Adolfo Atilio Gilly Malvagni (1928 né, en Argentine), est l'auteur de nombreux livres sur l'histoire et la politique du Mexique et l'Amérique Latine et professeur d'Histoire et en Science Politique à l'École de Sciences Sociales et Politiques à l'Université Autonome nationale du Mexique, où il a enseigné depuis 1979. Sa recherche se concentre sur la mondialisation et le mouvement Zapatiste.

J'écris ces lignes avec appréhension et peur : j’ai une crainte en ce qui concerne un processus de remise de la souveraineté nationale à notre puissante nation voisine qui a été entrepris par le gouvernement d’Enrique Peña Nieto et ses alliés du Pacte pour le Mexique, qui n'est pas seulement un pacte mais une alliance à fins spécifiques. Peur, parce que c'est le sentiment que chaque mexicain ressent maintenant  tous les jours pour son sort immédiat, pour sa famille, ses amis, sa propre personne sur cette terre qui a été transformée en un pays sans loi et par conséquent sans justice ni droit, en raison de la solide alliance d'intérêts entre le crime et les grandes entreprises financières nationales et internationales.

C'est le contexte dans lequel la réforme des Articles 27 et 28 de la Constitution semblent remettre les droits fonciers d’une grande partie des terres et des ressources naturelles de la nation à un seul soumissionnaire, les États-Unis.

Le pétrole est une ressource stratégique, telle que définie jusqu'à présent par l'Article 28 de la Constitution. Stratégie signifie « la direction et la conduite d'une guerre ou de guerres. ».

 Il n'y a aucune souveraineté nationale sans stratégie ni sans ressources à l'appui, qui doivent être à leur tour, protégées par cette stratégie. Remettre la propriété et le contrôle de ces ressources à nos pays voisins, signifie que ces stratégies (ou  ces guerres), ne sont pas une simple décision économique liée à la souveraineté. C'est l’abandon de notre souveraineté territoriale (la souveraineté exige un territoire, ou ce n’est plus la souveraineté) aux besoins de cette puissance et de ses multiples guerres sans fin : celle de l'Irak, celle de l'Afghanistan, celle de la Libye ; celle imminente en Syrie. C'est aussi une grande puissance de ce siècle placée sur la défensive dans un monde dont elle commence à perdre le contrôle. Mais pour l'instant aucune puissance équivalente n'occupe la place perdue.

Cette puissance militaire dirige avec ses drones, ses systèmes d'espionnage, ses espions, ses agents, son armée et sa police, officiellement embauchés et installés au Mexique, dans le territoire national ou celui des autres pays qui peuvent les intéresser. En ce qui concerne les militaires, c'est-à-dire les questions stratégiques, le Mexique est un territoire qui est déjà couvert par les États-Unis dans le cadre de ses plans militaires fous qui prétendent répondre à l'état actuel due monde.

L'utilisation au Mexique des forces armées – armée de terre, marine, air,  de supplétifs pour des tâches internes de police, est une tactique qui, comme nous le savons, a toujours la une question centrale pour les gouvernements précédents, et qui a détruit le moral et la raison d’être de l'armée nationale. L'Amérique latine est jalonnée de cas de cette corrosion progressive, en commençant par le Guatemala et le coup d'État contre Jacobo Arbenz en 1954, parrainé par John Foster Dulles, et dans le cas extrême de l'Argentine par Videla et Galtieri, généraux qui, avec la guerre intérieure contre leur peuple, ont préparé dans les îles Falkland la défaite d'une armée au moral brisé.

La trahison de Zedillo dans les négociations avec l'EZLN [Armée zapatiste de libération nationale] et le massacre d'Acteal, a ouvert la voie à une entreprise d’épuisement du moral des forces armées de la nation.  Le seul travail qui leur reste sont les tâches de police pour  faire face à l'essor des multinationales de la drogue mais aussi l’affrontement avec les  indigènes et les mouvements de paysans, c'est-à-dire, la partie plus ancienne et la plus profonde du Mexique, selon les sages paroles de Guillermo Bonfil.

La population non protégée s’organise de plus en plus pour se défendre contre les offensives des groupes criminels armés, des armées des gouvernements et de la police qui veulent désarmer ces compatriotes qu’ils ne protègent plus.

Des centaines de milliers de disparus et d’assassinés ; la totalité des territoires subissent des impôts prélevés par l'industrie de la drogue comme « cotisations »; un déni de justice dont l'affaire Alberto Patishtán est aujourd'hui le symbole national et l’emblème ; l’atteinte aux droits syndicaux, ou par la corruption et les charros [syndicats contrôlés par le gouvernement] (syndicats des travailleurs de Pemex, SNTE ; la liste est longue). En raison de l'insécurité, le droit de circuler librement sur les routes du pays disparait ; la destruction du réseau ferroviaire du pays et d’une partie de sa flotte aérienne ; l’abandon de la Banque et de ses partenaires aux capitaux étrangers ; une totale liberté pour Wal-Mart, Dragon Mart, Soriana qui peuvent établir des monopoles de fait sur des secteurs entiers du commerce :ce processus va maintenant culminer dans la remise des recettes pétrolières aux capitaux multinationaux pour répondre aux besoins de notre puissant voisin.

Inutile de dire que cette stratégie ouvre en grand les vannes pour une pénétration violente de ces mêmes intérêts privés et leur main mise sur les territoires, la vie des peuples autochtones et les ressources naturelles et la destruction de ces peuples et de leurs mondes  par le biais de barrages, de canaux et de mines à ciel ouvert, comme aujourd'hui dans le Sonora, Chihuahua, Durango, Guerrero.

Dans ce maelström de dépossession, ils cachent et préparent l'assaut contre l'EZLN au Chiapas, le « Good Government Juntas », les communautés zapatistes et l'autonomie gouvernementale des peuples autochtones de la région. Si cela ne s’est pas encore réalisé, c'est parce que ces gens se sont organisés pur attirer l'attention de leur « mauvais gouvernement », comme ils l'appellent. Mais la menace pèse toujours contre ces terres.

La raison principale de cette subordination de la souveraineté nationale, aux besoins de notre puissant voisin, c'est que le gouvernement mexicain accepté de filtrer les migrants venant d'Amérique centrale et du Sud et qui se dirigent vers le territoire des États-Unis, au lieu de donner un document de transit temporaire pour les sans-papiers, comme cela avait été convenu en principe en 2011. D'ailleurs, c'est le gouvernement des États-Unis qui doit résoudre ce problème, car c’est lui qui a besoin de ces travailleurs sans papiers et sans droits.

 Alejandro Solalinde, directeur de l' « abri des frères sur la route », a accusé le gouvernement, dans La Jornada, du 28 août,  à l'occasion d’un déraillement d’un train (baptisé pour cette occasion "La bête") à l’origine de morts, de blessés ou d’abandonnés : « La principale responsabilité de l'État mexicain est d'assurer la sécurité et l'intégrité des personnes qui passent par son territoire, indépendamment de leur statut d'immigration, mais de toute évidence, il a décidé d’ériger un mur. Les déraillements, les kidnappings, les extorsions et les raids qui touchent ces migrants, font partie de cela ».

 « Mais peut-être que notre Mexique ne nous appartient plus ? », se demandait  alors, en 1988, un agriculteur de Jalisco dans l'une des innombrables lettres envoyées à Cuauhtémoc Cárdenas au cours de sa campagne présidentielle. Un quart de siècle plus tard, cette question sans réponse devient une réalité anxiogène.

30 août 2013