Après 4 journées de mobilisations et de grèves depuis janvier 2023, avec 1 à 2 millions de salariés dans les rues, la France n’avait pas connu une telle résistance à l’offensive anti-sociale du gouvernement, depuis de nombreuses années, même lors du mouvement des Gilets Jaunes. Peut-être bien depuis l’autre grande grève sur la retraite de 1995 qui a bloqué le pays pendant 3 semaines.

Macron ne sait que susciter la haine des Français. Mal élu, il ne l’a été que sur la peur d’une hypothétique victoire de le Pen, il a décidé le « Grand affrontement » celui d’une « normalisation européenne » des retraites des Français.

Or il y a une règle à laquelle les Français ne dérogeront jamais, c’est celle du contrat social entre l’Etat et les citoyens, basé sur la garantie de la solidarité et un Etat redistributif.

Bien sûr ce contrat social a été écorné mainte fois pour ne pas dire bafoué petit à petit depuis que le premier gouvernement de François Mitterrand a reculé rapidement devant « la real politique » et une construction européenne qui fut signe de régression du droit du travail, des droits sociaux et de l’alignement sur l’orthodoxie financière des « grands marchés », bref, du capitalisme « mondialisé ».

Les gouvernements Français, les uns après les autres quelque fut leur couleur politique « acceptaient l’ordre », s’inspirant peu à peu du modèle anglo-saxon, peu à peu des lois de Thatcher qui ont fini par briser le mouvement social qui structurait la société britanique. Tony Blair patron du « new labour » et de la « troisième voie » (entre socialisme et capitalisme, c’est-à-dire alignement sur le capitalisme) a continué en réduisant fortement le droit du travail, et les gouvernements conservateurs qui ont suivi l’ont achevé. Les salariés de la Grande Bretagne se réveillent aujourd’hui, après 40 ans de galère, avec des grèves quotidiennes qui touchent toutes les catégories de la population, pour l’amélioration de leur niveau de vie. Souhaitons-leur réussite comme ils souhaitent notre propre réussite.

En Allemagne, le chancelier Schröder issu du Parti social-démocrate a signé les lois Hartz (2003) qui réformèrent le droit du travail toujours pour une meilleure « adaptation » aux nouvelles « exigences » du capitalisme. Mais Schröder a signé là et la fin du « compromis Rhénan » (cad de la cogestion), et, sans le savoir, la chute de la social-démocratie, non seulement en Allemagne mais dans toute l’Europe.

L’Italie elle-même a été confrontée aux lois Berlusconi, puis celles de Renzi du Parti démocrate, et ensuite de Draghi le banquier et de quelques gouvernements « techniques » : toutes visant l’adaptation du salariat aux nouvelles conditions d’exploitation du travail. Aujourd’hui les Italiens depuis une dizaine d’années doivent travailler jusqu’à 67 ans ! Certes, des raisons démographiques peuvent expliquer ce recul. Les conditions offertes aux jeunes diplômés italiens : « salaire à 1000 euros » étaient telles qu’une classe d’âge a quitté le pays à la recherche de travail en Europe jusqu’aux USA, soit 500000 jeunes. Une génération qui manque au développement du pays, et dont ce pays à terriblement besoin aussi pour la lutte sociale. Mais les Italiens ne s’avouent jamais totalement vaincus.

Restait à domestiquer la France. Tous regardent ce qui s’y passe en ce moment.

C’est très simple : En France, plus qu’ailleurs, on ne touche pas au contrat social sans voir le pays se mobiliser, sans que cela se traduise par une crise politique. Après les Gilets Jaunes de 2019, c’est donc un bras de fer entre Macron, les syndicats, pour une fois tous ensemble, et les salariés.

Ce sera une lutte très difficile car elle a beaucoup d’obstacles à franchir.

  • Tout d’abord il y a une nouvelle configuration du « monde du travail ».

Que propose cette « nouvelle loi » ? Tous les salariés ont compris qu’il leur faudra une activité ininterrompue pendant 43 ans pour avoir une pension à taux complet. Or La nature du travail n’est plus exactement la même que par exemple en 1995. Le mouvement social, non plus.

L’éclatement du travail et sa transformation ont réduit l’influence des syndicats, tout comme le chômage et les petits boulots à répétition, la précarité, les jobs d’« entrepreneur individuel », bref « l’ubérisation », et une entrée au travail à plus tardive, problèmes auxquels viennent se rajouter maintenant, l’inflation et les conséquences économico politiques de la guerre en Ukraine, après la crise de la Covid 19 (hausse des matières premières, de l’énergie etc..).

Contrairement à ce que dit le gouvernement ce seront les femmes les plus touchées. Elles occupent la grande majorité des emplois à mi-temps et temps partiel, et elles auront donc le plus souvent des carrières interrompues pour l’élevage des enfants qui leur est toujours dévolu même sur une courte période.

Le minimum retraite promis à 1200 euros participe à cette vaste fumisterie, car là aussi il faudra avoir ses 43 années de cotisations.

  • Ensuite Macron lui-même. Il ne peut ni ne veut lâcher sa « réforme ».

Parce que son avenir est bouclé, il lui reste 4 ans à gouverner, pas de 3ème mandat en vue. Il peut maintenir contre vents et marées les 64 ans et 43 ans d’annuités, après lui "le déluge". Il se fiche de l’avenir de "Renaissance", ce « mouvement-parti » créé uniquement autour de sa candidature. Ensuite, sa gestion : "tout part de moi, tout revient à moi", ne peut que confirmer son désintérêt pour la survie ou non de son mouvement-parti.

  • Et les forces de « gauche » opposées à Macron ?

La manière dont s’est déroulé le débat à l’Assemblée nationale et comment il a été organisé par le gouvernement n’est que le résultat du vote des Français : un Français sur deux s’est abstenu à la Présidentielle de 2022. La députation est partagée en 3 groupes : la Nupes, le Rassemblement National, « Renaissance » de Macron et la droite des LR. Elle nous a offert, avec le gouvernement, un spectacle digne des bouffonneries de la commedia del arte !

La Nupes est une récente offre politico-électoraliste créée par un « rassemblement » pluri tendances de « gauche » (PS, PC, Verts, et d’autres sensibilités de gauche), mais aussi sur un schéma de cette vieille politique qui a déjà été mise en échec, celle de la « gauche plurielle » qui a sévi sous Mitterrand et Hollande. Parfaite pour les revendications sociétales (droit des femmes, de la PMA, des LGTB+, etc..), on peut redouter une certaine faiblesse politique de cette alliance conjoncturelle où domine une FI plutôt immature et sectaire. Rappelons que la FI vient de se donner une nouvelle direction « autoproclamée » sans vote des adhérents. Expliquer ensuite « au peuple » que la FI est un modèle de « démocratie », doit lui être un exercice risqué.

La direction de la FI et surtout JL Mélenchon ne veulent pas de dialogue à l’Assemblée nationale avec le pouvoir qu’il juge illégitime, ni avec les autres oppositions présentes. Elle veut être hégémonique et représenter à elle seule la lutte contre le gouvernement et elle tente donc aussi de chapeauter le mouvement organisé par les syndicats qui veulent garder leur autonomie. Ce qui se passe actuellement à l’Assemblée nationale, est une sorte de remake FI de la tactique désastreuse du Komintern dans l’Allemagne des années 1920/1930, dite du « Front contre Front » qui opposa les communistes allemands aux Sociaux-démocrates pendant que les nazis occupaient la rue puis le pouvoir

Un exemple, le RN de Le Pen qui refuse cette loi, a proposé au vote un référendum sur la « réforme » en disant que c’était au peuple de trancher. C’est après tout son cœur de votants qui est concerné et qu’elle défend. La direction de la FI a refusé de soutenir cette motion qui aurait pu être majoritaire, bloquer le processus législatif et donner la voix aux Français qui sont à 70% contre. Pourtant, dans son programme pour la 6ème république JL Mélenchon y a inscrit le droit à référendum sur les problèmes importants.

Non, la direction de la FI et surtout JL Mélenchon ont choisi de mener une « bataille d’amendements ». C’est-à-dire bloquer le processus de discussion des articles de la loi proposée. Ils en ont déposé plus de 13000 qui doivent être traités en 15 jours avant la date butoir du 17 février 2023, date à partir de laquelle le débat va être transféré au Sénat. Or la procédure accélérée choisie par le gouvernement exige que les élus se prononcent en 50 jours, soit d'ici le 26 mars à minuit, faute de quoi les dispositions de la réforme pourraient être mises en œuvre par ordonnance, comme le prévoit la Constitution.

Malgré tout la FI semble partagée sur la tactique de sa direction. Elle vient d’annoncer qu’elle retirait une grande partie de ses amendements – il en reste quand même encore plus de 3000 – à la demande des syndicats qui veulent que soit discutée la 7ème proposition qui concerne l’âge de départ à 64 ans. Or JL Mélenchon par l’intermédiaire d’une déclaration dans un meeting a confirmé son opposition au débat.

La FI (JL Mélenchon) a-t-elle raison dans sa tactique ? A-t-elle fait le bon choix ? Ou montre-t-elle par la même une certaine faiblesse politique ? Ce sera aux Français d’en décider lors des prochaines élections à venir, ou des abstentionnistes.

Le RN joue la respectabilité et refuse la loi. La majorité des LR (les républicains) soutient le gouvernement pour une loi qu’elle portait elle-même, mais fait sa coquette pour montrer qu’elle existe indépendamment du gouvernement.

Bref, « bataille d’amendements » ou pas, l’Assemblée nationale n’a pu examiner, en première lecture, que le premier titre de la nouvelle loi et en votant pour la fin des régimes spéciaux, et le deuxième qu’elle a rejeté qui voulait pénaliser les entreprises qui refuseraient d’adapter le poste de travail des « seniors » et de les conserver dans leurs emplois. Le Medef, l’organisation patronale était contre..

Bref la lutte se passe ailleurs, dans la rue, le service public, les entreprises et les services.

·       Alors la question reste posée : « jusqu’à quel extrémisme Macron va-t-il aller pour sa « réforme », au risque de mettre le pays à sang et à feu ? Quel nouveau subterfuge pourrait-il utiliser, car on ne le voit pas renoncer ?

Le Macron 2023, c’est un Macron qi a endossé la panoplie du chef de guerre européen pro-ukrainien. Il a déclaré : « Nous sommes dans une économie de guerre ». Effectivement, il a choisi de financer le coût de cette guerre pour un montant de 400 milliards sur la période 2013/2030 ! Il a aussi affirmé, en réponse à la demande de Zelenski pour la livraison ou non d’avions de chasse - qui ne seraient plus alors une arme de « défense » mais deviendraient une arme « offensive » contre la Russie et donc perçue par cette dernière comme une déclaration de guerre de l’Otan : « rien n’est exclu ! ». Peut-être pense-t-il avoir trouvé ainsi le moyen d’échapper à un vrai débat avec les Français qu’il juge acquis au soutien de cette guerre (sans les avoir consultés) ? Il est vrai qu’une partie de la société française est traversée par un certain doute devant les conséquences humaines de la guerre. Macron est certainement tenté de l’utiliser. C’est quand même risqué pour lui.

Conclusion

Quoiqu’il en soit, la question du rapport de force se retrouve posée aux Français à chaque grande remise en cause du statut social. Ils ont décidé, dans les plus petites villes comme dans les métropoles régionales, de se mobiliser et ils ne lâchent pas prise pour l’instant.

: Les syndicats, dans l’unité, et c’est tellement rare ces dernières années, ont fait à ce jour, un sans-faute. Ils ont adopté une tactique pour lancer le mouvement qui montre sa pertinence : grèves et manifestations-rassemblements le Samedi pour ceux qui n’ont pu se mettre en grève. Ils ont choisi de proposer à partir du 7 Mars - date à laquelle la discussion revient à l’Assemblée Nationale – pour lancer une journée de grève nationale qui pourra être suivie de journées de grèves reconductibles.

En ce qi concerne la reconduction des grèves, certains syndicats ont déjà répondus Oui. Ce sont généralement des fédérations de la CGT dites « dures ». Or il va y avoir dans peu de temps un congrès de la CGT. Les positions de force se manifestent aussi de cette manière-là. Cela-dit, les fins de mois sont très difficiles pour un grand nombre de salariés. Et il faut cependant les mobiliser. Et pour l’instant seul le secteur public a répondu.

Pourtant ce mouvement doit permettre aux salariés, y compris du privé, de se mettre debout contre la violence du gouvernement.

Le mouvement doit aussi faire face à la tentation immédiate de ce qui reste de l’extrême gauche de lancer les salariés à peine mobilisés, vite, vite, dans un mouvement reconductible incertain, pour se refaire un « Mai 68 » ; compter avec toutes les provocations d’où qu’elles viennent, la violence de l’ultra gauche, des Blacks blocs, qui sont pour l’instant relativement discrets, voire de la police elle-même ; et contenir la violence des affrontements avant qu’elle ne monte en vrille pour finir par on ne sait quoi.

« Mai 68 » a démarré en mars à la faculté de Vincennes. Les médias n’ont retenu par la suite que le mouvement étudiant. Le mouvement des jeunes a gagné les prolétaires mi-Avril pour finir en Juin avec l’allocution du Général de Gaulle qui avait disparu en Allemagne pour s’assurer du soutien des parachutistes du général Massu (de sinistre mémoire pendant la guerre d’Algérie). Plus de 12 millions de salariés ont été officiellement en grève. En réalité c’est certainement le double car à la reprise du travail il fallait, pour recevoir son salaire intégral ou non, déclarer si l’on avait été gréviste ou empêché par la grève des transports de rejoindre le lieu de travail.

Pour celles et ceux qui l’ont vécu, « Mai 68 » c’est une explosion de spontanéité (mais précédée peu avant par des grèves dures dans certains secteurs comme celui des OS qui pouvaient annoncer des secousses sociales à venir) qui a gagné les salariés, la population générale et entrainé les syndicats. « Mai 68 » s’est construit de Comités de grève en Comités de grève, d’Assemblées générales en Assemblées générales, de Manifestations en Manifestations et d’Occupations en Occupations sans parler de l’auto-gestion du lieu de travail ou de citoyenneté (quartiers, mairies etc..). Un pas, le plus dur, avait été franchi par les salariés déterminés à aller jusqu’au bout de leur lutte.

Même si les accords de Grenelle (fin Mai 68) ont transformé les conditions de travail, les grilles de salaires et l’exercice du syndicalisme, il a manqué une solution politique, autre que le retour de de Gaulle. Et s’il a été battu par le référendum de 1969, c’est quand même la droite qui a repris le pouvoir, jusqu’en 1981, mais là commence une autre histoire, celle de la décomposition du mouvement ouvrier et de ses organisations. Et cette décomposition est toujours en œuvre aujourd’hui.

Bien que "l’histoire ne repasse pas les mêmes plats" cette expérience reste à méditer pour la réussite du mouvement qui démarre actuellement. Macron a montré avec les Gilets jaunes qu’il avait joué le pourrissement de leur mouvement (qu’ils ont refusé de structurer), même s’il a fini par lâcher quelques 17 millions. Mais l’enjeu autour des retraites est sans commune mesure. !

Il y a donc un temps pour tout. Donnons-nous toutes les chances de gagner cette grande lutte pour la solidarité et la protection sociale.

18 février 2023