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Catégorie : Actualités

Vijas Prashad, est historien, marxiste indien.

Le 14 juin, quand le Secrétaire d’État des États-Unis, Rex Tillerson, est allé devant la Commission des affaires étrangères US, un membre du Congrès républicain, Ted Poe du Texas, l’a interrogé sur la politique du gouvernement envers l’Iran. « Eh bien, », « notre politique iranienne est en cours d’élaboration ». Poe a demandé ensuite directement à Tillerson si le gouvernement américain avait « une philosophie du « changement de régime », pacifique ? ». Tillerson a répondu : « notre politique vis-à-vis de l’Iran est de travailler à appuyer certains éléments à l’intérieur de l’Iran qui conduiraient à une transition pacifique de gouvernement. Ces éléments existent, certainement. »

En d’autres termes, pour Tillerson, le gouvernement américain a été autorisé à renverser le gouvernement actuel de l’Iran par des moyens pacifiques. Ce qu’ils entendent par « pacifique » ne doit pas être pris à la légère. Aucune opération de changement de régime n’est jamais réellement calme. L’administration Trump, pendant ce temps, procède à un examen visant à institutionnaliser des sanctions contre l’Iran, à élaborer différentes options disponibles pour des actions Nord-américaines contre l’Iran. Ces options incluent la force militaire. Il y a de la   belligérance dans l’air.

Le 17 juillet, un mois plus tard, le président Donald Trump a affirmé au Congrès que l’Iran ne respectait pas l’accord nucléaire international, et seulement en partie le Plan d’Action (JCPOA). Le Président peut renouveler cet accord tous les 90 jours. Si le Président ne le fait pas, le Congrès américain dispose de 60 jours supplémentaires pour l’abandonner. Le porte-parole de la Maison Blanche a déclaré : « le Président a très clairement exprimé qu’il pensait que c’était une mauvaise affaire pour les Etats-Unis. » Trump avait voulu déjà refuser de certifier cet accord lors de la précédente échéance. Son équipe de sécurité nationale l’en avait dissuadé, convaincue que cet accord était précieux. Trump aurait dit qu’il le signait mais qu’ensuite, les choses seraient différentes.

La droite américaine reste fondamentalement opposée à cet accord. John Bolton, ancien ambassadeur des Etats-Unis à l’ONU, a écrit récemment que l’accord sur le nucléaire « est manifestement nuisible aux intérêts nationaux américains ». Trump partage cet avis. Ils croient, contre toute évidence, que l’accord permet à l’Iran de maintenir son programme nucléaire, le bureau international de vérification sur le terrain en Iran serait « mortellement inadéquat ». Bolton a exhorté Trump à se retirer de l’accord nucléaire qui serait « plus haute priorité » de l’Administration.

Il y a un certain enthousiasme généralisé à la Maison Blanche pour dénigrer l’accord et utiliser la puissance américaine pour étouffer l’Iran. Mais des éléments des services de renseignement américains et de la communauté diplomatique ne sont pas désireux d’une nouvelle confrontation avec l’Iran. Ce serait, affirment-ils, comme confondre la politique américaine en Irak et celle menée contre l’État islamique.

L’Iran se plaint que les États-Unis ont déjà violé l’esprit de la JCPOA. En mai, au siège de Bruxelles de l’OTAN, et en juillet, lors de la réunion du G20 à Hambourg, Trump a demandé en privé à ses alliés européens de cesser toutes affaires avec l’Iran. Quand il a été interrogé à ce sujet, la porte-parole de la Maison Blanche Sarah Huckabée Sanders a affirmé que Trump avait dit à des dirigeants européens « de cesser de faire affaires avec des nations qui parrainent le terrorisme, en particulier l’Iran ». Cependant, la JCPOA a clairement interdit « toute politique spécifiquement destinée à affecter négativement la normalisation des relations commerciales et économiques avec l’Iran ». Il faut donc trouver des « sanctions » d’un genre nouveau.

La droite américaine reconnaît que l’accord nucléaire ne peut pas être facilement démonté. Les États européens n’ont pas l’appétit pour une confrontation avec l’Iran. Les Européens sont désireux d’importer l’énergie iranienne dans leurs pays et ils voient l’utilité de l’Iran pour les multiples crises qui existent en Asie occidentale. C’est pourquoi le sénateur américain Bob Corker a dit qu’étant donné que Trump était « pleinement engagé » dans une politique anti-Iran soutenue par la droite américaine, de nouvelles sanctions étaient nécessaires pour punir l’Iran pour son « comportement non coopératif sur le nucléaire ». En d’autres termes, puisque l’Iran a testé des missiles balistiques, les États-Unis ont adopté de nouvelles sanctions touchant 18 individus, groupes et réseaux.

La théorie est que la pression sur les entreprises pour qu’elles cessent de faire affaires avec l’Iran et les nouvelles sanctions sur l’Iran finiraient par isoler le pays une fois de plus. Washington compte que les dirigeants iraniens vont durcir les positions, et les conduire à faire quelque chose de provocant qui permettrait à Trump de refuser la re-certification du JCPOA en octobre. Il ouvrira la voie à une confrontation beaucoup plus dangereuse avec l’Iran.

Le président Hassan Rouhani d’Iran, a déclaré que l’Iran saura « répondre » à ces sanctions, mais il n’a pas dit comment. Il a ajouté que l’Iran était reconnaissant envers les Européens, la Chine et la Russie pour leur « persévérance résolue pour sauvegarder la JCPOA ». Les Européens, les Chinois et les Russes ont-ils les moyens d’empêcher une guerre américaine ? Les Russes interviendraient-ils militairement en Iran — comme ils le font en Syrie — pour protéger le pays avec un parapluie nucléaire ?

Un message à l’Iran

Les Etats-Unis ont déjà des bases militaires aux portes de l’Iran, en Afghanistan, à Bahreïn, Oman, au Pakistan, Qatar, Turquie, Turkménistan, aux Émirats Arabes Unis (UAE) et ailleurs. Il y a au moins 125 000 soldats américains aux frontières de l’Iran et des milliers de navires de guerre et des avions prêts à intervenir.

L’Iran a conçu son programme de missile balistique comme un moyen de dissuasion, faible, contre cet encerclement militaire massif. Que les États-Unis aient décidé d’établir de nouvelles sanctions contre l’Iran pour ses tests de missiles balistiques c’est un message clair à l’Iran : les Etats-Unis mettront autant de pression que possible sur l’Iran pour l’empêcher de développer une capacité de dissuasion.

A la tête de l’Iran et du Corps de la Garde révolutionnaire islamique, le général Mohammad Ali Jafari, a déclaré que les Etats-Unis devront reculer leurs bases à 1 000 kilomètres de la frontière iranienne. Cela signifie que la base américaine de Shindand (Herat, Afghanistan), qui est seulement à 200 km de la frontière iranienne, et la base américaine de Bahreïn, à moins de 100 km de l’Iran, devront être déplacées. Si les Etats-Unis ne le font pas, Jafari a laissé entendre, que l’Iran maintiendrait son programme de missiles. Le programme, dit-il, « est défensif et ne sera jamais soumis à la discussion ou à la négociation en quoi que ce soit ».

La pression des Etats-Unis sur l’Iran vient non seulement des bases qui quadrillent le pays, mais aussi de celles qui sont en Asie de l’Ouest, de l’Irak au Liban. Tillerson a dit au congrès que l’Administration Trump était au courant du fait que « l’Iran a contribué aux forces déstabilisatrices présentes dans la région, en payant des combattants étrangers, en exportant des milices en Syrie, en Irak, au Yémen, et en soutenant le Hezbollah ». Les États-Unis, dit-il, « prendront des mesures pour répondre à l’hégémonie de l’Iran ».

Il y a un récit fantastique à Washington, qui dit que l’Iran est le pays le plus agressif de l’Asie occidentale et que les U.S.A - avec leur conception de « changement de régime » et la présence de bases militaires - sont simplement là pour bloquer les ambitions iraniennes.

A la frontière Syrie-Irak

L’Iran a été en effet désireux d’ouvrir sa frontière par la route de l’Irak vers la Syrie. L’Iran préférerait réapprovisionner le gouvernement de Bachar al-Assad par cette route beaucoup moins chère qui traverse la région, plutôt que d’expédier par avions des fournitures militaires et civiles. La route est ouverte depuis Damas à la frontière de la Syrie avec l’Irak et de la frontière de l’Iran à travers l’Irak. Or une base de supplétifs de l’armée US, le long de la frontière de l’Irak et de la Syrie, veut créer un État tampon pour bloquer l’accès de la route à l’Iran. Ce poste frontière en Syrie du sud-est est crucial et les deux parties qui se font face maintenant peuvent conduire à une impasse dangereuse.

L’attaché de presse de la Maison Blanche a déclaré que les Etats-Unis ont un « commun intérêt avec Israël pour s’assurer que l’Iran n’a pas de base militaire dans le sud de la Syrie ». L’activité des supplétifs de l’armée US, formés dans un camp de la CIA, en Jordanie, contre les troupes du gouvernement syrien soutenues par les milices iraniennes, a fait de la frontière sud de la Syrie un point très chaud.

Pendant ce temps, le long de la frontière du Liban, les tensions ont augmenté en raison d’une possible frappe israélienne contre des positions très fortifiées du Hezbollah. Israël a déjà collaboré avec divers groupes de rebelles syriens, y compris des groupes soutenus par Al-Qaïda, dans la région près du plateau occupé du Golan. Des avions israéliens ont régulièrement frappé des cibles militaires syriennes pour empêcher toute avancée de l’armée syrienne vers la frontière avec Israël. Israël souhaiterait également développer ses possessions sur les hauteurs du Golan et créer une vaste zone tampon avec la Syrie.

Ces manœuvres ont été entièrement soutenues par la Maison Blanche de Trump.

Les nouvelles sanctions sont des signaux dangereux tout comme les échauffourées entre supplétifs US, y compris entre Israël et les forces soutenues par l’Iran. Quand Trump était en Arabie saoudite en mai, il a suggéré que le conflit entre les Etats-Unis et l’Iran était un « combat entre le bien et le mal ».

Cette maxime religieuse évoque les mots de l’ancien président George W. Bush avant qu’il ait lancé la guerre illégale contre l’Irak en 2003. C’est l’Iran, suggère Trump, qui « propage la destruction et le chaos » dans la région. Cela, le jour suivant la réélection du président modéré en Iran et dans le même temps, l’engagement des Etats-Unis à vendre à l’Arabie saoudite, qui sème le chaos et détruit le Yémen, des armes pour une valeur de $ 110 milliards.

Il y a un appétit pour la guerre à la Maison Blanche de Trump et parmi ses partenaires israéliens et saoudiens. La guerre cette fois sera contre l’Iran. Si l’Asie occidentale est actuellement dans le chaos, il n’y a pas de mot adéquat pour décrire son destin si cette guerre ne commence.

 04/08/2017

CounterPunch