Herman Michiel est l’éditeur du site flamand-néerlandais Ander europa

Lors des élections au Bundestag du 16 septembre le parti de gauche allemand Die linke a obtenu un résultat désastreux. Quelque 2,3 millions de personnes ont voté pour le parti, soit 2 millions de moins qu’en 2017. Selon les analystes, sur ces 2 millions, 820 000 auraient voté pour le SPD social-démocrate, 610 000 pour les Grünen (Verts) et 520 000 n’auraient pas voté.

Le score de 4,9% des suffrages exprimés était juste en dessous du seuil électoral de 5%, mais comme il y avait encore trois candidats directement élus (via le système allemand d’élection séparée d’un mandat par circonscription électorale, le soi-disant Erststimme), le seuil ne s’appliquait pas selon la loi électorale. Le Parti de gauche sera toujours représenté au Bundestag avec 39 membres élus, soit 30 de moins qu’auparavant. Traditionnellement, le centre de gravité électoral de Die linke se trouve dans l’ex-RDA, et en Thuringe et en Mecklembourg-Poméranie occidentale, il a effectivement encore atteint plus de 11% (et 8,5% dans le Brandebourg), mais la moyenne de 9,8% pour les cinq Länder de l’ex-RDA n’est que la moitié du résultat de 2017.

L’Alternative für Deutschland (AfD) d’extrême droite perd quelque peu, mais reste très forte en Allemagne de l’Est.

Les résultats électoraux des partis de gauche, partout en Europe ou au-delà, ne laissent aucun groupe de gauche intact.

Lorsqu’il s’agit de l’État membre le plus important de l’Union européenne (UE), les développements peuvent également avoir une signification plus large. On en a un exemple dans la phase de « questionnement » dans laquelle se trouvent à peu près tous les partis de gauche en ce moment. Quelle stratégie adopter dans un contexte généralement néolibéral dans lequel la droite, et de plus en plus l’extrême droite, semble prospérer ?

Il y a des tentatives dans une direction populiste de gauche, comme Podemos en Espagne. En France, Mélenchon tente de charmer l’électeur avec un récit étatique souverainiste. Le PS néerlandais semble vouloir protéger l’État-providence des mauvaises influences. En ce qui concerne Die linke, il y a différents courants présents, avec des idées différentes sur ce que le parti devrait faire. Mais en fin de compte, c’est un groupe limité de dirigeants qui a fait de l’empressement à participer au gouvernement sa pièce maîtresse électorale.

Dans ce qui suit, nous discuterons successivement de l’opinion de la direction de Die linke, des différents courants au sein du parti et enfin des commentateurs de gauche et des organisations extérieures au parti.

La direction de Die linke

Lors de la conférence du parti au printemps 2021, en vue des élections au Bundestag de l’automne, le Parti de gauche a élu un nouveau conseil du parti (Parteivorstand,44 membres) et une présidence de deux personnes, le duo féminin Janine Wissler et Susanne Hennig-Wellsow. Wissler était considérée comme représentant l’aile la plus à gauche, tandis que Hennig-Wellsow était considérée comme un « réaliste » qui visait la participation au gouvernement, dans les Länder et si possible dans la République fédérale elle-même. Cependant, la campagne électorale a été menée par une petite équipe et le conseil du parti ne s’est pas réuni pendant toute la durée de la campagne.

Deux « Spitzenkandidaten » (candidats clés) étaient sous les feux de la rampe : la présidente du parti Janine Wissler et Dietmar Bartsch, président de Die linke au Bundestag. Bien que le programme électoral indique expressément que la participation à un gouvernement qui s’engagerait dans des privatisations, la réduction des prestations de sécurité sociale et des services publics est hors de question, La campagne a été dominée par la volonté de Die linke de se préparer au gouvernement.

La participation au gouvernement se ferait dans le cadre d’une coalition rouge-rouge-verte (« RRG ») (SPD – Grüne – Die linke). Les partisans de cette option au sein de Die linke se sont vus renforcés par les scores élevés que les Grünen ont obtenus dans les sondages pendant un certain temps, et plus tard comme le SPD a fait une avancée remarquable et il a dépassé la CDU /CSU chrétienne-démocrate. Le « gouvernement de gauche » a vu sa chance et, début septembre, trois semaines avant les élections, il a lancé une version édulcorée du programme électoral, le « sofortprogramme » (« programme d’urgence »). Les points « répréhensibles » du programme électoral convenu qui faisaient obstacle à une éventuelle coalition « RRG », selon le SPD et son Spitzenkandidat Scholz, avaient été supprimés. Cela concernait principalement le rejet par la gauche de l’OTAN et le déploiement de soldats allemands à l’étranger. Lors de la présentation du Sofortprogramm, Bartsch (candidat de Die linke) a déclaré que : « la meilleure chose pour le monde, l’Europe et l’Allemagne serait une coalition de centre-gauche ».

Si l’intention d’une coalition rouge-rouge-verte avait jamais existé en dehors de la tête de Bartsch et d’autres, elle n’était bien sûr plus possible une fois les résultats des élections connus. De plus, arithmétiquement, RRG n’obtient pas de majorité. Cependant, les protagonistes de la participation gouvernementale et du programme Sofort ne semblent pas faire de mea culpa. Hennig-Wellsow ne voit « aucune contradiction entre le travail du gouvernement et la politique du mouvement » ; après tout, cela n’aide pas « de se tenir à la clôture du jardin en faisant quelques commentaires ». À l’avenir, Die linke doit « faire comprendre que nous sommes un parti de gauche moderne qui est prêt à prendre ses responsabilités ». Wissler, l’autre coprésidente du parti, était connue pour ne pas être un grand partisan de RRG, mais apparemment elle ne pensait pas qu’il était approprié d’intervenir sur le sujet.

Gregor Gysi, pour sa part (l’un des trois membres directement élus et figure de proue de Die linke en Allemagne de l’Est), conteste que la débâcle ait quelque chose à voir avec les ambitions de gouvernement de Die linke (« seuls ses opposants le pensent »). Toute la discussion sur l’OTAN l’irrite ; « la dissolution de l’OTAN n’est pas dans notre programme électoral »Page 137 du programme électoral : « Nous exigeons la dissolution de l’OTAN et son remplacement par un système de sécurité collective avec la participation de la Russie, avec le désarmement comme objectif central ». En outre, le programme électoral stipule que Die linke « dans toutes les configurations politiques » et indépendamment du fait que l’Allemagne se retire ou non de l’OTAN, défendra le retrait des structures militaires de l’OTAN et l’abandon de son commandement suprême. Defend democracy press, 20 octobre 2021

Pour Dietmar Bartsch ce n’est pas la campagne électorale en tant que telle qui est la raison de la débâcle, mais la cause serait plus profonde, entre autres dans les divisions du parti qui sont souvent apparues à la surface. L’eurodéputé de gauche Martin Schirdewan regrette également qu’il n’y ait plus de majorité pour une « alternative progressiste dans laquelle la gauche aurait pu faire des corrections sociales ». Cette déclaration de la bouche du co-président de la Gauche unie au Parlement européen a une portée plus large que celle de l’Allemagne...

Il y a d’autres indications que les partisans de la participation gouvernementale ne tirent pas les leçons de leurs ambitions prématurées. Dans un article de Sozialismus daté du 6 septembre, jour de la parution du Sofortprogramm, Joachim Bischoff et Gerd Siebecke écrivent avec enthousiasme sur l’opportunité d’une « coalition progressiste ». Trois semaines plus tard dans le même magazine, ils ont discuté des résultats des élections et ont souligné plusieurs problèmes réels dans Die linke, mais il n’y avait aucune mention du comportement capricieux de la direction de campagne et de son obsession gouvernementale.

Il y a eu une première discussion les 2 et 3 octobre au sein du conseil du parti, qui s’est réuni pour la première fois depuis son élection en février. Bien sûr, il n’y avait pas encore d’analyse approfondie. Il y a eu pas mal de mécontentement quand Bartsch a quitté la réunion après un court laps de temps. Le rapport des débats n’aborda pas non plus suffisamment la discussion sur la participation gouvernementale en tant que cœur de la campagne. Tout le monde s’accorde à dire que le parti a reçu un coup dur et qu’il doit y avoir un débat approfondi sur la voie à suivre avec Die linke. La réduction des effectifs parlementaires a également des conséquences financières ; trois millions d’euros de revenus en moins doivent être pris en compte.

Nous allons maintenant passer en revue certaines des réactions des différents courants au sein de Die linke.

Gauche socialiste (SL)

Le Sozialistische Linke (SL) est un courant au sein de Die linke qui se présente également comme le « courant à orientation syndicale » et le « centre gauche du parti ». Il s’adresse aux membres « socialistes de gauche, sociaux-démocrates de gauche et communistes réformateurs » et aurait environ 800 membres.

Déjà le 1er octobre, le SL avait une position globale sur le résultat « catastrophique » des élections. On pourrait s’attendre à ce que, d’un point de vue syndical, la recherche de résultats concrets dans le domaine de la politique sociale tende à se rapprocher le plus possible du système étatique. Cependant, ce n’est pas le cas. SL le dit très clairement : gouverner à gauche n’est possible que si les conditions sont bonnes. Il doit y avoir une dynamique dans la société qui soutienne nos points de vue, « également en distinction avec d’éventuels partenaires de coalition ». SL ne croit pas que cette dynamique était présente, et regrette qu’il n’y ait plus eu de position offensive envers le SPD et les Grünen sur toutes series de questions (impôts, retraites, politique d’austérité, défense, politique étrangère, Afghanistan...).

La Gauche socialiste pense également que le parti ne s’adresse pas assez aux travailleurs, chômeurs, retraités et personnes ayant un faible niveau d’éducation (« Un parti uniquement pour les universitaires ? »). Selon les analyses, le SPD et Grünen ont gagné des syndicalistes, tandis que Die linke y a perdu des électeurs.

Selon SL, Die linke doit devenir un « parti socialiste de masse », ancré parmi les jeunes et les moins jeunes, dans les zones urbaines et rurales, parmi les indigènes et les migrants. Pour y parvenir, les intérêts de la majorité doivent être mis au centre du programme. Il doit y avoir de la place dans le parti pour les « gens ordinaires », pas seulement pour les militants radicaux.

SL ne donne pas de détails sur le rôle de la controversée Sahra Wagenknecht. D’une part, il croit que les personnalités sont importantes pour un parti, et Wagenknecht est peut-être le visage le plus connu de Die linke. Mais d’un autre côté, avec « Aufstehen » (une tentative ratée de mettre en place un mouvement autour ou en dehors de Die linke), la publication d’un livre controversé pendant la campagne électorale et des déclarations égoïstes, elle a provoqué des divisions au sein du parti et de la confusion à l’extérieur. Dans une considération comptable, SL estime que Wagenknecht a conduit plus de gens dans le parti sur le net qu’à l’extérieur.

Marx21

Il s’agit d’un cercle marxiste autour de la revue du même nom ; contrairement au Sozialistische Linke, ce n’est pas un courant officiellement reconnu au sein du parti. Quelque 300 membres appuierait l’initiative.

Dans sept « thèses », Marx21 pointe en premier lieu la tentative de former une coalition rouge-rouge-verte, et de nier le programme réel du parti pour cela. « En tentant de former un front électoral avec le SPD et les Grünen, le parti a perdu l’occasion de les attaquer agressivement. » Marx21 reconnaît que beaucoup de gens veulent un autre type de gouvernement, et que le parti doit y répondre ; la possibilité de participer à un gouvernement de gauche ne doit pas être exclue, mais cela doit se faire sur la base de la défense d’un programme de gauche, et non en avalant des critiques déjà pendant la campagne.

Marx21 rejette également l’idée, fortement soulignée par Sahra Wagenknecht, selon laquelle le parti s’est trop éloigné du travailleur ordinaire et du retraité, et se concentre trop sur la migration, le racisme, l’écologie, etc.

La cinquième thèse soulève un point important, souvent sous-exposé. La débâcle électorale se situe principalement dans l’ancienne Allemagne de l’Est. « A l’Est, le nombre de membres du parti diminue systématiquement, tandis qu’à l’Ouest, il s’est redressé et est presque revenu à son niveau de 2007 ».

Marx21 note également que la participation au gouvernement n’est pas une garantie pour la politique sociale. L’État de Brême est gouverné par une coalition du RRG, mais là, pendant la pandémie et avec le soutien du Die linke, 440 lits dans les hôpitaux publics ont été supprimés. Et en 2002, Berlin était gouvernée par une coalition SPD-Gauche, responsable de la privatisation de 70 000 appartements.

Pour Marx21, la conclusion est que Die linke devrait prendre un nouveau départ (« reboot ») et ne pas considérer l’opposition comme quelque chose d’inutile. Le parti doit devenir le moteur de la résistance et du contre-pouvoir.

Gauche anticapitaliste (akl)

L’Akl qui compterait environ un millier de membres, est officiellement reconnu au sein du parti et est ouvert à une variété de points de vue de gauche, y compris des non-membres du parti. Il est critique du parlementarisme et nettement antimilitariste (Tobias Pflüger en est un porte-parole bien connu, mais n’a pas été réélu).

Lors du conseil du parti le 3 octobre, Thies Gleiss a exprimé le point de vue d’akl. La campagne électorale, visant à former à tout prix un « gouvernement de gauche », a été une rupture avec le programme du parti. La devise de Bartsch, « nous devons sortir le SPD de sa captivité CDU », équivalait à faire campagne pour le SPD. Cela a dérouté de nombreux électeurs, dont beaucoup ont ensuite voté pour le SPD ou les Grünen. L’analyse faite par Akl-Rhénanie du Nord-Westphalie (l’État fédéral le plus peuplé) indique que le côté social de la politique climatique n’a pas été suffisamment mis en évidence, qu’il n’y a pas eu de campagne contre « Hartz4 » [réforme du marché du travail décidée par le SPD-Grünen sous Schröder, impliquant un traitement plus sévère des chômeurs] et que la campagne était unilatéralement centrée sur la figure de Sahra Wagenknecht ; elle et cinq autres personnes ont été élues en NRW, mais ce n’est que la moitié de ce qu’elle était en 2017.

Quelque peu lié à akl est la Kommunistische Plattform (KPF) également anticapitaliste et antimilitariste, mais moins critique du passé stalinien de la RDA. Dans une brève réaction aux élections, KPF souligne la prudence avec laquelle le SPD et Grünen ont été traités par les chefs de campagne, qui ont fait de la participation au gouvernement l’objectif principal. Le fait que les positions des partis sur l’OTAN et l’utilisation de la Bundeswehr aient été oubliées dans le processus était également un pas de trop pour KPF, bien sûr. La question se pose également de savoir si une telle volonté de compromis sur les questions militaires ne serait pas étendue par les électeurs aux doutes sur la fermeté du parti sur les questions sociales.

« Bewegungslinke »

Le « Bewegungslinke » (« mouvement de gauche ») n’a été fondé qu’en 2018, mais le mouvement est fortement représenté dans le conseil actuel du parti. Ils veulent former un pont entre le parti et les mouvements extraparlementaires (mais n’ont pas soutenu le mouvement Aufstehen de Sahra Wagenknecht).

Dans leur analyse du résultat des élections, la défaite est principalement considérée comme l’expression de la crise dans laquelle se trouve le parti. « Nous devons nous poser des questions fondamentales : qu’est-ce qui n’allait pas dans le parti du passé, à quoi devrait ressembler le parti du futur ? » Il n’y a pas de discussion sur la campagne axée sur le gouvernement, mais plutôt des considérations approfondies sur l’histoire passée de Die linke. Il a été formé comme une fusion entre un pôle Est fort, le PDS (Parti du socialisme démocratique) et des « membres désillusionnés du SPD » à l’Ouest. Son succès initial s’est basé principalement sur le pôle Est, mais il a depuis été affaibli, entre autres par un électorat vieillissant. D’autre part, de nouveaux membres ont afflué ces dernières années, souvent des jeunes issus de mouvements antiracistes et autres, des militants pour le climat, des personnes en famille d’accueil. Le parti ne s’y est pas suffisamment adapté ; le défi consiste maintenant à donner naissance à un « nouveau parti ».

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Si l’on considère les réactions des courants assez divers au sein de Die linke, tous (à l’exception peut-être de la Bewegungslinke) sont en désaccord avec la teneur de la campagne qui visait presque inconditionnellement une coalition avec le SPD et les Grünen. N’est-ce pas une observation audacieuse ? Au moment où un parti fait son apparition publique la plus visible, il est le moins dirigé par ses organes représentatifs. Comme nous l’avons mentionné, le conseil du parti ne s’est pas réuni une seule fois pendant la campagne ; le programme approuvé du parti a simplement été remplacé par le « Sofortprogramm » par la direction de la campagne... Mais c’est une lacune que l’on ne trouve pas seulement dans Die linke. Dans le Parti travailliste britannique, c’est une pratique courante, et en fait, dans tous les partis bourgeois et sociaux-démocrates, les membres ont peu ou pas leur mot à dire sur les campagnes électorales et la ligne du parti en général.

À cet égard, Die linke n’est certainement pas le pire. Le fait que les courants organisés puissent fonctionner signifie que différents points de vue peuvent être présentés. Dans ce contexte, il est frappant de constater que, malgré le fait que les désaccords internes soient mis en évidence de divers côtés comme négatifs pour le parti, cela ne conduit pas à des plaidoyers pour l’abolition de la diversité. Les Jeunes de la gauche expulsés du PS néerlandais doivent en rêver ! Peut-être que les militants du parti Die linke auraient dû s’affirmer dès que la campagne électorale a pris son tour gouvernemental. Et le conseil du parti n’aurait-il pas pu intervenir plus tôt, sans attendre les résultats des élections ?

Les réactions rapides et engagées à la débâcle électorale indiquent également plus d’engagement envers le parti que ce n’est souvent le cas ailleurs. La gauche anticapitaliste, par exemple, souligne que le résultat global des élections ne peut être interprété comme un déclin de la gauche dans la société allemande ; Le SPD et les Grünen gagnent ensemble plus de voix que Die linke n’en perd. Si les attentes des électeurs d’une politique différente restent insatisfaites sous le futur gouvernement, la nécessité d’une véritable alternative de gauche deviendra plus claire, selon akl. Le succès retentissant du référendum de Berlin sur l’expropriation des spéculateurs immobiliers, montre également que de larges couches de la population sont réceptives aux mesures radicales.

Réactions en dehors du parti

Il n’est pas nécessaire d’être membre (actif) d’un parti pour espérer ses progrès, et pour s’inquiéter du contraire. Les réactions à la défaite électorale de Die linke de la part de mouvements, d’universitaires engagés et d’électeurs individuels prouvent que beaucoup de gens placent leur espoir dans Die linke.

Quelques jours après le 26 septembre, une série de militants pacifistes de premier plan ont publié une déclaration commune exprimant leur déception face à la voie suivie par les positions antimilitaristes du parti. Leur conclusion : il n’y a qu’une seule alternative : un travail d’opposition dur, cohérent et axé sur des programmes comme seul moyen de revenir à l’identité politique et à la crédibilité auprès de l’électorat.

Dans l’édition allemande de Jacobin, Klaus Dörre, professeur de sociologie à Iéna, donne son point de vue sur la chute de Die linke. Le parti aurait dû jouer un rôle de premier plan dans la tâche principale de notre temps, un changement radical vers la durabilité, il avait un bon programme sur le sujet, mais il n’y avait rien à entendre ou à voir dans la performance publique. C’était également le cas en ce qui concerne l’OTAN et l’activité politique vers l’étranger ; le parti était le seul à l’époque à s’opposer à la participation à l’intervention militaire en Afghanistan, une question qui a été largement discutée pendant la campagne électorale. Mais à cause de l’obsession rouge-rouge-vert, on n’en a pas entendu parler non plus.

La crédibilité du parti a également été gravement affectée par les conflits de parti qui ont été portés au grand jour. Wagenknecht a accusé le parti de se détourner des gens ordinaires [et a publié en avril 2021 un livre avec le sous-titre « Mon contre-programme"], en tête de liste en Rhénanie-du-Nord-Westphalie... Et quand elle lie la défense de l’État-providence à la critique de la migration, comme les sociaux-démocrates danois, elle rend un très mauvais service à un parti qui défend l’antiracisme et la solidarité. Oskar Lafontaine, pour sa part, avait ouvertement appelé à ne pas voter pour Die linke, en raison de son conflit avec le chef de liste en Sarre. Pour Dörre, c’est clair : « Au lieu de travailler ensemble dans une mosaïque de gauche dans laquelle de nombreux courants ont leur place, le parti apparaît comme un ensemble de sectes combattantes, dont chacune pense avoir la vérité. »

Un autre professeur de sociologie, le célèbre Wolfgang Streeck, commente également abondamment les élections allemandes, mais à propos de Die linke, il dit seulement que le parti est « profondément divisé en interne » et « sur le point de se diriger vers l’insignifiance ». C’est très peu pour un auteur qui, autrement, n’a jamais peur d’un commentaire pointu. En tant que l’un des partisans les plus connus du mouvement Aufstehen de Sahra Wagenknecht, une réflexion à ce sujet n’aurait pas été inappropriée.

Le géographe économique Christian Zeller (Université de Salzbourg) a discuté en détail du Sofortprogramm dans le Sozi        alistische Zeitung dès sa parution début septembre. « Avec le SPD et les Grünen pour une révolution politique socio-écologique, vraiment ? », il a intitulé un article qui faisait la critique de l’image idyllique de la coalition de gauche qui prendrait une nouvelle orientation sur le climat, la lutte contre le coronavirus et le désarmement sous les bons soins de Die linke.

Ce ne sont là que quelques réactions extérieures au parti lui-même, et il y a certainement des points de vue qui défendent le cours « réaliste » de la direction de la campagne. Néanmoins, on a l’impression qu’il existe encore en Allemagne un potentiel critique considérable qui pèsera sur la période de réflexion qui s’ouvre maintenant au sein de Die linke. On ne peut qu’espérer que l’amère expérience du 26 septembre suscitera des idées plus fondamentales sur ce qu’un parti de gauche devrait être et faire.

Et que devrait faire un parti de gauche ?

Une question fondamentale à laquelle il n’y a pas de « bonne » réponse. Mais considérons ceci. Tout d’abord, les succès ou les échecs dans les campagnes électorales ne sont pas le critère absolu de la justesse de la stratégie d’un parti de gauche radicale. Dans la mesure où le parti voit sa raison d’être dans la poursuite d’une société socialiste différente, les élections civiles ne sont qu’une des tentatives pour gagner les gens au projet alternatif. Celui qui se bat pour ce projet doit mettre les meilleurs atouts sur la table. Ils sont là, et cela est également devenu évident dans le contexte allemand. Seul Die linke s’est opposé à la politique de l’OTAN dès le début. Seul Die linke fait le lien entre le mode de production capitaliste et la catastrophe climatique qui se profile. Et seul Die linke s’est toujours opposé au scandale humanitaire et politique qu’est la forteresse Europe. Ce sont les atouts d’un parti anticapitaliste, mais ils ne sont d’aucune utilité s’ils ne se jouent pas au nom d’un « front de gauche » imaginaire dans lequel on ne serait que la risée.