Du 16 au 22 avril 2018 se sont déroulées, à Washington, les « réunions de printemps » du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (BM). Officiellement l’occasion de discuter «  des grands dossiers mondiaux : conjoncture économique mondiale, lutte contre la pauvreté, développement économique, efficacité de l’aide, etc. »Banque mondiale, Réunions de printemps 2018, http://www5.banquemondiale.org/assemblees/printemps/2018/, ces réunions viennent surtout consolider leur copinage avec les multinationales et confirmer la mise en place de leur agenda néolibéral. Une semaine plus tôt, Christine LagardeDiscours de Christine Lagarde à l’université de Hong Kong le 11 avril 2018. http://www.imf.org/fr/News/Articles/2018/04/09/spring-meetings-curtain-raiser-speech  avait déjà donné le ton : 1. Éviter le protectionnisme sous toutes ses formes, 2. Prévenir les risques budgétaires et financiers, et 3. Promouvoir une croissance

Il s’agit d’abord d’accélérer la cadence des accords de libre-échange et d’investissements promus par les Institutions financières internationales et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) au service des multinationales et du grand capital afin de monopoliser la commercialisation des services publics, l’eau, la terre, bref, tous les biens communs de l’Humanité.

Ensuite, il faudrait prévenir « les risques budgétaires et financiers » liés à la dette publique. En effet, la dette mondiale, publique et privée, a atteint un record de 164 milliards de dollars US. La dette publique des pays « avancés » atteint des niveaux inédits depuis 1945, et de nombreux pays à faible revenu vont connaître un endettement insoutenable. Pour Lagarde il faut donc plus d’austérité au nom du remboursement d’une dette publique en grande partie illégitime.

Enfin le commerce des services est la troisième priorité de Lagarde car il représente un énorme marché pour le grand capital. C’est dans ce contexte que l’accord sur le commerce des services (ACS ou TiSA) est négocié actuellement par 23 membres de l’OMC, dont l’Union européenne (UE). Ensemble, ils représentent 70 % du commerce mondial des services.

Lagarde insiste aussi sur « la transformation numérique de l’administration », surtout pour les pays du Sud, qui facilitera l’accaparement de ses services par les multinationales. Faisons un petit tour d’horizon de quelques sujets traités lors des « réunions de printemps ».Retrouvez le programme complet des « Réunions de printemps ».

Le FMI et la Banque mondiale donnent des leçons de lutte contre la corruption !

Parmi les sujets traités au cours de cette édition, « Les nouvelles frontières de la lutte contre la corruption : renforcer la prévention, en finir avec l’impunité et modifier les perceptions ». La corruption est inhérente au capitalisme. Elle est aggravée par la dérégulation généralisée et la montée en puissance de la finance et de la spéculation, afin de promouvoir des projets coûteux et inutiles (« éléphants blancs ») et destructeurs de l’environnement. Les paradis fiscaux constituent également une forme révélatrice de cette corruption. Mais la lutte contre la corruption ne viendra pas d’institutions qui la favorisent depuis leur création et qui soutiennent, entre autres des dictatures, d’autant plus lorsque que le partenaire privilégié est l’entreprise Siemens, celle-là même qui est empêtrée dans des affaires de malversation en GrèceChristophe Pappas, Case Study #1 : The Siemens Scandal, Siemens Hellas, 1, https://fr.scribd.com/doc/14433472/Siemens-Scandal-Siemens-Hellas

Hypocrisie, stade suprême du développement

A l’heure d’une crise multiple, les défis pour parvenir à la réduction de la pauvreté et au maintien de la stabilité financière internationale sont forcément nombreux.La réduction de l’extrême pauvreté et la stabilité financière internationale sont respectivement les objectifs principaux de la Banque mondiale et du FMI. Pourtant, nous avons là encore de quoi être médusé des sujets abordés.

Pour la question climatique, un classique recours au capitalisme vert, via la « [création] de nouveaux marchés [pour] favoriser la croissance des économies émergentes ».

Pour les questions agricoles, développement de l’agrobusiness avec l’AGRA de la fondation Bill and Melinda GatesRémi Vilain, « Nouvelle révolution verte », CADTM, http://www.cadtm.org/Nouvelle-Revolution-Verte et la multinationale ABinBEV, championne de l’évasion fiscaleMarco Van Hees, « MilliardairesLeaks : les dix premières fortunes belges adorent les paradis fiscaux », http://ptb.be/sites/default/files/documents/2017/05/15/170111_etudeptb_milliardairesleaks.pdf., tout en poursuivant le « Doing Business » et le « Benchmarking Business of Agriculture ». La souveraineté alimentaire des peuples du Sud est bafouée et la dette écologique n’a qu’à bien se tenir !

Cerise sur le gâteau, le FMI et la Banque mondiale – là encore avec la fondation Gates – mises tout sur le développement du « capital humain ». Ainsi considérés comme des biens, les peuples du Sud se verront peut-être accorder cette libre circulation qu’on leur refuse et depuis longtemps déjà accordée aux capitaux et aux marchandises par l’intermédiaire de l’OMC.

De l’hypocrisie à l’absurdité, il n’y a qu’un pas !

Alors que les populations africaines sont loin d’avoir leurs droits humains fondamentaux satisfaits et n’ont accès que pour 37,4% d’entre elles à l’électricité, le FMI et BM mettent la priorité sur le développement de l’économie numérique et d’internet. Et qu’importe les scandales judiciaires et collusions d’intérêts, cela se fera avec « l’aide » de Google, Facebook et Microsoft de Gates, encore. Ils seront les instruments de la bancarisation des populations du Sud avec une extension du système de microcrédit qui accentue la pauvreté des pauvres.

La lutte contre les inégalités hommes-femmes, passera, elle, par la finance en ligne. Il est vrai qu’on ne peut pas agir à la fois contre la question de l’accès, de l’utilisation et du contrôle des terres, question pourtant primordiale pour les femmes, comme cela a été le cas récemment au MaliCADTM Afrique, « Contre l’immixtion de la Banque mondiale dans ,a réforme domaniale et foncière en cours au Mali », 28 aout 2017, http://www.cadtm.org/Contre-l-immixtion-de-la-Banque,15154, et avoir des solutions appropriées contre les inégalités de genre. Étroitement liée aux questions d’inégalités, la couverture santé universelle était également au programme de ces réunions. Pourtant, les derniers agissements de la Banque mondiale et les « réformes budgétaires » exigées par le FMI récemment en Asie et en Afrique contribuent davantage à la destruction de la protection sociale qu’à son élargissement.Stephen Kidd, “Pro-poor or anti-poor ? The World Bank and IMF’s approach to social protection”, http://www.brettonwoodsproject.org/2018/03/pro-poor-anti-poor-world-bank-imfs-approach-social-protection/

Banque mondiale : une augmentation de capital en trompe l’œil

La principale information à retenir de ces réunions de printemps tient probablement dans l’augmentation de capital – via les marchés financiers - de 13 milliards de dollars US de la Banque mondiale. Censée améliorer les capacités de prêt de l’institution auprès des pays dits en développement, elle révèle surtout l’inquiétude de celle-ci quant à sa relative perte d’influence face aux autres catégories de créanciers, en particulier les créanciers privés. Par ailleurs, si la Chine a vu son influence grandir à cette occasion, les États-Unis conservent encore et toujours leur droit de veto avec une quote-part de 16,77%. Pis encore, la Banque mondiale a annoncé l’augmentation des taux d’intérêts de ses prêts dits concessionnels. Rien de particulièrement réjouissant.

La dette reléguée au second rang après … la croissance !

En dépit du discours alarmiste de Lagarde donné le 11 avril 2018 à Hong-Kong sur l’accroissement inquiétant des dettes publiques et privées, le CADTM s’étonne de l’absence – ou presque – de cet axe central lors de cette réunion. Et alors que cette accumulation record résulte pour deux tiers du secteur privé, il est encore plus étonnant de voir la question de la dette associée – uniquement – à la sacro-sainte croissance via le recourt … aux entreprises privées ! Celles-là même qui profitent des bas taux d’intérêts pour se réendetter et rémunérer grassement leurs actionnaires au passage ; celles-là même qui profite des partenariats publics-privés (PPP) pour privatiser les profits et socialiser les pertes sur le dos des peuples ; celles-là même aussi qui pillent les ressources naturelles et exploitent les êtres humains pour leurs gros profits ; celles-là même encore qui créent artificiellement de la richesse en spéculant – notamment entre elles – sur les marchés financiers ; celles-là même donc qui étaient et seront à l’origine d’une nouvelle crise financièreEric Toussaint, « La montagne de dettes privées des entreprises sera au cœur de la prochaine crise financière », http://www.cadtm.org/La-montagne-de-dettes-privees-des. Ils appelleront alors à la rescousse – une nouvelle fois – les États pour renflouer leurs caisses au détriment de la dette publique. Les droits humains fondamentaux seront eux – là encore – sacrifiés sur l’autel de la croissance.

A l’occasion de ces Assemblées de printemps sur fond de nouvelle crise de la dette, le réseau CADTM International :

  • Appelle au démantèlement des accords de libre-échange, qui renforcent l’asservissement des peuples – en particulier du Sud – en accentuant le pillage et le transfert des richesses ;
  • Appelle à la mise en place d’audits citoyens ayant pour but l’abolition immédiate et inconditionnelle des dettes illégitimes, publiques et privées, au Nord comme au Sud et l’abandon des politiques d’ajustements structurels ;
  • Appelle à la mise en place de politiques populaires permettant à la fois la réappropriation des biens publics, la nationalisation du secteur financier pour éradiquer la rente illégitime et la spéculation et mettre fin à tout forme d’impunité ;
  • Appelle au remplacement de la Banque mondiale et du FMI par des institutions démocratiques qui mettent la priorité sur la satisfaction des droits humains fondamentaux dans les domaines du financement du développement, du crédit et du commerce international ;
  • Soutient la mise en place d’une nouvelle discipline financière en restaurant des contrôles stricts sur les mouvements de capitaux et des marchandises, en taxant le capital (taxes globales, impôts sur les grosses fortunes), en levant le secret bancaire, en interdisant les paradis fiscaux, la spéculation et l’usure ;
  • Appelle au remplacement de l’aide publique au développement (APD) par une « Contribution de réparation et de solidarité » exclusivement constituée de dons, et ce, sans aucune conditionnalité ;
  • Appelle à l’élargissement des résistances et à la constitution de coordination militante aux échelles nationale, régionale, continentale et internationale pour des alternatives populaires au capitalisme et ses institutions.

24 avril 2018