T. J. Coles est directeur de l’Institut de Plymouth pour la recherche

Le Pentagone créé les géants de la High tech, pour acheter ensuite leurs services.

Le budget pléthorique du ministère de la défense américain, ainsi que celui du capital-risque de la CIA, a contribué à créer des géants de la technologie, comme Amazon, Apple, Facebook, Google et PayPal. Le gouvernement ensuite a passé des contrats avec ces entreprises pour soutenir ses opérations militaires et de renseignement. Ce faisant, il rend les géants de la technologie encore plus influents.

 

Ces dernières années, les entreprises traditionnelles de la banque, de l’énergie et de l’industrie classées dans le top 500 du magazine Fortune, ont perdu du terrain face aux géants de la technologie comme Apple et Facebook. Mais la technologie dont elles dépendent a pu naître grâce à de la recherche et développement financée par le contribuable lors des décennies précédentes.

L’internet a commencé avec ARPANET, une invention d’Honeywell-Raytheon travaillant sous contrat avec le ministère de la défense (Department Of Defense). Les mêmes satellites qui permettent les communications modernes sur internet permettent également aux U.S.A de bombarder leurs ennemis, avec le GPS qui fournit en ligne des produits d’une extrême précision. La technologie de l’écran tactile d’Apple a servi d’outil à l’US Air Force. Les mêmes drones qui fournissent des vidéos à couper le souffle sont des versions modifiées des Predators et Peapers utilisés par l’armée Us.

La recherche du DoD financée par l’impôt est l’épine dorsale de l’économie moderne, des High Tech. Mais ces technologies sont à double usage. Les compagnies, y compris Amazon, Apple, Facebook, Google, Microsoft et PayPal, sont liées indirectement et parfois très directement à l’ensemble du renseignement militaire américain.

Un récent rapport d’Open the Government, un défenseur bipartite de la transparence, révèle l’ampleur des contrats d’Amazon avec le Pentagone. Fondée en 1994 par Jeff Bezos, la compagnie est maintenant évaluée à 1000 milliards de dollars us, et Bezos détient une fortune personnelle estimée à 131 milliards de dollars us (2018). Open the Government note qu’une grande partie du gouvernement américain « se rue maintenant chez Amazon » tant et si bien que le géant de la Tech a ouvert une succursale près de Washington, DC. Les services fournis par Amazon comprennent des contrats pour le cloud, l’apprentissage automatique et des systèmes de données biométriques. Mais Amazon est en plus épinglée comme profitant d’un contrat lucratif du Pentagone de près de10 milliards de $ pour un programme d’Infrastructure de défense conjoint, « JEDI ». Le Pentagone affirme qu’il espère que la technologie Amazon « améliorera la létalité et l’efficacité opérationnelle. »
Le rapport révèle ce qui peut être dit, mais une grande partie de cette affaire est protégée par le secret défense, et la sécurité nationale. Par exemple, toutes les villes-hôtes qui potentiellement pourraient accueillir le deuxième siège d’Amazon devront signer des accords de non-divulgation.

Selon ce rapport, Amazon a fourni un outil de surveillance à la police, au FBI et au département de la sécurité intérieure, pour les opérations de lutte contre l’immigration : un logiciel de reconnaissance faciale, technologie supposée imprécise mais qui intègre des critères de race et de genre.

Dix pour cent des bénéfices de la filiale Web Services d’Amazon, proviennent des contrats gouvernementaux. Les Ministères concernés sont : le département d’Etat, la NASA, le Food and Drug Administration et les Centres pour la prévention et la lutte contre les maladies. En 2013, Amazon a remporté un contrat de 600 millions $ avec la CIA, pour les Services du Cloud (C2S). C2S permettra la formation et la reconnaissance des empreintes. Le deuxième siège d’Amazon sera construit en Virginie, Etat de résidence de la CIA. Malgré des demandes répétées, la compagnie refuse de révéler comment ses propres logiciels, comme Amazon écho, se connectent avec la CIA.

Mais Amazon est seulement la partie visible de l’iceberg.

Après un article minutieux et une recherche dans le milieu des années 90, il s’est avéré que les futurs fondateurs de Google, Larry Page et Sergey Brin, ont utilisé indirectement le Pentagone et d’autres financements gouvernementaux pour développer des robots d’indexation et de classement des pages. Vers la même époque, la CIA, la direction du renseignement et la National Security Agency - sous les auspices de la National Science Foundation - ont lancé le programme : Massive Data Digital Système (MDDS) (système de traitement de masse des données informatiques). Sergey Brin reconnaît qu’il a été financé par le programme MDDS. Selon le professeur Bhavani Thuraisingham, qui a travaillé sur le projet, « c’est la communauté du renseignement...qui a financé essentiellement Brin, le financement étant simplement complété par de nombreuses autres sources, y compris le secteur privé. » La partie requête du système breveté de PageRank de Google a été développée dans le cadre du programme MDDS. Deux entrepreneurs, Andreas Bechtolsheim (qui a créé Sun Microsystems) et David Cheriton, qui avaient déjà reçu l’argent du Pentagone, ont été les premiers investisseurs dans Google.

Comme Bezos, Brin et Page sont devenus milliardaires.

Le projet Maven du Pentagone (l’algorithme Warfare inter-fonction Team) a été lancé en 2017, une application d’apprentissage automatique pour aider les drones à différencier les humains des objets. La technologie et le personnel ont été fournis par Google, beaucoup d'entre eux l’ont quitté par la suite en signe de protestation quand il s’est révélé que le projet visait la mort d’Irakiens et de Syriens.

En 1999, la CIA a créé une société de capital-risque, Pélée ; et plus tard In-Q-Tel. Une des compagnies de In-Q-Tel était l’entreprise de cartographie Keyhole, achetée par Google dans le milieu des années 2000 et développée dans Google- Earth. En quelques années, les militaires utilisèrent Google-Earth pour cibler des sites en Afghanistan. En 2005, In-Q-Tel a investi 2,2 millions dans Google. Et en 2010, la CIA et Google ont énormément investi dans Recorded Futures, une société de suivi des réseaux sociaux.

Un autre milliardaire, Peter Thiel, a créé PayPal et Palantir. Avec 2 millions de dollars d’investissement provenant d’In-Q-Tel, Palantir a été lancé en 2004 pour analyser des données fournies par la CIA sur l’Afghanistan et l’Irak. Il a été testé en Nouvelle-Orléans dans le cadre du programme de « police préventive » pour la police locale. Palantir recueille les données personnelles de citoyens à partir de diverses sources. Il permettrait de découvrir des suspects présumés, potentiels, futurs, et il est assorti de légendes comme « Collègue de..., » « Vit avec..., » « Propriétaire de..., », « Frère de..., » et « Amant de..., ». Palantir est également utilisé par les autorités pour le contrôle de l’immigration.

Alors que l’on accuse la Russie d’ingérence dans les élections américaines et d’être responsable du Brexit, les médias occidentaux sous-estiment le rôle de Palantir utilisé en collaboration avec Facebook pour créer des profils psychographiques des électeurs potentiels.

Ces exemples montrent que, en plus de tenter de façonner le monde dans l’intérêt des élites américaines, l’arrière-pensée du Pentagone est de financer l’industrie high tech pour stimuler cette nouvelle économie dont il profite. Cette même haute technologie, qui existe dans un système dit de la « libre entreprise », crée non seulement des monopoles, mais elle le fait avec l’argent des contribuables. Espionné et manipulé par les technologies qu’il finance, le public, en tant que consommateur, doit alors payer pour les services fournis par ces géants de la technologie. Un cercle vicieux.

22 mai 2019, counterpunch

T. J. Coles est directeur de l’Institut de Plymouth pour la recherche