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« Rien n’est plus abominable que des inquiétudes qui ne sont pas fondées ». Sacha GuitryHomme de théâtre (1885/1957)

Dans un texte récent au sujet des affiliations internationales de la CGT, Bernard Thibault a voulu mettre en garde les délégués du 52e congrès confédéral de la CGT 52e congrès confédéral de la CGT, Dijon, du 13 au 17 mai 2019... Il a ainsi affirmé qu’avec

l’affiliation de la CGT à la Confédération Européenne des Syndicats (CES) et à la Confédération Syndicale Internationale (CSI) : « C’est toute la conception de notre organisation et sa vision du syndicalisme qui est en question « La CGT et la CES, un point de vue de Bernard Thibault », Syndicollectif, 17 avril 2019 ».

Au risque de surprendre, je dirai pour ma part que je suis d’accord avec ce constat, surtout si cela signifie que les orientations de la CGT sont dorénavant compatibles avec ces deux organisations. Bien sûr être d’accord avec le constat est une chose, partager son contenu est une autre chose !

Car justement, est-ce le cas ? Pour certains, cela semble aller de soi, mais en sommes-nous si sûr ? La clarté du débat exige d’éviter toutes ambiguïtés. Tout le monde sera d’accord qu’il faut éviter les options partisanes ou les constats définitifs. Il est, en effet, préférable de contribuer à faire avancer la réflexion de tous et de toutes à partir des positions réelles de chacun.

Il est donc utile qu’elles s’expriment. Il ne faut pas s’en inquiéter !

Pourquoi faudrait-il s’en plaindre, pourquoi craindre fébrilement une discussion que l’on annonce comme contradictoire, pourquoi y voir des intentions obscures ! Après, tout un Congrès cela doit servir à tout mettre sur la table, faire un bilan, en discuter de manière fraternelle et responsable donc sans fantasmes, ni caricatures.

Or, si l’on tient compte des prises de position de ces derniers jours, il semblerait que des camarades souhaitent prendre une autre direction que celle de répondre à des interrogations nombreuses et bien légitimes. Donc résumons, selon certains camarades, l’engagement international de la CGT se réduirait de manière assez simpliste à quitter la CES pour adhérer à la Fédération Syndicale Mondiale (FSM)« Un internationalisme en actes. Une contribution collective pour le Congrès de la CGT », Syndicollectif, 6 mai 2019 . N’est-ce pas aller vite en besogne ou alors n’est-ce pas vouloir faire diversion quant à des problèmes réels qui se posent dans la CGT et beaucoup moins semble-t-il dans la CES et la CSI.Car au fond ce qui est en débat, là où celui-ci a lieu, ce sont bien les orientations défendues par la direction de la CGT pour ce Congrès. C’est-à- dire la stratégie, les alliances, les pratiques, le fonctionnement même de la Confédération dont la question des affi

liations n’est pas indépendante mais totalement dépendante. Au fond de quelle CGT avons-nous besoin ? C’est à cette vraie question qu’il faut répondre !Mais comme Bernard Thibault et d’autres camarades ont exprimé sur ce problème des affiliations internationales une opinionsimplificatrice à l’excès, j’ai ressenti le besoin de m’exprimer, en espérant que cela sera utile aux réflexions plus générales.

Qu’en est-il ?

Bernard Thibault parle de l’affiliation de la CGT à la CES comme le résultat de circonstances. Ainsi comme dans la belle au bois dormant de Charles Perrault, il explique qu’après 20 années, soudainement le syndicalisme européen en serait venu à considérer qu’il ne pouvait vivre sans la CGT.

Toutefois, bien avant cette décision il ne précise pas que la quasi-totalité des organisations syndicales en Europe était partisane de l’acceptation de la CGT dans les rangs de la CES. Mais alors dira-t-on, si c’était le cas pourquoi ne pas l’avoir fait avant ? Certes les statuts de la CES ne le permettaient pas, mais surtout l’opposition de la CFDT et de FO l’en empêchait. Ce qui fit la différence ce ne sont pas les circonstances, mais le changement d’orientation stratégique et la conversion au respect des institutions européennes dont la CGT fit le choix. D’ailleurs Bernard Thibault les revendique, ce qui est parfaitement son droit.

En effet, c’est cela et rien d’autre qui entraîna la levée des écrous et le feu vert de Nicole Notat Nicole Notat ancienne secrétaire générale de la CFDT, PDG de Vigéo/Eiris. Membre du groupe de réflexions sur l’avenir de l’Europe, proche d’Emmanuel Macron. ! Il est vrai également qu’elle fut négociée et obtenue par Louis Viannet et non par Bernard Thibault sur la base de nos nouveaux choix européens et des concessions supplémentaires exigées par la CFDT.

Evidemment 20 ans après avoir rejoint les rangs de la CES et de la CSI, le bilan n’est pas particulièrement positif. En réalité, cela est même pire, puisque de nombreux militants et syndicats s’interrogent sur l’utilité de ces deux affiliations internationales. Quoi de plus normal, quand ces deux confédérations sont invariablement aux abonnés absents des luttes sociales qui se mènent en France, comme ailleurs. Il serait intéressant de savoir ce que les militants CGT et les travailleurs dans les entreprises savent de ce que font ou ne font pas la CES, la CSI ? Connaissent-ils déjà l’existence de ces organisations ?

Pour répondre, se cacher derrière la critique de la CES et la CSI dont l’activité serait jugée insuffisante et insatisfaisante pourrait être un argument qui prête à sourire. Il nous faut donc faire preuve de lucidité et de mesure.

D’abord comme le propose Bernard Thibault peut-on s’imaginer voir la CES « prendre le chemin de la rue » pour contester les choix des institutions européennes ? Evidemment, non ! Par insuffisance ou négligence de sa part ? Encore moins, mais tout simplement parce que ce n’est pas son rôle ! De ce point de vue on ne saurait lui reprocher d’être parfaitement cohérente avec elle-même, c’est à dire avec la fonction institutionnelle qui est la sienne. Le problème par contre, c’est de savoir si la CGT est cohérente avec elle-même, c’est-à-dire avec les positions qu’elle dit défendre vis à vis et au sein de la CES ?

Par exemple la CES a soutenu le traité de Maastricht que la CGT a combattu. La CES est bien sûr en faveur de l’Euro. Mais aussi des Traités européens comme celui de Lisbonne qui a piétiné le vote d’une majorité de français, tout particulièrement celui des travailleurs. C’est pourquoi fort logiquement la CES se prononce pour une plus grande intégration supranationale. Ceci d’ailleurs l’avait amené à soutenir le projet de constitution européenne que la CGT avait rejeté. Bernard Thibault doit s’en souvenir.

D’ailleurs ce dernier reconnaît lui-même que “ la CES est un outil indispensable pour une transformation politique et institutionnelle de l’Europe” Bernard Thibault, déjà cité.. C’est à dire en langage clair pour plus d’intégration supranationale, position qui n’est pas une surprise venant de la part de quelqu’un qui avait dû en 2005 se résigner au vote du CCN de la CGT Comité Confédéral National de la CGT : l’instance la plus importante entre deux congrès.. 20 ans après, personne ne lui reprochera son obstination !

Depuis, ce postulat a été confirmé par la déclaration des syndicats français avec le DGB allemand Déclaration commune : « l’Europe que nous voulons » CGT, CFDT, CFTS, UNSA, FO et DGB, 9 novembre 2018 avant la ratification du traité d’Aix La chapelle par Angéla Merkel et Emmanuel Macron sur la coopération et l’intégration franco-allemande. Dans ces conditions, une question se pose, à laquelle bien des militants aimeraient une réponse ! Que devient le combat de la CGT pour le respect de la souveraineté nationale et la souveraineté du peuple, sujets qui ne sont pas indépendants des exigences démocratiques légitimes du mouvement des gilets jaunes, dont l’actualité du combat semble avoir disparu des radars confédéraux.

On l’admettra, ce ne sont pas là des préoccupations secondaires. Qu’en pensent les délégués au 52e Congrès confédéral de la CGT ? Sont-ils d’accord ou ont-ils changé d’opinion à ce sujet ? Il faut espérer que la discussion le montrera !

Autre exemple l’action pour la paix. C’est un sujet sur lequel à juste raison la CGT à une opinion critique sur son activité, ou plutôt son manque d’activité. Il est vrai, que depuis Henri Barbusse la coopération et le désarmement sont des sujets qui de tout temps ont mobilisés la CGT. Or, la CES tout comme la CSI ne s’opposent pas aux politiques d’ingérences y compris militaires dans les affaires intérieures d’états indépendants et cela contrairement à la Charte des Nations Unies.

C’est ce que Bernadette SegolBernadette Segol, ancienne secrétaire générale de la CES, interview à l’Humanité. 25 mai 2011. avait déclaré, et ce fut le cas en Afghanistan, en Irak, en Syrie, en Lybie ! Qu’en diraient les délégués si on leur posait la question ? A ce sujet, qu’en est-il du Venezuela ou il faut rappeler que l’affilié de la CSI : la CTV avait bénéficié des largesses financières de l’AFL-CIO CTV : Centrale des Travailleurs du Venezuela, affiliée à la CSI. Son leader Carlos Ortega était un des initiateurs du coup d’état contre Chavez. Il avait pour cela bénéficié d’une contribution de 154 377 dollars de la part de l’AFL-CIO, vis son « Solidarity Center », impliqué par ailleurs dans 90 pays. qui est un de ses autres affiliés pour soutenir en 2002, un coup d’état factieux dans ce pays ? A-t-on entendu, ou vu la CSI « prendre la rue » pour protester contre les tentatives de putsch à Caracas de la part des mêmes forces qui hier s’opposaient à Chavez ?
Si, comme le dit B. Thibault nos orientations ne sauraient obéir à un « supplément d’âme, ou un phénomène de mode »«Un internationalisme en acte», déjà cité., ils semblent donc aller de soi qu’elles doivent correspondre pour l’essentiel avec les orientations, les stratégies, les visions et les pratiques qui sont celles des organisations avec lesquelles on a fait le choix de s’affilier, dans ce cas : la CES et la CSI.

Or, la large majorité des adhérents de la CES, de la CSI n’ont aucun problème avec la politique des puissances occidentales, Washington en tête, ou encore avec le néo libéralisme qu’ils veulent au mieux aménager en lui donnant un visage humain. Il est vrai que la CSI compte dans ses rangs un grand nombre de syndicats dont la relation incestueuse avec leur gouvernement, le patronat, les institutions supranationales est une réalité comme c’est le cas en Israël avec la Histadrout ce syndicat corrompu qui s’accommode très bien du massacre des Palestiniens à Gaza et qui est indéfectiblement solidaire du criminel Netanyahu.

N’évoquons pas ici la mainmise de la CSI sur l’OIT ou le « pluralisme » dont parle Bernard Thibault, membre du conseil d’administration, qui est une pantalonnade. Guy Ryder l’actuel directeur général de l’OIT n’est-il pas l’ancien secrétaire général de la CISL puis de la CSI. Passons sur l’indépendance financière de la CES dont le budget est assumé à hauteur de 75% par les institutions de Bruxelles.

D’ailleurs si l’on observe attentivement ce qu’a été l’activité internationale de la CGT depuis le précédent Congrès de Marseille, on peut dire que pour l’essentiel son activité a coïncidé avec les orientations défendues par la CES et la CSI. Il est donc faux, et même contradictoire d’affirmer que ces affiliations n’auraient « aucune influence sur la détermination de nos prises de position» « Un internationalisme en actes » déjà cité. Car sinon à quoi sent-il d’être affiliés internationalement ?

Pour Bernard Thibault comme d’autres camarades dont on a pu lire le vibrant appel à rester dans la CES et la CSI, il faudrait y être pour avec d’autres confédérations de luttes infléchir les orientations de ces deux organisations dans un sens plus combatif. Si l’on tient compte des faits évoqués plus haut, c’est évidemment très louable, mais ni réaliste, ni crédible. Par ailleurs, cet argument a été utilisé, il y a plus de 20 ans avec les résultats que l’on sait. Le bilan est de ce point de vue accablant, et ne risque pas d’être démenti par le prochain Congrès de la CES qui fera suite à celui de la CGT, ni après celui de la CSI qui s’est conclu par la déroute de certaines ambitions ne touchant pas aux orientations mais plus prosaïquement aux choix affligeant des dirigeants. Lutte des places ou lutte des classes ?

On rêve donc d’une CES et d’une CSI plus combatives quand il faudrait réfléchir sur les causes de l’abîme entre les nécessités et les réalités. Pour aider à s’en convaincre, on pourrait prendre comme mètre étalon le nombre de manifestations à Bruxelles. Elles sont aujourd’hui quasi inexistantes, sans parler d’une absence de soutien aux luttes en cours. On notera toutefois que le 26 avril la manifestation à Bruxelles de 8000 participants (selon la CES) se réduisit à un appel pathétique à voter aux élections européennes.

Enfin nous dit-on, le monde a changé, la société a évolué, le syndicalisme et le rapport des forces ne sont plus les mêmes. Il faut nous transformer, abandonner nos certitudes ! Bigre, cela signifie-t-il qu’il faudrait en rabattre ou tout au contraire trouver des raisons supplémentaires de lutter contre la malfaisance du capitalisme et les ambitions hégémoniques de l’impérialisme le plus puissant ? À travers, une mondialisation source principale de l’explosion des inégalités dans le monde, de l’affairisme, de la corruption, du pillage des richesses, de la prédation et la destruction de l’environnement ?

Bizarrement on ne répond pas !

Pourtant, on serait tenté de dire qu’il faut s’unir, chercher et construire les convergences avec toutes les forces sociales et politiques qui sont disponibles dans le monde pour résister à ce rouleau compresseur qui met en cause le devenir même de l’humanité toute entière. Qui peut prétendre que seul, il aura la force de surmonter les obstacles, de faire face aux défis, être à la hauteur de ce que la situation exige !

Pour ma part, je pense que cela implique comme nous le disions, mais comme nous avons cessé de le dire « un renouveau des relations syndicales internationales ». C’est-à-dire des relations sans exclusive, sans ostracisme, dans le respect de chacun, sans jugements de valeur ni a priori. Cela signifie des relations et des coopérations normales avec tous les syndicats qui veulent agir, mobiliser, unir, et cela, depuis les lieux de travail. Cela exige la mise sur pieds de coordinations nécessaires inter professionnelles autant que professionnelles afin de peser plus fort et en faveur d’un rapport de force qui puisse contribuer à gagner partout et ensemble, pas les uns sans les autres.

Faire ces choix devrait impliquer toutes les organisations et structures syndicales internationales et par conséquent oui la FSM et ses affiliés.

Rien de plus mais rien de moins...

Nous n’en sommes pas là, mais justement pourquoi ? De quoi avons-nous peur ? Manquons-nous de convictions sur la validité de notre démarche comme sur celle de la CES et de la CSI ?

En sommes-nous restés 30 ans en arrière, au Mur de Berlin, à la guerre froide et à la prétendue fin de l’histoire ?

Affirmer dans un appel de syndicalistes CGT que « la FSM est encore plus refermée sur elle-même que lorsque nous l’avons quitté»Appel « Pour un internationalisme en actes » déjà cité est non seulement faire preuve d’ignorance, c’est profondément malhonnête et c’est surtout insultant pour les presque 100 millions dans 130 pays qui en sont membres, y compris des organisations de la CGT. Qu’en pensent les syndiqués du CITU en Inde, de la CTB au Brésil, de la COSATU en Afrique du Sud, de PAME en Grèce, de la CTC de Cuba. Comment concevoir des relations normales, constructives et « civilisées » de manière aussi méprisantes ? Cela est d’autant plus choquant qu’il s’agit là d’organisations qui n’ont de cesse de manifester concrètement leur solidarité aux luttes des travailleurs en France. N’avons-nous donc rien à apprendre des autres pour manifester autant d’arrogance ?

En 1995, la CGT avait fait le choix de travailler avec tous sans exclure quiconque, dans une démarche de respect mutuel. Elle reposait sur une analyse objective qui était et demeure celle d’un syndicalisme international dont l’institutionnalisation, le manque de visibilité et l’inefficacité demeure des réalités. Cette orientation indépendante loin de nous marginaliser comme le laissent entendre certains nous avaient permis de réunir 110 délégations étrangères au 45e congrès d’une grande diversité et de toutes affiliations internationales. Elle avait été unanimement approuvée par les délégués. En quoi la situation a-t-elle changé au point d’obliger la CGT à renoncer à ces engagements ?

Certains camarades parlent d’un programme international d’actions en faveur du droit de grève et des libertés, du progrès social, très bien ibid. Mais, justement attaquons nous ensemble aux causes véritables et pas uniquement aux conséquences, c’est-à-dire à la logique et la nature même du capitalisme et des politiques de domination impérialiste qui sont à l’origine de ces problèmes. De telles exigences ne passent pas par la défense boutiquière d’affiliations là ou ailleurs, mais par une volonté politique réelle, qui ne saurait être réduite à l’usage de la rhétorique, mais qui tout au contraire implique des actes !

Oui, la CGT est unitaire et internationaliste. Elle l’était bien avant la FSM, la CISL/CSI, la CES. Elle n’a jamais réduit ses engagements à des affiliations. Elle s’est toujours déterminée en toute indépendance, à partir de ses principes, de ses orientations de classe de sa fidélité aux intérêts souverains des travailleurs et de notre peuple, pour les revendications et pour changer la société. Ce ne sont pas les appartenances qui ont décidé depuis sa naissance de ces engagements en faveur de la solidarité internationale des travailleurs. C’est méconnaître et mépriser l’histoire de la CGT que feindre d’ignorer le travail de générations de militants pour construire des relations bilatérales et multilatérales fortes. Ce combat la CGT ne saurait le déserter, cela implique une autre hauteur de vues que la justification fébrile d’affiliations à la CES et à la CSI qui pour l’heure sont loin d’avoir convaincus les militants de la CGT. Le moment est venu d’en faire le bilan et de prendre des décisions en conséquence. C’est la responsabilité des syndicats CGT et de nul autre.

12/05/2019