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D’ici la fin de l’année 2020, l’UE et la Chine, avant l’entrée de M. Biden à la Maison Blanche, semblaient s’orienter vers un accord d’investissements. Pendant ce temps, à la mi-novembre, un pacte commercial historique a été signé au Pacifique Sud, auquel la Chine a également adhéré (annulant ainsi les jeux de Trump dans cette région du monde).

Pactes commerciaux en Asie et en Europe

Les tentatives de contrer la montée de la Chine n’ont pas vraiment commencé avec Trump, déjà Obama, en particulier lors de son second mandat, avait essayé de se saisir avec une certaine détermination de cette question.

À cet égard, nous rappelons sa stratégie du soi-disant « pivot vers l’Asie », c’est-à-dire l’intention de concentrer les efforts militaires du pays vers ce continent pour bloquer d’une manière ou d’une autre l’ascension chinoise. Dans ce contexte, il convient de souligner la conclusion de l’accord (signé par les pays participants en octobre 2015) pour le projet de création d’une zone de libre-échange (connue sous le nom de TPP, ou Partenariat transpacifique) entre les États-Unis et certains pays d’Amérique latine et d’Asie, avec un total de 12 participants. La Chine ayant été bien évidemment exclue de ce projet. Ce qui permettait, entre autres, aux Etats Unis de fixer les règles du commerce et bien plus encore pour l’Asie.

On sait que Trump a fait sauter ce pacte en 2017, même si les 11 pays restants sous la pression particulière du Japon ont décidé d’avancer seuls avec en 2018 un nouvel accord un peu moins ambitieux, le CPTPP (« Accord coopératif et progressiste pour le partenariat transpacifique »).

Ces dernières semaines, nous avons vu la signature d’un autre pacte commercial majeur le Partenariat économique global régional (RCEP), pompeusement défini comme le plus important de l’histoire, entre les pays de l’ANASE, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Japon, la Corée du Sud et cette fois la Chine. En effet la Chine elle-même, quelques jours plus tard, avec un renversement total paradoxal par rapport aux années précédentes, a décidé de demander son entrée dans ce CPTPP, un pacte qui était initialement destiné à l’isoler. Il convient de noter incidemment que 7 pays, dont le Japon et l’Australie, participent aux deux accords mentionnés (Peng Wen sheng et d’autres, 2020).

La demande chinoise a également été surprenante, étant donné que certaines des clauses du Traité (celles relatives à la protection de la propriété intellectuelle, au contrôle de la circulation des données, aux normes du travail, à la protection de l’environnement, et à celles relatives au rôle des entreprises d’État). En tout cas un document plus complet et exigeant que celui déjà mentionné ci-dessus qui semble aller à l’encontre des lignes directrices que l’économie chinoise applique. En particulier, comment concilier les prévisions du CPTPP interdisant le traitement préférentiel des entreprises d’État avec les récentes déclarations chinoises selon lesquelles les entreprises publiques du pays doivent devenir plus fortes, meilleures et plus grandes. !, mais tout peu se négocier et sur ces questions Pékin envoie des signes encourageants d’ouverture (Wang Hui yao, 2020).

D’autre part, il semble fort probable que les États-Unis ne seront pas en mesure de réintégrer le CPTPP, ou d’être en mesure de le faire bientôt, étant donné aussi la forte opposition interne, liée, entre autres choses, à une vague nationaliste certainement suscitée par Trump, mais toujours sur un fonds litigieux préexistant.

Tout cela a conduit de nombreux commentateurs à souligner un triomphe substantiel pour la Chine elle-même, à partir d’une position désavantageuse sur les questions commerciales et pas seulement en Asie.

D’autant que les pourparlers entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud semblent aller assez loin pour mettre en place un pacte de libre-échange à trois.

Le pacte probable entre la Chine et l’Union européenne

Entre temps, chose qui nous intéresse de près, il semble (même si la chose n’apparaît pas sûre) que puisse intervenir, vers la fin de l’année 2020, un accord sur les investissements (BIA, Bilateral Investment Agreement) préparé avec des entretiens qui se poursuivent depuis environ sept ans entre la Chine elle-même et l’Union européenne.

L’accord semble être une étape un peu obligatoire, malgré les grimaces de nombreux influenceurs au niveau européen, puisque, d’une part, la Chine est devenue ces derniers mois le principal partenaire commercial des pays de l’UE supplantant les États-Unis, alors que le déficit commercial de l’UE avec la Chine était d’environ 136 milliards d’euros au cours des dix premiers mois de 2020 (contre les quelque 124 sur l’ensemble de l’année 2019). D’autre part, pour la Chine, l’accord apparaît également comme un moyen important d’éviter son isolement politique possible qui viendrait d’un accord économique et politique entre les États-Unis et l’Europe et dont le rôle précis serait d’être anti chinois, bien que ce dernier semble assez compliqué à réaliser.

Pour l’Europe, c’est aussi un moyen d’atteindre un minimum d’autonomie stratégique relative, en essayant de rompre avec une protection trop forte des États-Unis, sans remettre en question les liens politiques existants.

Il semble que la Chine et l’UE veuillent en tout cas tenter de signer l’accord avant l’avènement de la présidence de Joe Biden, ce qui pourrait entraîner d’éventuelles complications ; mais il y a encore quelques questions à résoudre.

L’accord probable a été rendu possible par des concessions réciproques de part et d’autre. Entre autres choses, la Chine a augmenté le nombre de secteurs dans lesquels les entreprises européennes pourront exercer leurs activités dans le pays à part entière, tandis que l’UE a fait de même, autorisant l’entrée d’entreprises chinoises dans certains domaines d’activité précédemment fermés. Toutefois, la portée réelle de l’accord sera plus perceptible dans un proche avenir.

Un accord de libre-échange pourrait alors suivre dans les années à venir.

Les caractéristiques de base du RCEP

C’est pourquoi, le 15 novembre 2020, après huit ans de négociations compliquées, entamées à l’initiative des pays de l’ANASE et non de la Chine ou du Japon, le RCEP a été signé, comme nous l’avons déjà mentionné. Les Différents États devront maintenant ratifier l’accord, ce qui devrait avoir lieu d’ici janvier 2022.

Le pacte touche environ un tiers de la population mondiale et toujours un tiers du PIB. Plus de 90 % des droits de douane sur de nombreuses marchandises seront éliminés, mais seulement progressivement, dans les 20 ans qui suivront son lancement (Zeeshan, 2020). L’accord vise également à lutter contre le protectionnisme, à accroître les investissements et à permettre aux biens de se déplacer plus facilement.

C’est aussi le premier cas de libre-échange entre la Chine, le Japon et la Corée du Sud, c’est-à-dire entre la première, deuxième et quatrième puissance économique de ce continent. D’autre part, cet accord semble s’orienter quelque peu vers la résolution de certains épisodes de guerres récentes, de l’invasion de la Mandchourie par le Japon en son temps, de la guerre du Pacifique et la colonisation subséquente de la Corée par le Japon (Mok, 2020) à la guerre de la Corée, qui ont laissé de fortes animosités entre la Chine et de la Corée du Sud contre l’Empire du Soleil Levant.

Par ailleurs, il s’agit d’une entente moins vaste que celle qui était initialement prévue dans le TPP. Cela concerne des biens industriels, seulement une partie des services et non l’agriculture ; elle ne touche pas à d’autres problèmes épineux, tel que la protection de la propriété intellectuelle. Une règle d’origine commune standardisée sera introduite, ce qui facilitera le commerce entre les pays de l’accord.

Rappelons-nous que, récemment, l’Asean a dépassé l’Union européenne pour devenir le plus important partenaire commercial de la Chine, alors que la Chine elle-même est récemment devenue le plus important partenaire commercial de l’UE, dépassant les États-Unis.

Quoi qu’il en soit, le pacte contribuera à former d’importantes chaînes nationales d’approvisionnement. Par exemple, le secteur du textile et de l’habillement, les ressources naturelles de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande, les grappes industrielles chinoises, la réduction des coûts de production en Asie du Sud-Est, la forte demande de biens et de services en provenance du Japon et de la Corée du Sud, devraient produire des synergies très importantes (Peng Wen sheng et autres, 2020).

Bien sûr, il se peut qu’il y ait quelques accros sur le chemin, par exemple le différend commercial actuel entre la Chine et l’Australie nous rappelle que les tensions entre les différents pays signataires n’ont pas disparu. Mais ils ne devraient pas réussir à faire sauter la construction qui a lieu.

En regardant trois pays

Il peut être d’une certaine utilité à ce stade d’analyser la position sur l’accord, des trois grands pays, la Chine, le Japon et l’Inde, même si l’Inde n’y participe pas.

Chine

Le pacte permet à la Chine de mieux développer ses relations économiques avec le Japon et la Corée du Sud, pays avec lesquels elle espère signer prochainement un accord triangulaire de libre-échange. Plus généralement, la Chine tente de développer autant que possible ses relations avec les deux pays, notamment parce qu’elle craint désormais l’émergence d’une coalition hostile à son égard, entre Washington, Séoul, Tokyo, avec un Biden qui cherchera à affaiblir en tout cas et plus généralement les liens entre les trois pays.

C’est plus compliqué en ce qui concerne les relations avec le Japon en raison de l’existence d’un différend entre les deux pays sur la souveraineté des îles Senkaku (nom japonais) /Diaoyu (nom chinois), qui est l’obstacle le plus fort à une amélioration substantielle des relations. Avec la Corée du Sud, il y a beaucoup moins de problèmes. Bien que ce dernier pays ait également des différends avec le Japon.

Plus généralement, l’Asie-Pacifique devient de plus en plus une zone commerciale intégrée, comme l’Union européenne ou les États-Unis, mais à une plus grande échelle.

D’un autre point de vue, l’accord pourrait marquer une étape dans la tendance possible à la construction de grands blocs continentaux, de l’Asie-Pacifique à celle de l’Union européenne, à l’accord nord-américain (États-Unis, Mexique, Canada) et aussi peut-être à celui de l’Afrique, un continent où un accord de libre-échange a récemment été lancé qui comprend un très grand nombre de pays.

Mais il s’agit probablement de blocs aux relations privilégiées, et qui resteront très ouverts au commerce extérieur.

Japon

Présenté comme une victoire pour la Chine, l’accord est, à bien des égards, également très positif pour le Japon, et représente une étape importante dans l’élaboration de la politique commerciale de Tokyo (Messmer, 2020).

A l’heure où l’économie du pays, longtemps exsangue, montre d’importants signes de revitalité, grâce également à une très faible incidence du virus sur le territoire, la signature du pacte aidera ses exportations vers la Chine et les pays de l’ANASE.

Il convient de souligner à cet égard que les pays signataires du Pacte représentent déjà 46% de ses exportations, un pourcentage qui pourrait augmenter dans les années à venir. Le Japon a également longtemps connu des niveaux élevés d’investissements dans les infrastructures dans la région de l’Asean, plus importants que ceux de la Chine. Il devra assurer un jeu serré d’équilibre entre les États-Unis, la Chine et l’Inde (un pays avec lequel, précisément en ce moment, il intensifie les relations, même dans un cadre anti chinois). Il semble que Biden veuille aussi prendre des dispositions avec le Japon toujours dans un cadre anti chinois.

La création de liens économiques plus étroits entre la Chine, la Corée du Sud et le Japon peut alors signifier que la Chine, après l’effondrement de ces liens d’importation en provenance des États-Unis au moins dans le domaine des technologies de pointe, déplacera la demande pour ces marchandises. Une demande très importante, (il suffit de penser qu’en 2019, le pays a importé des puces pour un total de 301 milliards de dollars, plus que les 238 milliards dépensés pour l’achat de pétrole brut), vers les pays asiatiques et bien sûr le Japon, la Corée et même Taïwan (Yeung, 2020).

D’autre part, le Japon considère l’accord comme un moyen de se rapprocher des nouvelles routes de la soie, un projet auquel il n’a jamais officiellement adhéré (Messmer, 2020).

Inde

L’Inde, bien que fortement encouragée par plusieurs signataires de l’accord, en particulier le Japon, a préféré s’abstenir d’y adhérer.

Les raisons possibles de cette décision pourraient être, d’une part, que l’Inde craint l’entrée dans le pays de produits industriels chinois et de produits agricoles australiens et néo-zélandais à des prix trop compétitifs, alors que le traité aurait apporté peu d’avantages au pays dans le secteur des services, où l’Inde a un certain avantage concurrentiel. D’autre part, cette décision pourrait provenir de son hostilité plus générale et croissante à l’égard du Pays du Milieu. Toutefois, les signataires du pacte ont laissé la porte ouverte à l’Inde pour une adhésion future.

Quoi qu’il en soit, au lendemain de la signature de l’accord entre les 15 pays, le ministre indien des Affaires étrangères a déclenché une violente attaque contre le commerce international et la mondialisation et a promis que le pays poursuivrait une stratégie axée essentiellement sur l’autosuffisance (Zeeshan, 2020). En outre, il convient de souligner que le pays a, par le passé, gardé distance par rapport à de nombreux autres accords commerciaux, à commencer par le PTP lui-même, un traité dont la Chine a également été exclue.

Pourtant, son entrée dans le pacte permettrait, entre autres choses, à l’Inde d’avoir sa place dans cet accord où elle aurait pu exercer en quelque sorte un contrepoids à l’hégémonie chinoise en Asie (Zeeshan, 2020).

Aujourd’hui, ce pays est isolé et a probablement beaucoup compromis son pouvoir d’influence, du moins depuis un certain nombre d’années, dans une région où l’intégration économique est devenue une grande priorité pour tous.

Le réseau de relations économiques qui s’installe en Asie, autour, non seulement de la Chine, renforce la tendance de cette région à devenir le centre du monde, pour le commerce et l’économie en général.

Cette tendance est également liée au fait que la guerre douanière de Trump contre la Chine a échoué. Plus généralement, cependant, malgré le fait que les bénéfices du commerce et de la mondialisation soient remis en question par les États-Unis et d’autres, ces processus continuent d’avancer, même s’ils modifient certaines caractéristiques. Ce n’est pas en se fermant sur soi, comme le fait l’Inde, qu’on peut faire face à cette réalité (Le Boucher, 2020).

Ni l’UE ni les États-Unis et les superpuissances traditionnelles mondiales du commerce international n’auront leur mot à dire lorsque l’Asie établira ses règles commerciales (Harding, Reed, 2020). En particulier, il y aura une réduction de l’influence américaine dans la région d’autant plus que même ses plus proches alliés en Asie participent à l’accord.

À un autre niveau, si les divisions politiques ne freinent pas l’intégration économique des trois pays clés, ceux-ci auront tendance à accentuer leur conquête du monde sur le plan technologique.

D’autre part, si le grand développement économique de la Chine ne s’accompagnait pas précédemment d’une augmentation parallèle de son influence dans la détermination des règles du jeu dans les domaines du commerce, de la finance, de l’investissement, cela est en passe de changer maintenant (Rowley, 2020), alors que jusqu’à hier c’étaient les États-Unis qui établissaient les normes dans ces domaines.

Le jeu chinois progresse dans diverses directions, depuis le lancement il y a quelques années de la Banque internationale asiatique des infrastructures (AIIB), jusqu’à celui de la Belt and Road Initiative (BIS, la route de la soie), actuellement repensée, à la mise en œuvre progressive de la monnaie électronique publique, autant de pièces d’un puzzle qui apparait peu à peu avec le temps.

 

  16 décembre 2020, sbilanciamoci, italie

Textes mentionnés dans l’article

-Le Boucher E., Démondialisation ? Non à la remondialisation, Les Echos,4 décembre 2020

-Messmer P., Commerce : victoire d’étape pour le Japon, Le Monde,20 novembre 2020

-Peng Wensheng et d’autres, Opinion : Rcep trade pact’s strategic significance for China, www.caixinglobal.com, 20 novembre 2020

Harding R., Reed J., Asie-Pacifique pays signent l’un des plus grands accords de libre-échange de l’histoire, www.ft.com, Novembre15, 2020

-Mok W., l’avenir de l’Asie en tant que puissance technologique mondiale dépend des relations systéo-japonaises, www.scmp.com,9 décembre 2020

-Rowley A., Avec le RCEP, la Chine a enfin un siège à la table de politique commerciale, www.scmp.com,22 novembre 2020

-Wang Huiyao, CTPP marque un niveau plus élevé de libre-échange, www.chinadaily.com, 30 novembre 2020

-Zeeshan M., le rejet par l’Inde du RCEP et du libre-échange le rendra plus pauvre et moins pertinent : www scmp.com, 23 novembre 2020

-Yeung K., le pivot commercial de la Chine en provenance des États-Unis pourrait être une aubaine pour la Corée du Sud, le Japon et Taïwan, www.scmp.com,le 1er décembre 2020