On voit bien qu'à l'heure actuelle le problème de Sarkozy comme celui des autres chefs d'états n'est pas vraiment de nationaliser les banques pour mettre un terme à leurs dérives financières et les réorienter vers un financement « sain » de l'économie en répondant à cette crise par l'élaboration d'un plan, d'un programme de redéploiement économique, de création d'emplois, de financement de la recherche, etc. ; mais de rassurer les marchés financiers en les renflouant, pour améliorer la présentation de leurs bilans, leur permettre d'annoncer des pertes certainement très inférieures à la réalité et même de verser des dividendes à leurs actionnaires et des bonus pour les dirigeants comme si de rien n'était ! (Et ce, tout en continuant à pratiquer une politique fiscale en faveur des couches les plus aisées et une politique d'endettements porteuse de crises futures).

Il n'y a aucune velléité de renationaliser, de réguler ou même de « moraliser » la finance ; mais plutôt une logique d'assainissement ponctuel du système pour le pérenniser. Cette crise, comme toutes les précédentes, n'est après tout que le moyen traditionnel de fonctionnement du capital. Par ailleurs, quand on parle de nationaliser le système bancaire, il faut savoir de quoi l'on parle.

Petit détour par l'Histoire

En France, Giscard d'Estaing a été le premier à amorcer la privatisation des « trois vieilles » (CL, BNP, Société Générale) à hauteur seulement de 25% de leur capital. Puis, le P.S. est arrivé au pouvoir et, en s'appuyant sur le Programme commun rédigé avec le P.C.F. (même si l'accord politique avait été rompu en 1978), il les renationalise en 1982 pour quelques années. Bérégovoy, ayant eu la volonté de faire de Paris une place financière alternative à celle de Londres, s'est engagé peu à peu à mettre sur pied un programme de dérégulation du système bancaire français inspiré par le modèle anglo-saxon et américain. Il était évident qu'à partir d'un certain moment, la nationalisation du secteur devenait un « obstacle » à cette ambition. La Société Générale a été privatisée en 1987, la BNP en 1993, à hauteur de la totalité de leur capital.

Quand une banque est nationalisée, son président est nommé par le gouvernement en place. Pour la BNP, le pouvoir avait désigné Thomas, par ailleurs très proche du P.S., pour ne pas dire membre, et tout aussi proche de la Fondation Saint-Simon créée en 1982. Il y côtoyait : « Entre autres membres éminents : Pierre Rosanvallon, Alain Minc, Francis Mer, Serge July, Laurent Joffrin, Luc Ferry, Alain Finkielkraut, François Furet ou encore Christine Ockrent. Membre du Club de La Haye, un réseau international de think-tanks animé par la CIA, la fondation Saint-Simon a éclipsé les intellectuels de la gauche nonatlantiste et imposé une forme de pensée unique en France »1

Ceci expliquant cela, bien que président d'une banque nationalisée - ce qui veut dire dans l'imagination du commun des mortels : « une banque vertueuse et gardienne des avoirs de la Nation » - ,Thomas ouvrit assez rapidement son premier fonds d'investissements au Luxembourg sous l'œil complice, donc, de l'Etat. En d'autres termes, on aurait pu qualifier cela d'organisation de la fuite des capitaux vers une place offshore. Aujourd'hui, d'ailleurs, BNP-Paribas est le premier employeur français au Luxembourg et parmi les vingt plus gros investisseurs dans ce pays (parions qu'elle ne militera pas pour la suppression des paradis fiscaux et qu'elle l'a fait savoir à Sarkozy).

Seuls quelques militants au sein de la C.G.T. comprirent ce qui se passait réellement. Ils purent obtenir du syndicat qu'il dénonce cette entorse à la nationalisation, lors d'un Comité d'entreprise national, ne serait ce que pour prendre date.

Petit intermède à propos de la gestion démocratique

A l'époque, la C.G.T. considérait qu'elle n'avait pas à intervenir dans « le domaine de la gestion du capital », que ce n'était pas du ressort du syndicat ; le domaine syndical réservé étant exclusivement celui de la revendication salariale, c'est-à-dire du partage de la plus-value, tandis que la C.F.D.T. militait pour la réduction du temps de travail..

La position de la C.G.T. aurait pu se comprendre dans le cadre d'une société socialiste.

Il est évident que, dans ce cas, le syndicat devra continuer à préserver son indépendance pour la défense des salariés, c'est même une nécessité pour échapper à la transformation bureaucratique du syndicat, qui devient alors un instrument de contrôle sur les salariés.

C'est un contre-pouvoir indispensable qui participe à la qualité de la démocratie dans une société socialiste. C'est là l'une des leçons importantes a tirer de l'échec des pays du « socialisme réel ». On peut même dire, à ce sujet, que trop de bureaucratie finit par tuer la bureaucratie. L'exemple de Tchernobyl est exemplaire. C'est la peur en cascade, aux différents niveaux hiérarchiques de la bureaucratie soviétique, qui conduisit les autorités à ne rien dire. Gorbatchev n'en fût averti que 24 h après (le 27 avril) par les Suédois (!) qui, ayant mesuré un niveau extrême de radiation autour de l'une de leurs centrales, l'avaient fermée. Or, peu après, leurs analyses ont permis de déceler assez rapidement que cela provenait de l'atmosphère et du territoire soviétique. Tchernobyl a été le signal annonciateur de l'effondrement du mur de Berlin. On peut ainsi parier sur le fait que jamais la Chine ne réussira à devenir une société développée, si le peuple Chinois ne lutte pas pour démocratiser l'espace du pouvoir de quelque manière que ce soit.

La bureaucratie est un frein au développement. Au contraire, la gestion démocratique des sociétés par les peuples eux-mêmes est un critère déterminant de la réalité et de la solidité du programme socialiste.

Cependant, dans une société comme la nôtre, le syndicat doit donc se préoccuper de la gestion de l'entreprise pour ses effets sur les conditions de travail, l'emploi, non pas en y participant dans un esprit de « cogestion », c'est-à-dire sans programme alternatif socialiste, comme le propose le syndicalisme allemand ou celui de la C.F.D.T., mais comme instrument collectif de formation, d'information, de propositions critiques et de prises de décisions concernant la production et plus largement la marche de l'entreprise.

Or la démonstration a été faite plus haut qu'une banque, même nationalisée, reste toujours une banque comme les autres, pilotée vers le développement patrimonial de quelques uns et la spéculation, si cette nationalisation ne s'accompagne pas d'un contrôle des salariés, appuyés ou non par des experts désignés par eux-mêmes.

L'intervention des salariés dans la gestion de la banque nationalisée

Quels meilleurs experts que les salariés eux-mêmes ? Pourquoi ne pourraient-ils pas participer au contrôle et à la gestion de leur entreprise, directement eux-mêmes, par l'intermédiaire des CE ou de comités adéquats éligibles (bâtis, par exemple, sur le principe des comités de surveillance élus par les salariés dans le cadre de la surveillance des sommes générées par l'actionnariat et la participation, où y siègent des salariés présentés par les syndicats et des salariés sans affiliations, bien que la diversité syndicale garantisse une représentativité très variée) ?

Le niveau culturel et de connaissance des salariés en particulier des banques vient de ce qu'ils ont été ces dernières années essentiellement embauchés avec licences, maîtrises, DEA, doctorats, diplômes d'ingénierie spécialisés dans la banque et la finance, ou dans d'autres domaines, car la banque offre de nombreux métiers. Ils ne se sont pas dirigés seulement vers le marché financier et la gestion de patrimoine, mais aussi vers le financement de l'économie, des particuliers aux entreprises en allant jusqu'à la mise en place de crédits pour les autres pays. Ils sont des experts dans leurs tâches quotidiennes qui s'appuient sur des back offices performants. Il suffirait juste de garantir à ces salariés la possibilité de s'exprimer et ils seront tout aussi créatifs que des « experts » qui bien souvent ne font que passer et ne sont pas responsables directement des transformations ou des projets qu'ils apportent et qui ignorent le sens du mot « bien commun » ou « service public ».

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