L'Australie vient de se donner un gouvernement travailliste minoritaire soutenu par les Verts et les Indépendants. C'est le meilleur gouvernement que l'on pouvait espérer dans lescirconstances politiques actuelles. On peut dire qu'il est sans aucun doute à la gauche de tout ce qui serait advenu dans le cas d'une victoire de la coalition de droite ou du Parti travailliste stricto sensu.

 

L'élection du 21 août dernier a élu un Parlement sans majorité. Sur une Assemblée de 150 sièges, les travaillistes en ont remporté 72 (une perte de 16), la Coalition de droite (alliance des deux partis traditionnels de droite) 73, les Verts 1 et les Indépendants 4, dont l'un est un ancien Vert. Avec les promesses de soutien des Verts et du Vert indépendant, le Parti travailliste peut donc compter sur 74 sièges. Mais les trois autres Indépendants (personnalités régionales et Conservateurs dissidents des politiques néolibérales mises en place par les principaux partis) ont négocié pendant dix-sept jours avant que deux d'entre eux finissent par rejoindre la coalition Travaillistes/Verts et lui donnent ainsi un poids de 76 voix dans l'Assemblée.

Ce résultat a ouvert une discussion dans le pays, qui remet en cause la politique néo-libérale, devenue l'idéologie officielle des travaillistes et de la coalition conservatrice. En économie, les Verts sont sociaux-démocrates et partisans de l'intervention publique. Les Indépendants sont dans une approche « étatiste », de sorte que la presse de Murdoch les a surnommés, non sans mépris mais non sans raison, des « socialistes agraires ». Enfin, nous dépassons grâce à ces élections au système de « deux partis, un seul choix ». Pour l'heure, le néolibéralisme n'est plus reçu comme une vérité incontestée.

C'est donc bien le meilleur des gouvernements depuis longtemps. L

es Verts et les Indépendants sont en avance sur le Parti travailliste sur trois thèmes clés : les réfugiés, le changement climatique et la guerre en Afghanistan. Ils sont entièrement d'accord pour prendre en charge un traitement humain des réfugiés, qui viennent pour la plupart du Sri Lanka et de l'Afghanistan et risquent leur vie dans de frêles embarcations pour atteindre l'Australie ; ils s'opposent au plan des travaillistes visant à expédier ces réfugiés dans des camps au Timor Oriental. Sur le changement climatique, les Verts et les Indépendants militent pour une réponse urgente (quelqu'elle soit) tandis que le Parti travailliste reste décidé à refuser tout ce qui ne serait pas favorable aux entreprises. Sur l'Afghanistan, les Verts et les Indépendants ont demandé un débat urgent dès l'ouverture des travaux du Parlement.

Fait intéressant : l'un des quatre Indépendants — Andrew Wilkie, un ancien analyste du Renseignement, qui, en 2003, avait quitté publiquement le Renseignement en dénonçant le fait que les documents produits pour justifier l'invasion de l'Irak étaient des faux — a caractérisé la thèse utilisée pour entrer en guerre en Afghanistan par l'ancien gouvernement travailliste comme « le plus grand mensonge de la campagne électorale ».

L'impact de l'échec électoral sur le Parti travailliste pourrait être positif. En juin, les dirigeants de de l'aile droite du Labor ont déposé le Premier ministre Kevin Rudd pour le remplacer par la vice-Premier ministre, Julia Gillard. Cela a été immédiatement suivi par un virage à droite dans des domaines-clés. L'impôt sur les bénéfices réalisés par le secteur de l'exploitation minière a été réduit de 40 % à 22,5 %. À l'avenir, les réfugiés seront renvoyés au Timor, et toute action sur le changement climatique qui susciterait l'opposition des industriels ne devrait pas être discutée dans les prochaines sessions du Parlement.

La droite du Labour a fait valoir que ce virage à droite servait à restaurer le poids électoral du Labour. Au contraire, ce virage a non seulement brouillé son image mais a suscité un mouvement hostile, favorable aux Verts. L'électorat du Labour est alors tombé de 43,5 % à 38 %, alors que les Verts gagnaient 4 % et passent ainsi à près de 12% des voix (+ 1,5 % pour la coalition de droite, qui a atteint 43, 5 %).

Ainsi, la dérive vers la droite n'a pas donné les résultats promis, et le secret des manoeuvres autour de la destitution de Rudd, Premier Ministre un jour et déposé le lendemain, a repoussé de nombreux électeurs.

Il est maintenant possible que l'aile gauche du Labour puisse parvenir à faire reculer le pouvoir et réduire l'influence des dirigeants discrédités de l'aile droite. Les Verts, qui ont doublé leurs résultats, disposent désormais quant à eux de 9 des 76 sièges au Sénat, où leur vote (14 %) est supérieur de 2% au résultat du vote de l'Assemblée (le Sénat est élu à la représentation proportionnelle). Avec un Labour à 31 sièges, le Sénat aura sa première majorité de centre-gauche depuis plus de trois décennies. (Toutefois, en raison d'une particularité de la Constitution, le Sénat nouvellement élu ne prendra effet qu'au 1" juillet prochain.)

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