La lutte des GKN* : « Arrêtons les délocalisations »

 « L’assemblée permanente des travailleuses et des travailleurs de Gkn à Florence a voté le le 26 août devant les portes de l’établissement, un document d’orientation pour une loi contre les délocalisations, rédigé avec l’aide d’un groupe de juristes du travail,.

« Pas de loi sur nos têtes, mais une loi qui est écrite avec nos têtes. Nous sommes prêts à présenter le texte de la loi, à l’enrichir aux portes de chaque entreprise, à le soutenir sur les places. » Insorgiamo (Insurection)

Délocaliser une entreprise en bonne santé, transférer sa production à l’étranger dans le seul but d’augmenter le bénéfice des actionnaires, ne constitue pas un libre exercice d’initiative économique privée, mais un acte contraire au droit du travail, protégé par l’art. 4 de la Constitution. Cela est d’autant moins acceptable pour une entreprise qui a bénéficié d’interventions publiques visant à la restructurer ou à la réorganiser ou à maintenir les niveaux d’emploi, car l’État, dans le respect de son obligation de garantir l’égalité substantielle des travailleurs et de protéger leur dignité, a pour mandat constitutionnel d’intervenir pour endiguer les tentatives d’abus de la liberté économique privée (article 41, Coût.).

Dans ce contexte, les licenciements annoncés par GKN se placent déjà aujourd’hui en dehors de la loi et en contradiction avec la Constitution et la notion de travail et d’initiative économique définis par cette dernière.

Cette violation flagrante des principes de la loi exige que des instruments réglementaires soient mis en place pour rendre effective la protection des droits en jeu. C’est pourquoi il faut une réglementation qui contrecarre le démantèlement du tissu productif, assure la continuité de l’emploi et sanctionne pleinement les comportements illicites des entreprises, en particulier celles qui ont bénéficié de facilités économiques publiques.

Cette réglementation doit être efficace et ne pas se limiter à une simple déclaration d’intention. C’est pourquoi nous estimons que les projets de décret gouvernemental qui ont été rendus publics sont insuffisants et inacceptables : ils ne contrecarrent pas efficacement les phénomènes de délocalisation, ils sont dépourvus de sanction, ils ne garantissent pas les emplois et la continuité productive d’entreprises saines, ils n’impliquent pas les travailleurs et leurs représentants syndicaux.

Nous estimons qu’une règle visant à lutter contre le démantèlement du tissu productif et à garantir le maintien des niveaux d’emploi ne peut être indépendante des principes suivants indispensables :

  1. Face à des conditions objectives et contrôlables, l’autorité publique doit être habilitée à refuser l’ouverture de la procédure de licenciement collectif par les entreprises.
  2. L’entreprise qui envisage de fermer un site de production doit informer au préalable l’autorité publique et les représentations des travailleurs présents dans l’entreprise et dans les entreprises éventuellement sous-traitantes, ainsi que leurs organisations syndicales et les organisations les plus représentatives du secteur.
  3. L’information doit permettre un contrôle sur la situation patrimoniale et économique et financière réelle de l’entreprise, afin d’évaluer la possibilité d’une solution alternative à la fermeture.
  4. La solution alternative est définie dans un plan garantissant la continuité de l’activité productive et de l’emploi de tous les travailleurs impliqués dans cette entreprise, y compris les travailleurs éventuellement employés intérimaires dans l’industrie et les activités externalisées.
  5. Le plan est approuvé par l’autorité publique, avec l’avis positif contraignant de la majorité des travailleurs concernés, exprimé par leurs représentations. L’autorité publique assure et contrôle le respect du Plan par l’entreprise.
  6. Aucune procédure de licenciement ne peut être engagée avant la mise en œuvre du Plan.
  7. La cession éventuelle de l’entreprise doit prévoir un droit de préemption de la part de l’État et de création de coopératives de travailleurs employés dans l’entreprise, y compris avec le soutien économique, des incitations et des facilités de l’État et des institutions locales. Dans toutes les hypothèses de cession, la continuité de la production de l’entreprise, le plein emploi des travailleuses et des travailleurs et le maintien des traitements économiques et réglementaires doivent être garantis. Dans les cas où les cessions ne sont pas en faveur de l’État ou de la coopérative, un contrôle public de la solvabilité des cessionnaires doit être prévu.
  8. Le non-respect par l’entreprise des procédures décrites ci-dessus entraîne l’illégalité des licenciements et complète la sanction de son comportement antisyndicale au sens de l’art. 28 l. 300/1970.

Nous estimons qu’une législation fondée sur ces huit points et sur l’identification de procédures objectives est le seul moyen de mettre en œuvre les principes constitutionnels et ne va pas à l’encontre de l’ordre européen. Ainsi que l’a expressément reconnu la Cour de justice (C-201/2015 du 21.12.2006), en effet, « lorsqu’un État membre prévoit dans sa législation nationale, que les plans de licenciement collectif doivent, avant toute mise en œuvre, être notifiés à l’autorité nationale, qui dispose de pouvoirs de contrôle lui permettant, dans certaines circonstances, de s’opposer à un tel plan pour des raisons liées à la protection des travailleurs et de l’emploi, cette législation ne saurait être considérée comme contraire à la liberté d’établissement garantie par l’article 49 TFUE ni à la liberté d’entreprise consacrée par l’article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l’UE. »

Nous estimons également qu’elle constitue un premier pas vers la reconstruction d’un système de garanties, de droits du travail, et de la dignité des travailleuses et des travailleurs.

Afin de permettre une évaluation réfléchie des intérêts découlant du texte de l’acte législatif en cours, nous estimons nécessaire et immédiatement une suspension par le gouvernement des procédures de licenciement ex 1. 223/91 engagées à ce jour par les entreprises.

Document Approuvé par l’assemblée permanente des travailleuses et des travailleurs Gkn à Florence.

* GKN est un fabricant de composants automobiles et aéronautiques britannique basé à Redditch, au Royaume-Uni. 

3 Septembre 2021, Contropiano

 

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Lutter contre les délocalisations

Par

Pierluigi Panici – Carlo Guglielmi

Selon le célèbre dictionnaire de Tommaseo, le mot loi vient du grec « leghein » qui signifie « choisir » mais aussi « dire » et donc « les délibérations du peuple dans les assemblées publiques pour que tout le monde soit informé ».

C’est ce que les travailleurs du GKN ont su faire : étant donné que leur lutte a conduit le gouvernement à formuler une hypothèse de réglementation « anti délocalisation », ils ont répondu par le slogan extraordinaire de « pas sur nos têtes, mais avec nos têtes » en invitant lors de la nuit du 26 août à un « rassemblement public ».

En appelant les juristes à l’usine, ils nous ont permis de comprendre que la portée exemplaire de l’annonce de GKN n’est pas dans la manière dont la fermeture a été annoncée, comme Bonomi (président du patronat de la confédération industrielle italienne) le dit, mais dans la provocation du fonds Financier Melrose contre les travailleurs.

Le fait est que GKN dispose de machines de pointe, d’une formation élevée du personnel, de commandes en cours et de matériaux en stock plus que suffisants pour continuer à produire dans un équilibre économique et une rentabilité.

Or, le fonds financier qui en est propriétaire n’a pas l’intention de le restructurer ou de le convertir, mais de le fermer et d’abandonner l’Italie !

C’est ce qui a poussé une partie du gouvernement à comprendre que la loi régissant les licenciements collectifs, à savoir la loi 223, n’ayant pas prévu cela en 1991, il était donc nécessaire de concevoir une nouvelle procédure pour les entreprises qui « veulent procéder à la fermeture d’un site de production, pour des raisons non déterminées par un déséquilibre du capital ou économique-financier, rendant probable leur crise ou leur insolvabilité ».

Il convient donc d’introduire des obligations d’information et de confrontation pour l’entreprise afin de créer un plan visant à réduire l’impact de la fermeture en valorisant l’instrument de la « structure de crise d’une entreprise » prévu par la loi 296/2006, no 296.

Bref, un exercice minimal de pur bon sens pour lequel les critiques de la confédération patronale de l’industrie, portent seulement, selon eux, sur la dangereuse insuffisance de la représentation des industriels. Au contraire, ce qui apparaît évident, c’est que la proposition gouvernementale manque d’instruments de mise en œuvre de la finalité, bien qu’exprimée, de « sauvegarde du tissu de l’emploi et de la production ».

Et l’appareil de sanction est jugé inefficace, comme les sanctions proposées concernant la non-présentation du « plan », ou le non-respect des mesures pour sa mise en œuvre, de nature purement « économiques » mais non destinées aux premières victimes, les travailleurs.

Bref, l’Assemblée a demandé de ne pas répéter l’erreur commise par le déblocage des licenciements : plus jamais « de recommandations » mais des règles claires, convaincantes et avec un dispositif de sanction adéquat capable d’être à la fois dissuasif pour ceux qui ne suivraient pas la procédure et indemnisant pour les personnes touchées par la perte d’emploi.

Les travailleurs de GKN ont forcé les juristes à aller plus loin en s’interrogeant sur la propriété des entreprises. Pour le droit romain, la propriété est un « jus utendi abutendi ». (« droit d’user et d’abuser »)

Or, le moment est venu de dire que l’article 41 de la Constitution, premier alinéa, garantit pleinement l’entrepreneur dans son jus utendi abutendi d’employeur. Mais l’alinéa 2, interdit une action de l’entreprise « contraire à l’utilité sociale ou portant atteinte à la sécurité, à la liberté, à la dignité humaine » : le droit « d’user et d’abuser », tombe.

La conséquence est que les entreprises qui souhaitent se désengager définitivement d’un site de production « pour des raisons non déterminées par un déséquilibre du capital ou économique-financier » peuvent le vendre, mais pas procéder à sa fermeture.

La procédure doit donc s’ouvrir après que l’entrepreneur ait déjà essayé en vain pendant une période appropriée de vendre l’entreprise et elle doit chercher à trouver un capital industriel (éventuellement avec une participation de l’État) disponible pour remplacer celui qui entend se désengager.

Bref, la procédure ne doit plus viser « l’expulsion ordonnée et socialement atténuée des travailleurs », mais le remplacement du capital social, éventuellement avec l’aide publique - non pas en tant que mauvais expropriateur, mais en tant que bon acheteur de dernier recours - bien sûr à la valeur de l’entreprise à ce moment-là.

A la fin de la procédure, en bref, une seule lettre de licenciement devra partir : celle en direction du fonds Melrose.

, 31 Août 2021, il Manifesto