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Catégorie : Editorial

Fanfaronnades de Trump, ou véritables dangers de guerre nucléaire ? Le monde reste atterré devant le président actuel de la plus grande puissance militaire de la planète qui semble gouverner son pays, comme le monde, selon ses humeurs. Et de regretter la défaite d’Hillary Clinton. En fait la vision de Trump est très simple, car il en a une : « America First », d’abord l’Amérique, le reste étant subordonné aux intérêts de la puissance impérialiste. Il ne cesse de le répéter, y compris au dernier forum de Davos devant un parterre de « Happy few » (quelques riches privilégiés) plutôt abasourdis. C’est pour cela que ses électeurs ont voté. C’est pour cela que sa base lui est toujours fidèle.

Donald Trump veut la guerre. Mais Hillary, elle-même, voulait-elle autre chose ? C’est oublier qu’elle était une guerrière très agressive « d’abord on tire, ensuite on s’explique » et certainement beaucoup plus compétente. Elle a soutenu ardemment pour les démocrates, les interventions en Afghanistan, en Irak. Elle est pour partie responsable - en tant que Secrétaire d’Etat sous la responsabilité d’Obama – de la guerre et de l’effondrement de la Libye, de la guerre en Syrie, de tentatives de putsch comme au Honduras et, mauvaise perdante, elle ne cesse de galvaniser une campagne incessante contre la Russie de Poutine qui aurait « voté » pour Trump !

Ces deux personnages si différents ne sont que les deux faces d’une même politique paranoïaque impériale, celle de l’administration étasunienne qu’elle soit républicaine ou démocrate, depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

Il y a eu la « guerre froide » contre l’Urss, la Corée, le Vietnam, les interventions militaires contre Cuba et les gouvernements progressistes d’Amérique Latine, puis la guerre « contre le terrorisme » au Grand et Moyen Orient. Aujourd’hui, l’administration Us revient à ses fondamentaux : le danger c’est la Russie de Poutine, elle « menace la paix », surtout la « pax americana ». Plus loin dans le futur c’est déjà prévu, ce sera la Chine (qui veut devenir la première puissance mondiale entre 2025/2050, selon Xi Jinping, au dernier congrès du PCC).

Il est clair que l’Amérique ne veut pas d’un monde multipolaire et que pour assurer sa domination elle passe toujours la main aux lobbies militaro-industriels.

Les projets de « défense » de l’administration Us pour 2018

La réflexion de Trump : « Pourquoi un armement nucléaire si ce n’est pas pour s’en servir ? » vient tordre ce principe d’équilibre qui faisait du nucléaire une arme de dissuasion et de représailles seulement en cas d’attaque. Ok ! a dit le lobby militaro-industriel. Fabriquons de petites armes nucléaires à portée tout aussi dévastatrice et plus maniables.

N’importe qui peut avoir accès sur internet aux documents qui donnent la « nouvelle doctrine » de défense nord-américaine, y compris les Russes. Certes tout n’est pas totalement affiché, mais c’est un bon moyen pour montrer à l’adversaire ce à quoi il peut s’attendre s’il « dépasse la ligne rouge », fixée, bien entendu, par les Usa. Ce qui a pour résultat un regain de tensions et une course à l’armement, et c’est très dangereux.

Ainsi on peut lire :
a) « La Russie et la Chine, puissances mondiales, sont devenues les principales adversaires de l’Amérique et la préoccupation principale de la sécurité nationale »,
b) « l’Amérique s’appuiera sur l’armement de dissuasion et la sécurité nucléaire pour atteindre ses objectifs », « la modernisation nucléaire assurera la possibilité d’utiliser des armes non stratégiques de faible puissance »,
c) « Cela signifie que l’armée américaine se concentrera sur trois régions : l’Indo/Pacifique (légèrement plus large que le concept de stratégie Asie-Pacifique de 2012), l’Europe et le Moyen-Orient. Nos objectifs dans chaque région seront de dissuader les principaux États récalcitrants (par la présence de forces militaires crédibles) et de lutter contre les organisations terroristes et les attaques inférieures au seuil de conflit armé (telles que les cyber-attaques et les opérations de subversion) »,
d) « Ces trois axes constituent un effort des partenaires et alliés pour « construire une force plus meurtrière », « Le déploiement américain de défense antimissiles se poursuivra en Europe. Aussi bien, dans le cadre la stratégie de sécurité nationale que de la stratégie de défense nationale, ces systèmes déployés pour contrer les menaces régionales seront maintenus (tels que les systèmes de base en Roumanie et en Pologne) »,
e) « Les principaux objectifs de la politique nucléaire américaine sont de dissuader la Russie d’utiliser la première son armement nucléaire » (Kevin M. Ryan, Brigadier Général de l’armée Américaine à la retraite, Member of The Russia Initiative to prévent Nuclear Terrorisme - Harvard Kennedy School Belfer, center for Science and international affairs, 5 février 2018).

Voilà qui va « rassurer » les Européens, Russes et Américains ! Eux qui pensaient avoir écarté le danger de missiles à têtes nucléaires américano/russes filant au-dessus de leurs têtes, une première fois en 1962, lors de l’épisode Americano-Cubain-Russe, grâce à Khrouchtchev qui a reculé devant cette folie. Et une deuxième fois grâce à la réunification allemande et la politique d’ouverture apaisée de Gorbatchev.

En ce 21ème siècle, la paix est devenue plus improbable.

Le Moyen Orient, encore et toujours

Avec l’installation de l’ambassade Us à Jérusalem et sa reconnaissance comme capitale de l’Etat israélien, Trump, en réalisant les rêves des Ultras, ouvre un nouveau conflit. Et Tsahal, sous influence de son allié indéfectible, de saisir l’occasion pour lancer début février un « raid aérien à grande échelle » en Syrie après que l’un de ses F-16 se soit écrasé au sol sous le feu antiaérien syrien. Que faisait ce F-16 israélien dans le ciel syrien ? Il a été abattu à comme il rentrait d’un raid pour détruire des installations iraniennes, accusées d’avoir lancé un drone sur Israël. « Douze sites, dont quatre « cibles iraniennes » près de la capitale syrienne, Damas, ont été détruites lors du raid, selon un porte-parole militaire israélien, Jonathan Conricus ». Personne n’a dit, ni sut le nombre de victimes « collatérales ». En fait cela atteste de l’implication bien réelle d’Israël dans la guerre en Syrie, et perturbe une situation déjà difficile.

L’Iran se trouve donc confirmé dans son rôle sur la région comme meilleur ami des Palestiniens, meilleur ennemi d’Israël (ou de l’Arabie saoudite, en guerre au Yémen contre les chiites), et surtout de l’armée Us.

Les Européens ont-ils la volonté de tenir face à l’administration étasunienne ?

Dans le cadre d’un réarmement nucléaire d’un coût de 1.200 milliards de dollars, les Etats-Unis se préparent à déployer à partir de 2020 en Italie, Allemagne, Belgique et Pays-Bas, et probablement aussi en Pologne et dans d’autres pays de l’Est, les nouvelles bombes nucléaires B61-12, qui armeront les chasseurs F35.

La réponse des Européens se trouve dans la conférence de Munich du 18 février 2018, sur le thème de la défense. Elle a réuni les Russes, les Américains, l’Otan, les responsables européens, et quelques invités du Grand et Moyen orient (par ailleurs toujours engagés dans des guerres, Iran, Turquie, Arabie Saoudite, Israël etc.). A la question angoissante : « Sommes-nous au bord du gouffre, pouvons-nous l’éviter ? ». Le dénouement a été prévisible : « Bâtir les Forces armées européennes de l’avenir ».

Les Russes ont mal réagi. La tactique de l’encerclement de leur territoire sur le front oriental de l’Europe, a été dénoncée par Poutine depuis longtemps, mais elle reste toujours opérante pour les Américains.

Qu’on dit les dirigeants européens ? Ils ont répondu 5 sur 5 aux desiderata de l’impérialisme Us.
L’Allemagne, qui ne veut pas de la prééminence française et son nucléaire, se reconstruit militairement, et l’Italie subit la lourde présence de l’Otan sur son territoire, malgré l’opposition d’une grande partie de leur population.

Quant aux Grecs, ils viennent de participer à une manifestation monstre contre l’intention du gouvernement grec, sous la pression de Washington, de signer un accord avec l’ex république yougoslave de Macédoine (ARYM), pour clôturer le différend avec cette dernière sur son nom de « république de Macédoine » que les Grecs considèrent comme une usurpation de leur histoire. Au-delà de ce sentiment national, il y a une raison tout aussi essentielle qui a fait bouger les Grecs : leur amitié fidèle envers les Russes.

Or, cette « République de Macédoine » est située dans le Centre des Balkans, entre la Grèce et la Serbie, la Bulgarie et l’Albanie. Qui contrôle l’ARYM, contrôle des Balkans. Qui contrôle les Balkans peut mener la guerre contre la Russie. (« Greeks are revolting again », les « Grecs se révoltent à nouveau », par Dimitris Konstantapoulos, 4 février 2018)

La « nouvelle doxa » américaine, imposée par l’intermédiaire de l’Otan, affectera donc tous les pays européens, qu’ils le veuillent ou non. Et il n’y a pas qu’en Europe que les dangers de conflits armés ou d’extension de conflits déjà en œuvre, existent.

Où sont, en Europe, les mobilisations de la « gauche » contre ces guerres et projets dévastateurs ?

« L’Europe est en crise ». Elle est donc absorbée d’abord par ses « problèmes économiques » et surtout les programmes d’austérité, qui peuvent aussi, il est vrai, tuer les plus fragiles.
En fait, après celle du mouvement communiste et de l’extrême gauche, la « crise » de la « gauche » européenne, est devenue maintenant celle de la social – démocratie. Ces « crises » successives peuvent expliquer l’atonie ou l’échec des mobilisations contre la guerre et pour la paix, qui étaient du domaine traditionnel de la gauche. Sauf dans certains pays qui bien que centrés sur leurs problèmes fondamentaux comme la Grande Bretagne avec le Brexit, la Grèce et la destruction totale de son système social, ou l’Italie en grande difficulté et qui doit faire face à la présence des bases militaires de l’Otan dans le pays qui grèvent son indépendance. N’oublions pas l’Allemagne où le mouvement pour la paix est encore très vivant. Mais en France, rien, à part quelques manifestations très minoritaires de l’extrême gauche sur cette question éminemment politique d’une solidarité internationale pour la paix.

L’Europe et la crise de la social-démocratie

Le projet social-démocrate de transformation de la société capitaliste par l’Etat providence a échoué face à la mondialisation, l’économie néo libérale et l’individualisation, entretenues par ces même sociaux-démocrates « libéraux » convertis au nouveau paradigme. Ils ont lâché peu à peu les amarres historiques qui les rattachaient au mouvement ouvrier. Bafoués, les principes du « bien-être pour tous » sortis des programmes de la Résistance. Abandonnées, l’égalité (ou l’équité), la justice et la redistribution sociale, pour défendre une « richesse qui ruissellera vers le bas » et viendrait « enrichir les pauvres ». La « gauche » a cédé et marque partout en Europe un recul sans précédent depuis la fin de la seconde guerre mondiale.

En Allemagne, le Spd - parti « directeur » de la social-démocratie européenne – va poursuivre son déclin inévitable avec la signature d’une énième coalition avec la CDU, même si les Jusos (Jeunes socialistes) mènent la bronca contre Schulz. Ce même Schulz qui avait juré que l’on n’y reprendrait plus. A-t-il cédé pour un poste de Ministre des affaires étrangères ? Un poste qui lui convenait bien, lui qui venait de la Présidence du parlement européen. Il avait toutes les clés en mains pour poursuivre le renforcement et le développement de l’U.E vers un fédéralisme encore plus important, encore moins démocratique, encore plus libéral : « les Etats unis d’Europe ». Il avait le soutien de Macron « l’européiste ». La bronca a eu son effet, il a démissionné. Les adhérents du parti doivent voter d’ici au 4 mars, mais la Groko semble en bonne voie d’être confirmée.

Que le Spd soit dans la coalition ne changera en rien la politique globale allemande. Wolfgang Schaüble et ses séides veilleront à la défense des intérêts allemands.

Comme la CDU qui est affaiblie, mais qui reste la force politique principale. Elle est en mesure de faire quelques concessions sociales. Comme celle des « 28h » de travail (pour un maximum de 2 ans), obtenues par les syndicats de la métallurgie « soucieux d’un équilibre entre la vie privée et le travail ». Mais, enfin ! on est en Allemagne ! Les 28h seront payées 28h et ne concerneront que les personnes qui ont des parents à charge. Qui seront, sans aucun doute, les premiers « bénéficiaires » ? Les femmes, bien entendu, avec des enfants en bas âge et qui ne disposent pas de crèches. Peut-on dire que c’est une grande victoire, et pour qui ?

La responsabilité de la France.
L’essentiel des problèmes de la construction européenne tourne autour de l’euro et des politiques ordo-libérales pour le soutenir, et soutenir l’économie dominante de l’Allemagne.
La France est complice quand elle veut aller toujours plus loin et se dit pour la « souveraineté européenne », comme l’a déclaré Macron (et qui fait suite à son « il n’y a pas de culture française »), alors qu’il cherchait à ravir le leadership politique à Merkel, pendant que cette dernière était occupée à construire un nouveau gouvernement, en clamant partout où il s’est rendu dans le monde, « l’européen c’est moi ». On n’a jamais eu en France un tel président qui méprise autant son pays. Et la « gauche » française, « Insoumise » ou « de gouvernement » hésite et ne sait pas, ou ne veut pas, rompre avec une monnaie qui revendique toujours plus d’austérité, qui est irréformable et la ronge à petit feu. « Les Etats unis socialistes d’Europe » restent une utopie.

La social-démocratie européenne, a-t-elle une chance de survivre ? Dans l’un de ses derniers documents à l’attention des partis frères européens, on peut lire qu’il faut : « changer la logique de la mondialisation pour que ses avantages puissent être récoltés tout en réduisant ses effets négatifs » ! (Poul Nyrup Rasmussen, président du parti socialiste européen - et Udo Bullmann, membre du bureau du Spd). Avec ce genre de conception, on peut prédire qu’il va falloir beaucoup de temps avant qu’un autre projet de redistribution « social-démocrate » voire « socialiste » se fasse jour. Nous n’en voyons aucunes prémices dans les discussions en cours dans chacun des pays, plutôt des invectives et des ruptures.

Le Ps Français est moribond et l’alternative « France Insoumise » prétend se construire seule, sans alliance, et laisse ainsi le champ libre à Macron pour « ses réformes ». Le Parti démocrate italien est en perte de vitesse dans un environnement politique très morcelé qui ne se regroupe que dans le cadre des échéances électorales. L’Espagne est prise dans la tourmente autonomiste catalane qu’elle veut régler de manière disciplinaire. Le Pasok grec a disparu, etc.

Et phénomène gravissime le vide laissé par la social-démocratie aspire non seulement de nouvelles forces en « mouvements », des « ni-ni », souvent populistes, mais aussi des radicaux d’extrême-droite qui entrent aux gouvernements comme l’Afd allemande, le FPÖ en Autriche, le DF danois, le Parti pour la liberté aux Pays-Bas, etc... Ou se renforcent, avec en Italie la Casa Pound et la Lega du Nord qui font de Marine Le Pen quelqu’un d’inoffensif !

Pour un anniversaire dynamique et sans nostalgie « de Mai 1968 », et pour la paix

En France, avec sa technique du « je réforme tout » de manière absolue (dictatoriale ?), Macron va s’attaquer « au statut des cheminots » et « au statut de la SNCF » qui de société nationale publique, deviendra « Société anonyme ». C’est-à-dire qu’il s’engage dans la privatisation de ce symbole historique de l’Etat providence. Cette remise en cause brutale vise à désorienter les citoyens et les rendre passifs et pessimistes : « on ne peut rien faire ». Et fait penser, 40 ans après, à la lutte à mort engagée par Thatcher contre les mineurs et leurs syndicats. La « modernité » de Macron est un retour au passé.

La lutte sera longue et dure pour sauver ce qu’il reste à sauver du système public et au-delà pour de nouveaux droits. Toutes les forces syndicales et politiques devront expliquer, se mobiliser, sans sectarisme.

Or, malheureusement, l’essentiel de l’activité des forces politiques est tourné vers les échéances électorales, « à droite » comme « à gauche ». Après les élections présidentielles et législatives, il va y avoir les élections européennes et encore d’autres élections. Les appareils des partis et des « mouvements ni-ni », « la gauche », sont englués dans des stratégies électoralistes qui repoussent les questions fondamentales de la période aux calendes grecques, et renforcent l’absence de mobilisation citoyenne de masse, faute d’issue politique claire.

On ne peut que souhaiter moins d’électoralisme et plus de travail militant pour redonner sens politique à une société qui devrait être capable de lutter contre les dangers de guerre, la mondialisation libérale, pour la solidarité internationale ; et revitaliser le programme socialiste avec l’autogestion des luttes dans les entreprises et dans la vie citoyenne.

Voilà ce que devrait-être l’anniversaire de Mai 1968.

Mais avant tout, il faut être conscient que l’imbrication de forces militaires, la persistance de guerres entre pays et groupes armés antagoniques manipulés par les grandes puissances, la présence d’armements nucléaires chez les uns et les autres, se trouvent concentrés actuellement dans le Moyen et le Grand Orient. Et que tout cela rend le risque énorme de dégénérer à tout instant en un conflit meurtrier pour une bonne partie de ce côté-ci du monde et que l’Europe est concernée en première ligne. Toutes les « stratégies » électoralistes ou non, ici et là, qui n’en tiendront pas compte seront vouées à l’échec sans la création et l’animation d’un fort mouvement pour la paix et contre la guerre, au-delà des frontières.

Février 2018