Steven Forti, est chercheur auprès de l’Institut de “Historia Contemporanea della Universidade Nova de Lisboa”, membre de l’” Asociación de Historia Contemporánea spagnola”  et du “Centre d'Estudis sobre les Epoques Franquista i Democratica” dell'Universitat Autònoma de Barcelona.

Le premier rendez vous électoral de 2015 a confirmé les prédictions des analystes politiques : le système de bipartisme, qui a gouverné l’Espagne depuis 1982, est en crise (mais pas trop) ; de nouveaux acteurs politiques (Podemos et Ciudadanos) entrent dans l'arène politique pour y rester et y compter. La force politique d’Iglesias (Podemos) gagne un bon 15 %, ce qui est de bonne augure pour le vote national de novembre pour lequel Podemos est donné en tête dans les sondages.

« Le PSOE (parti socialiste espagnol) reprend un peu d’air, Podemos se consolide et le Parti Populaire, PP (droite) s'effondre », titre le Público, Journal en ligne proche du parti dirigé par Pablo Iglesias. El País au contraire met en évidence la « majorité solide » de la socialiste Susana Diaz, tandis que El Mundo souligne le fait que le coup porté au système par Podemos est « fort », mais qu’il ne « casse pas l'échiquier politique ». Il y a quelque chose de vrai dans ces trois lectures.
Le PSOE, dirigé par la Présidente issue de la junte andalouse, Susana Diaz, gagne avec une large marge (47 sièges et 35,4 % des voix), loin devant le PP qui paye cher la législature de Rajoy, législature marquée par une crise profonde et une politique sévère d’austérité. La croissance économique tant attendue (+1,4 % en 2014, et +2 ,3% pour 2015) n'a pas fait oublier aux électeurs le taux de chômage toujours élevé (plus de 23 % en quatre ans), les expulsions dues aux difficultés de remboursement des prêts hypothécaires et les tailles importantes sur l'Etat-providence. 
Juan Manuel Moreno Bonilla porte le PP à son plus mauvais résultat de ces 25 dernières années (de 50 à 33 sièges, soit 26,7 % des votants). 
Podemos est la troisième force politique : 15 députés au Parlement andalou et 14,8 % des voix. 
Ciudadanos (parti de « la citoyenneté » né en Catalogne) apparait comme la quatrième force avec 9 députés (9,3 % des suffrages), alors qu’Izquierda Unida, IU (extrême gauche) peine à garder son groupe parlementaire (il passe de 12 à 5 membres, et ne représente que 6,9 % des voix). 
Le reste des forces, y compris le parti centriste de l’UPyD de l’ex socialiste Rosa Díez, a été littéralement dévoré par Ciudadanos et ne décroche pas de représentation parlementaire.

Si nous étudions plus attentivement les résultats des élections nous pouvons repérer ce que ces élections peuvent signifier pour l'avenir de la politique espagnole. 

Tout d'abord, de nombreuses prévisions pour les élections de mars 2015 remettaient en cause le bipartisme PP-PSOE. Si celui-ci à montré quelques fissures, pour autant il tient toujours : en 2012, les deux grands partis avaient obtenu plus de 80 % des voix (et seulement trois partis ont été représentés au Parlement), hier, ils atteignent encore 62 % des votants. Aux européennes de l’année dernière ils n'avaient pas atteint les 50 %, mais nous savons que les « règles » des élections européennes sont bien différentes de celles des élections administratives d’un pays. 

Les élections qui vont se tenir le 24 mai prochain donneront un panorama très différent de la vie politique espagnole, car le vote va avoir lieu dans treize régions et toutes les municipalités, et surtout en novembre prochain quand il y aura des élections politiques générales.

Autre point qui n’est pas sans importance : les sondages d'opinion – bien plus que les sondages sortis des urnes – sont relativement fiables. Le sondage Metroscopia à une semaine du vote donnait un résultat très proche des résultats d'hier : deux sièges en moins pour les socialistes, trois en moins pour les populaires, trois en plus pour Ciudadanos et l’UI centriste (sur les pourcentages prévus l'erreur a été de l'ordre de 1. 5 à 1 %), alors que les résultats annoncés pour Podemos, qui était le facteur inconnu de ce scrutin, se sont révélés exacts. 

Si les prévisions pour les sondages à venir sont de même nature, il est certain qu’il y aura une « révolution » du paysage politique parlementaire espagnol au cours de cette année 2015. Selon toujours Metroscopia, si vous aviez voté en mars pour les élections politiques générales, Podemos aurait obtenu 22,5 % des suffrages, le PSOE 20,2 %, le PP 18,6% et Ciudadanos 18,4 % des votes. 

Autrement dit, d’un système à deux partis va surgir un quadripartisme et la difficulté de trouver une formule pour gouverner le pays. Cette difficulté existe déjà dans le cas andalou : il manque à Susana Diaz huit voix pour qu’elle ait la majorité parlementaire au gouvernement régional. Dans la dernière législature, qui a pris fin en raison de la volonté même de Díaz, les socialistes gouvernaient avec l’IU, une alliance maintenant impossible après la débâcle de l’IU dirigée par le jeune Alberto Garzón. Le plus probable, comme l'a déclaré Díaz lors des résultats, est que le PSOE gouvernera seul, tout en cherchant probablement le soutien de Ciudadanos (9 membres), dont le rôle deviendra celui d’arbitre. Albert Rivera (Ciudadanos) dit qu'ils  ne soutiendront pas le PSOE, mais qu’ils n'oublient pas pour autant que leur candidat en Andalousie, Juan Marín, a été l’adjoint au maire de la ville de Sanlúcar de Barrameda en alliance avec les socialistes. 

Tout cela va s’éclaircir dans les semaines à venir, mais il semble impossible qu’un accord intervienne entre le PSOE et Podemos ou entre le PSOE et le PP : tous les partis pensent aux prochains scrutins et un choix de ce genre serait préjudiciable autant aux Populaires qu’à Podemos.

Les nombreuses particularités de l'Andalousie

Tirer des résultats des conclusions des élections en Andalousie pour les appliquer à l’ensemble des territoires ibériques n'est possible que jusqu'à un certain point. 

L’Andalousie possède de nombreuses particularités. Deuxième région en terme de surface et première en population (8,4 millions, soit 18 % de la population espagnole), elle a un taux de chômage plus élevé que celui des Grecs (34 %), jusqu’à  42 %, dans la province de Cadix, taux comparable à ceux de la bande de Gaza. 

En outre, elle est gouvernée depuis 33 ans par les socialistes et probablement elle le sera encore pour les quatre ans à venir. Avec la fin du « zapatérismo » et les effets de la crise économique, sociale et psychologique, le PSOE est devenu le plus grand parti de l’Espagne du Sud : cependant au niveau national dans les dernières années il a perdu des voix, des provinces, des régions et près de 40 mille adhérents.

En Espagne, malgré quelques cas importants de corruption, comme celui qui impliquait la junte andalouse – deux ex gouverneurs socialistes Manuel Chaves et Jose Antonio Griñan – et les grands syndicats, UGT (Union générale des travailleurs) et CC.OO (Commissions ouvrières), le PSOE a bien tenu :  47 députés élus en 2012 lors des régionales et 4 % des voix « seulement » perdues, (120 mille électeurs) et Susana Diaz, qui aspire à devenir le nouveau chef des socialistes espagnols, devant Pedro Sánchez (avant ou après l'été?), fait preuve d’une assise solide, aimée par une grande partie des Andalous, elle est connue par sa facilité à être abordable (elle revendique en permanence être la fille d’un plombier) et soutenue par plusieurs "barons" socialistes, y compris les anciens présidents Felipe González et José Luis Rodríguez Zapatero.
Le réseau politique et le clientélisme socialiste a tenu, surtout dans les campagnes, dans cette région qui est la seule où depuis la fin du franquisme il n'y a jamais eu alternance entre les deux grands partis.

La défaite des populaires est totale. Si en mars 2012, le PP avait été à deux doigts d'obtenir le gouvernement régional (40,7 % des voix et premier parti), aujourd’hui il doit faire face à un bilan plus alarmant : plus de 500 000 votes perdus en trois ans, dévissant du premier au deuxième rang dans sept des huit provinces (il se maintenant seulement dans l’’Almeria « Levantine »). Statistiquement : un électeur sur trois a décidé de ne pas lui accorder sa confiance. Malaga a perdu 100 mille voix, Séville 120 mille. 

L’analyse à chaud de l'entourage de Rajoy était clair : nous devons changer de stratégie dès que possible et repenser le rôle et notre relation avec Ciudadanos, qui a gagné 369 mille voix, résultat important dans une région où lors des européennes ce nouveau parti de centre-droit n'avait pas même fait 50 000 votes. Voix, cela dit en passant, qui viennent toutes ou presque, d’anciens électeurs déçus du PP.

Ciudadanos y Podemos

Ciudadanos, parti né en Catalogne en 2006 et dirigé par le jeune et télégénique Albert Rivera (35 ans) a opéré rapidement une volte face qui l’a conduit d'une position de centre-gauche critique à un  nationalisme Catalan et à une position de droite libérale pour le « progrès », fondée sur le discours du « ni droite ni gauche », de la lutte contre la corruption, un programme néolibéral agrémenté de belles paroles soufflées par les économistes Manuel Conthe et Luis Garicano. Ciudadanos s’est défini, et de manière pas tout à fait injustifiée, comme un Podemos de droite, avec un projet  économique réchauffé de droite et des centristes espagnols pour contrer Pablo Iglesias aux européennes de 2014.

Le résultat de Podemos est légèrement inférieur aux attentes, même si les sondages avaient annoncé : 15 députés et un peu moins de 15 % des voix. 

L'Andalousie est l’une des régions où il est difficile à de nouvelles forces d’apparaître et de consolider leur influence. En plus, la politique électorale intelligente de Susana Diaz – pour battre le PP et freiner Podemos – a pris par surprise le jeune parti qui n'avait pas encore de structure régionale forte à Despeñaperros au sud de la région. Toutefois son score a été remarquable : 590 mille voix, plus du double que celles obtenues dans la région aux européennes 2014. D’où viennent ces votes ? Une grande partie des 120 mille et des 164 mille voix perdues, respectivement par le PSOE et de I’IU. Une autre partie vient de l’abstention (qui reste le premier parti avec 36,06%) : 3 % de plus qu'en 2012, soit un peu moins de 200 000 personnes. Et certaines, bien sûr, viennent en partie de la moitié du demi -million de voix perdues par le PP. 

De toute façon, comme l’a dit le soir de l'élection Sergio Pascual, dirigeant de Podemos, « le changement est non seulement quantitatif mais aussi qualitatif ». Et les résultats de dimanche marquent un changement qualitatif politique andalou. 

D’autre part la candidate de Podemos, l'ancienne députée européenne Teresa Rodríguez, représentant l'aile du parti là plus à gauche, vient de la gauche anticapitaliste (IA) et elle s’est toujours montrée critique avec Pablo Iglesias. Enric Juliana, rédacteur en chef adjoint du journal conservateur, La Vanguardia et analyste politique attentif, la définit comme « une jeune pasionaria avec un curriculum propre et sans ambiguïté excessive de rhétorique révolutionnaire ». Rodríguez a bien fait son travail : dans « son » Cadix, Podemos, est devenu le premier parti avec 28,8 % des suffrages et vendredi dernier il a réuni 14 000 personnes dans le Vélodrome de Dos Hermanas de Séville. La plus grande participation du public dans la campagne électorale.

L’Andalousie, de toute façon, est clairement à gauche : Podemos et l’IU (Izquierda unita) ont obtenu 863 mille voix (près de 22 %) et le PSOE 57 %. 
Ce résultat peut-il faire changer d'avis les courants critiques de l’« IU» sur la question d’une alliance avec Podemos pour les municipales et régionales à venir ? C’est ce que souhaitait le « Vieux » Julio Anguita, la semaine dernière. Anguita, ancien maire de Cordoue et ancien coordinateur fédéral de l’IU, militant apprécié et écouté, a obtenu le meilleur résultat jamais réalisé par Izquierda Unida, depuis la seconde moitié des années 1990. « Aviso a navegantes », comme l’on dit en Espagne, « avis » qui revêt une importance encore plus grande après les résultats de dimanche.

Petite disgression significative : dans la petite ville de Marinaleda Espagna (2 700 habitants), province de Séville, qui a toujours été dirigée par Juan Manuel Sánchez Gordillo, chef de file du syndicat des travailleurs andalous « Andaluz Sindicato de Trabajadores » (SAT), celui-ci vient de l’emporter à nouveau sur l’IU de Gordillo (élu au Parlement régional et député dans le cadre de la dernière législation) avec 43 %, malgré 24 % de votes en moins qu'en 2012. Podemos a obtenu 29 %. Est-ce une simple coïncidence si la CUT (Candidatura Unitaria de Trabajadores/as, candidature unitaire des travailleurs (euses)), qui est le bras politique de la SAT, après 27 ans d'Alliance avec IU, a décidé de s'allier avec Podemos ? Parmi les 15 élus de Podemos il y a María del Carmen García de la CUT.
Les élections andalouses ne répondent pas à toutes les nombreuses questions de ces derniers mois. Elles démontrent toutefois que, malgré les difficultés, les résistances çà et là, elles vont dans le même sens : une crise profonde du bipartisme et que l’arrivée de deux nouvelles équipes pourraient transformer le système espagnol en un système quadripartitaire non sans similitudes avec la première République italienne.  Les mois à venir seront déterminants pour tous les acteurs politiques. Y compris pour Podemos qui va cette semaine désigner dans le cadre de primaires ouvertes, ses candidats aux élections municipales, 
La clé sera Madrid. La victoire probable d’Ahora Madrid (Aujourd’hui Madrid)  - groupe né du regroupement de Podemos, d’autres forces et du secteur critique de l’IU dirigé par Mauricio Valiente, avec l'ancienne magistrate Manuela Carmena - se battra contre le socialiste Ángel Gabilondo, (philosophe et ancien ministre de l'éducation dans le dernier gouvernement de Zapatero) et contre Esperanza Aguirre du PP qui régit la ville et la région depuis deux décennies. 
Le 24 mai, très probablement, il sera beaucoup plus facile de comprendre quel sera l'avenir politique de l'Espagne.

mars 2015, micro mega, it.