants, aujourd’hui ce sont des extrémistes de droite qui dominent le groupe parlementaire. Parmi eux il y a un courant ouvertement raciste et fasciste.

Pour le SPD, ses 20,6% représentent son plus mauvais résultat de l’après-guerre. Il s’inscrit dans le déclin général de la social-démocratie néolibérale partout en Europe.

Pour la CDU, le parti de Merkel, et la CSU (parti frère de la CDU qui n’existe qu’en Bavière et qui est au gouvernement depuis la fin de la guerre) qui forment un groupe parlementaire commun, la perte de 8,6% signifie un affaiblissement considérable. L’AfD est le plus grand profiteur de la perte de Merkel.  

Les résultats pour le SPD et la CDU sont une grave défaite pour la grande coalition, qui a gouverné le pays les dernières huit années.  

Derrière le progrès léger de 0,6% de Die Linke (Parti de Gauche) se cache un phénomène intéressant : le parti perd entre 4% et 6% dans les nouveaux Länder, avant tout au profit de l’Wafd, mais il franchit pour la première fois les 5% dans tous les autres Länder à l’ouest, même en Bavière.

Die Linke est particulièrement fort dans les Stadtstaaten, c’est à dire dans des grandes villes qui ont le statut d’un Land. A Berlin il obtient 18,8% et passe à la deuxième place devant le SPD. A Hambourg : 13,5 % et à Brême :13,5%. Dans la Sarre il obtient 12,9%. En général le parti est fort dans les grandes villes. Parmi les votants en dessous de 30 ans il obtient 11%, c’est à dire 2% au-dessus de sa moyenne. L’équilibre entre les candidats hommes et femmes a été réalisé.

 Le parti libéral (FDP) n’avait pas franchi les 5% dans les élections de 2013. Sa rentrée au parlement avec 10,7% s’est réalisée largement aux frais de l’alliance CDU/CSU. La majorité des médias ont fait une propagande énorme pour le FDP. Dans les domaines de l’économie et du social le FDP est ultra-néolibéral. Dans les questions de politique extérieure, et des droits civiques et concernant le culturel c’est un libéral de gauche.

Les Verts se sont consolidés, mais restent le plus petit des partis au Bundestag.      

  1. En regardant un peu plus en profondeur
  1. L’ilot de stabilité, que le pays semblait être, n’est point si stable que cela comme beaucoup   le croyaient. Même si le bouleversement du système politique est moins dramatique qu’en France, l’Allemagne n’est pas épargnée par les multiples crises du capitalisme occidental.
  1. Le débat sur le rôle de Merkel comme « leader du monde libre » est dépassé. 
  1. Les marges de manœuvre de Merkel dans la politique intérieure, dans l’UE et au niveau international vont se resserrer.       
  1. Macron, dont l’intention principale est de « make France great again », va essayer de saisir cette opportunité. La concurrence entre Paris et Berlin autour du poste de capitaine de l’épave européenne va s’approfondir.
  1.  Le recul du bloc CDU/CSU est lié grosso modo à deux facteurs : 

                A - la vitesse de la modernisation mène partout á une érosion du conservatisme.

                B - la perte de contrôle de Merkel lors de la crise dite "des réfugiés" en 2015. 

  1. La crise du SPD n’est pas passagère. Le parti se trouve entre deux choix : un renouveau à la Corbynou l’éclatement final comme le PS en France.

  2. Selon les analyses des sociologues, la moitié des électeurs de l’AfD ne partage pas les positions extrêmistes du parti, mais vote pour lui pour protester contre ce que l’on appelle en anglais the establishment.

  3. Le succès de l’AfD dans l’Est montre tous les symptômes que l’on connait en Grande Bretagne, en France et dans d’autres pays : c’est-à-dire des régions et des secteurs sociaux éloignés du progrès économique, qui se sentent - et sont d’une certaine manière - mal traités et qui ont peur d’être complètement marginalisés.   

  4.  Die Linkea perdu une certaine proportion de son électorat à l’Est pour l’AfD. Cela signifie, que le parti est considéré par ces secteurs comme faisant parti de l’ordre établi. En effet les pertes sont considérables en Thüringen, où Die Linkedirige le gouvernement et dans le Brandenbourg, où il est dans le gouvernement. Si Die Linke ne veut pas se contenter de la stagnation face à une instabilité, une incertitude et une complexité croissante il aura besoin d’un ajustement de sa stratégie. Il doit se poser des questions similaires communes aux gauches dans d’autres pays. Par exemple : 

A - comment canaliser les manifestations, la colère et le mécontentement vers la gauche ?

B - Est-ce que l’on a la réponse appropriée d’un côté sur les questions « culturelles » comme la migration, le féminisme, les minorités sexuelles etc., et de l’autre les questions traditionnelles de classe ?

C - Comment combattre l’extrême droite, sans disparaitre dans un « front antifasciste » sous hégémonie libérale ?      

III. Perspectives à court terme

 Le glissement vers la droite va continuer. Les CDU/CSU vont durcir leur politique anti migration pour regagner des électeurs de l’AfD. En Bavière, où il y va y avoir des élections l’année prochaine, la CSU a perdu plus de 10%. Le chef du parti a déjà déclaré, qu’il allait fermer le passage.    

Comme le SPD a déclaré être dans l’opposition, la seule configuration de majorité gouvernementale ne peut-être qu’une Coalition Jamaika (selon les couleurs du drapeau national de la Jamaique, et les couleurs des CDU/CSU, FDP et Verts : noir, jaune, vert).

Pourtant il n’est pas encore garanti à 100% que le SPD refuse une participation au gouvernement. Des élections auront lieu dans le Land de la Basse Saxe (Hanovre) le 15 octobre. Au cas où il y aurait un bon résultat pour le SPD, la direction du parti pourrait l’utiliser pour changer d’avis.

Il n’est pas pensable aussi, que le SPD change sérieusement de cap sans changement du personnel à la tête du parti, qui a soutenu toutes les réformes néo libérales sous Schröder.

De toute façon, la formation d’une coalition sera très difficile. Il y aura des négociations longues et compliquées.

  • - La CSU bavaroise et les Verts ne sont ni politiquement ni culturellement compatibles. 
  • - Entre Verts et le FDP il y des contradictions fondamentales sur l’avenir de la zone Euro, le combat contre le climat ou la politique extérieure, et celles de Schäuble, tandis que les Verts considèrent Macron comme le St. Sauveur de « l’Europe » avec ses propositions pour la stabilisation de la zone Euro. Dans le combat pour le climat, le FDP croit aux seuls marchés. 
  • - En politique extérieure le FDP a déjà déclaré, que la Crimée restera russe pour toujours et plaide pour une nouvelle politique de détente, tandis que les Verts sont les champions de la Poutinophobie.  
  • - Une coalition « Jamaika » risque de prolonger la stagnation et l’immobilisme de l’ère Merkel. 

 

Berlin

25/09/2017