Fascisme, à l’américaine

Les États-Unis sont confrontés à une situation la plus dangereuse depuis la guerre civile. Donald Trump a dit à la nation qu’il ne respecterait pas nécessairement les résultats de l’élection de novembre, que la violence ne pouvait pas être exclue dans le sillage de l’élection, et qu’une victoire de Joe Biden serait frauduleuse.

Lors du débat tumultueux de la semaine dernière, Trump a menacé de contester une défaite possible lors de l’élection du mois prochain, à la Cour suprême, à la Chambre des représentants, voire la réaction de la « rue ». Et le procureur général William Barr a déclaré qu’il ne suivrait les résultats de l’élection que si les résultats étaient « clairs ».

Dans les années 1930, le fascisme et le communisme en Europe ont remis en question l’internationalisme libéral et le mondialisme qui se sont développés après la Première Guerre mondiale. En 1933, Adolf Hitler, chancelier depuis moins d’un mois, exploitait un mystérieux incendie au Reichstag, le parlement allemand, pour obtenir une loi instaurant l’état d’urgence créant le prétexte pour former une dictature.

À la suite d’un mystérieux incendie à l’église épiscopale St. John’s, le 1er juin 2020, l’administration Trump a lancé une série de déclarations et d’actions provocatrices. Cette propagande a remis en question la crédibilité des élections de novembre et la souveraineté de nos institutions dirigeantes.

Les actions de Trump dans le sillage de l’incendie de l’église étaient profondément symboliques, en particulier la photo blasphématoire avec une bible à l’envers à la main.

Il a reçu le soutien du procureur général Barr et la participation du secrétaire à la Défense Mark Esper et du président des chefs d’état-major interarmées, le général Mark Milley. Esper et Milley se sont excusés pour leur participation à la marche de Trump sur Lafayette Square en réponse à l’incendie, mais Barr a renchéri sur sa défense partisane de Trump. Barr a menti sur son rôle dans cette marche sur Lafayette Square, et a rejoint Trump en jetant le doute sur le caractère sacré de notre système de vote.

Avant même que Barr n’orchestre le retrait violent des manifestants pacifiques rassemblés sur la place, Trump a fait une courte déclaration dans la roseraie de la Maison Blanche en appelant les États à utiliser la Garde nationale pour « nettoyer les rues » et a promis que, s’ils ne le faisaient pas, il « déploierait l’armée américaine et résoudrait rapidement le problème à leur place ».

Trump a encouragé la violence dans les rues pour justifier le recours à la force fédérale, qui est l’élément clé de sa campagne : l’accent mis sur la loi et l’ordre.

Trump est le premier président américain à tolérer la force contre les journalistes, qui assistent à ses rassemblements de campagne. Lors de l’un d’eux dans l’État du Minnesota, Trump a justifié l’action contre le journaliste de MSNBC, Ali Velshi, blessé par une balle en caoutchouc, comme une « belle chose ». C’est ce qu’il appelle la loi et l’ordre.

Trump a répété son commentaire diffamatoire plusieurs jours plus tard dans l’état de Pennsylvanie, se référant à Velshi « ce journaliste idiot. » Sentant le rire de la foule, Trump a poursuivi : « Et il est tombé en criant, j’ai été touché ! J’ai été touché. » Et rappelant un autre incident où les forces de la Garde nationale se sont déplacées contre une foule qui comprenait des journalistes, Trump a lancé « Ils l’ont bousculé [le journaliste] comme si c’était un petit sac de pop-corn ».

Lors d’un événement de campagne dans le Montana en 2018, Trump a félicité le représentant Greg Gianforte (élu du parti républicain) pour avoir frappé un journaliste du Guardian. Et en 2016, Trump a stigmatisé le handicap physique d’un journaliste du New York Times qui assistait à son meeting.

Ses références constantes à la presse comme « ennemi du peuple » découle d’une stratégie fasciste. C’était l’une des calomnies préférées de Joseph Staline.

Trump et Barr exacerbent la polarisation politique du pays, contre les maires démocrates des grandes villes en menaçant de réduire le financement fédéral. Ils ont accusé ces maires d’avoir permis à « des émeutiers et des anarchistes de s’engager dans la violence et la destruction ».

Lorsque Trump a essayé de réduire le financement de plusieurs villes pour leurs politiques d’immigration, la cour d’appel fédérale a statué que cette décision violait la séparation des pouvoirs inscrite dans la Constitution.

Mais Trump a politisé les tribunaux, nommant plus de 200 juges fédéraux ainsi que trois juges à la Cour suprême. Barr a suggéré d’utiliser les lois sur la sédition pour poursuivre les manifestants et les fonctionnaires municipaux qui ne les contestaient pas.

Alors que de nombreux politiciens et experts libéraux perdent leur temps à évaluer qu’elle a été l’influence russe lors des élections américaines de 2016 et 2020, Trump et Barr font avancer leur campagne fasciste, accusant nos écoles et nos universités de « réécrire l’histoire américaine pour enseigner à nos enfants que nous étions fondés sur le principe de l’oppression, et non de la liberté ».

Lors d’un événement aux Archives nationales, Trump a accusé : « la gauche a déformé et souillé l’histoire américaine avec des tromperies, des mensonges et des mensonges. »

Trump, qui n’était pas familier avec la vie et les œuvres de Frederick Douglass (écrivain noir ex esclave 1818/1895), n’a probablement jamais lu un livre sur l’histoire des États-Unis ou démontré de la curiosité - et encore moins de la compréhension - de notre passé.

Le ministère de l’Éducation de Trump s’en est pris à nos écoles publiques, qui risquent déjà de prendre du retard par rapport à leurs homologues européens et asiatiques. Il y a un soutien dans le pays pour l’éducation anti-raciste, mais Trump et la secrétaire à l’Éducation Betsy DeVos exhortent « l’éducation patriotique » à minimiser le rôle central de l’esclavage.

Les attaques de Trump contre le changement climatique et la science ainsi que contre le coronavirus et la santé publique, vont affaiblir encore davantage nos établissements d’enseignement.

Trump conçoit sa troisième nomination à la Cour suprême comme la garantie de sa réélection, même s’il ne parvient pas à obtenir une majorité populaire. Non seulement Trump ne veut pas déclarer qu’il quittera ses fonctions, mais Barr a dit qu’il ne partirait que si les résultats étaient « clairs ».

Trump ne s’engagera pas non plus à une succession pacifique, considérée comme une caractéristique de notre démocratie. « Débarrassez-vous des bulletins de vote », affirme M. Trump, et « il n’y aura pas de transfert de pouvoir ». Il y aura une continuation.

La campagne de l’administration Trump contre une élection libre et équitable est sans précédent dans l’histoire des États-Unis. La campagne Trump a menacé d’avoir des « surveillants » dans la rue le jour de l’élection pour intimider les électeurs, et a de munir ces « surveillants » de caméras et de téléphones cellulaires dans les bureaux électoraux des villes clés. Les responsables républicains au niveau de l’État limitent le nombre d’urnes dans les États pour compromettre l’élection de novembre.

John McNeill, professeur d’histoire à l’Université de Georgetown, a pris note d’autres aspects « fascistes » de la présidence Trump, y compris sa façon de décrire les États-Unis comme victimes d’étrangers ; le militarisme du Département de la sécurité intérieure ; sa volonté d’utiliser la violence contre les manifestants pacifiques ; et sa méfiance à l’égard des accords internationaux. On a beaucoup parlé du retrait de Trump des accords et institutions internationaux, ce qui a renforcé le cynisme à l’égard de l’internationalisme libéral et du mondialisme.

Il a fallu beaucoup trop de temps aux médias traditionnels pour reconnaître et déplorer le racisme de Trump. L’interdiction raciste de l’immigration a été introduite en 2017, et le rassemblement de la suprématie blanche à Charlottesville a également eu lieu en 2017. La « national public radio » cependant, n’a pas appliqué le mot « raciste » à Trump jusqu’à l’été 2019, quand il a tweeté que quatre femmes démocrates du Congrès - toutes femmes de couleur- devraient « retourner » d’où elles viennent. De même, la télévision par câble n’a pas fait référence aux nombreux mensonges de Trump jusqu’à récemment, lorsque les réseaux câblés ont commencé à introduire des corrections aux « faits alternatifs » du président. Lorsque la conseillère principale de l’époque, Kellyanne Conway, a attribué à l’administration le mérite d’avoir offert des « faits alternatifs », elle a déclaré le droit de mentir.

Les premiers jours de la présidence Trump ont été dominés par une série de mensonges concernant la taille de la foule venue pour son investiture.

Au lendemain de l’inauguration, nous avons été témoins des pitreries d’un président obsédé par les défilés et les rassemblements en son nom. Il y a une certaine vérité à l’idée que la visite de Trump au mont Rushmore (avec les figures sculptées des quatre présidents historiques) l’été dernier n’a été que l’occasion de faire une photo.

Les rassemblements de campagne actuellement organisés sont particulièrement répugnants compte tenu du mépris envers les recommandations des CDC (centres de contrôle et prévention des maladies) concernant le danger de la contagion et l’importance des masques. Herman Cain, un ancien candidat à la présidence, est mort du coronavirus vraisemblablement contracté lors du rassemblement de Trump à Tulsa.

L’affichage vulgaire de feux d’artifice épelant le nom de « Trump » à la convention républicaine en août n’était pas sans rappeler les rassemblements vulgaires à Nuremberg d’Hitler.

Les tendances répugnantes et fascistes de Donald Trump sont bien établies. Le philosophe John Locke a averti que « partout où la loi disparait, la tyrannie commence ».

Les menaces de Trump concernant les résultats de l’élection présidentielle de novembre, de l’élection à la Cour suprême, ou à la Chambre des représentants, ou même, la réaction de la « rue », doivent nus avertir que notre Nation a atteint un point de rupture dangereux. Trump a encouragé ses partisans à « aller aux urnes » et à « surveiller très attentivement » ce qui s’y passera.

Le président a demandé aux Proud Boys, une bande de voyous de droite, de « ne pas reculer et de se tenir prêts ». Le 3 novembre, nous apprendrons si les États-Unis décident de renforcer leur république démocratique ou de prendre la voie du fascisme autoritaire.

5 octobre 2020, Couterpunch

Melvin A. Goodman est chercheur principal au Center for International Policy et professeur à l’Université Johns Hopkins.