Décidément, les tricheurs sont rois. Ils savent reconstruire l’Histoire à leur convenance ; ils savent instrumentaliser ceux qui sont plus grands qu’eux au bénéfice de leurs seuls courts termes électoralistes. Les médias leur emboîtent le pas servilement en célébrant le Héros-mort tout en gommant ce qui dérangeait en lui.

À la veille de chaque élection, les politiciens de toutes tendances ne manquaient pas de venir saluer en Martinique Aimé Césaire, comme les touristes étrangers ne manquent pas à Paris de visiter le Louvre ou de monter à la Tour Eiffel. Il y a des choses qui se font pour gagner des voix… ou ne pas en perdre trop. Aimé Césaire était un monument politique incontournable mis au travail forcé par les opportunistes de tous bords !

Le champion des fausses « ruptures », le « Chef » de l’État actuel, n’a pas manqué de rendre un hommage (piteux, car il n’a pas eu l’autorisation familiale de prendre la parole lors des obsèques) au poète antillais qui avait su dire non à toutes les discriminations, car « le nègre, écrivait-il, c’est aussi le juif, l’étranger, l’amérindien, le gitan, l’indien, l’analphabète, l’intouchable, le différent, le voisin… bref celui qui, a priori, par son existence même menace, est exclu, marginalisé, oublié, sacrifié ». Autrement dit, celui qui récuse, avant tout, l’idéologie de Neuilly, celle des nantis et des bien nés, celle de tous les ministères de l’Intérieur et de tous les états-majors politiciens !

A. Césaire a été « embaumé » par les tricheurs qui entendaient récupérer pour leur seul compte politicien Jeanne d’Arc et Guy Mocquet, Jaurès et Pétain, les technocrates et les poètes, pour être, à eux seuls et à la fois, gouvernants et opposants, majorité et minorité, racistes comme Aussares et africanophiles comme Senghor ou Glissant !

Pourtant, loin des eaux tièdes où nagent les hommes de pouvoir, A. Césaire était de « la race de ceux qu’on opprime », refusant l’assignation des peuples non européens dans cette sorte de « salle d’attente » de l’Histoire, où ils sont confinés et dont le seul acteur réel serait l’Occident face au « non-Occident ».

A. Césaire appelait la pensée européenne, libérée de l’impérialisme, à servir le Sud dominé, comme ont essayé de s’en servir Bolivar, Hô Chi Minh, Ben Barka, Guevara et bien d’autres….

La seule authentique composante de l’universalisme européen était pour lui son esprit radicalement critique et sa dimension révolutionnaire, qu’A. Césaire croyait avoir trouvé, par exemple, dans la libération du peuple haïtien, qui, seul contre tous, comme la Révolution française face aux monarchies européennes, s’était libéré de l’esclavage.

Celui que la télévision officielle, N. Sarkozy et quelques dirigeants socialistes ont voulu transformer en « bon papa martiniquais » en le panthéonisant pour mieux l’enfermer dans le petit monde académique de la pensée convenable, a été au contraire en état {jo_tooltip} Cf. H. Artus. « De Césaire à Glissant, état de l’insurrection poétique » in Rue 89
(http://www.rue89.com) |
« d’insurrection poétique » {/jo_tooltip} permanente, au détriment du réalisme « ce bon sens des salauds », comme disait Bernanos.

C’est ce qui explique son refus radical du colonialisme, « cette honte du XXe siècle », sous toutes ses {jo_tooltip} Cf. Discours sur le colonialisme, Présence africaine. | formes {/jo_tooltip} : A. Césaire assimilait domination de l’homme blanc sur les Arabes d’Algérie, les coolies de l’Inde et les nègres d’Afrique au nazisme. Ce que l’Occident prétendument humaniste n’a pas pardonné à Hitler, écrivait-il, « c’est le crime contre l’homme blanc », «d’avoir appliqué à l’Europe des procédés colonialistes », tout à fait « acceptables » vis-à-vis des peuples « barbares »… Le colonisateur comme le nazi « voit dans l’autre, la bête… », mais du coup, il « tend objectivement à se transformer lui-même en bête ». La civilisation qui a porté ce colonialisme, ajoutait Aimé Césaire, est une « civilisation malade, moralement atteinte, et historiquement moribonde ».

(Suite dans Utopie Critique N° 45)