Ce que l'on a coutume de nommer - d'une expression fort laide - le « déficit démocratique » de l'Union européenne n'a rien d'un accident. Il est consubstantiel au projet européen enclenché dans les années 1950. Il reflète une construction européenne réfractaire à la politique et dont la mécanique conduit à la destruction du politique par déni - voire rejet - de la notion même de souveraineté, qu'elle soit nationale ou européenne (l'une n'existant d'ailleurs pas sans l'autre).
L'absence de démocratie est consubstantielle à la construction européenne. Le modèle fondateur défini par Jean Monnet (« méthode Monnet ») se méfie du débat public et des discussions politiques ; il considère les souverainetés nationales comme obsolètes. Il valorise l'expertise et le secret. La création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA) en 1951 illustre cette vision : le gouvernement français a pratiquement été mis devant le fait accompli, le parlement écarté, les peuples non consultés. Monnet a fait porter la négociation sur Haute autorité (future Commission), traitant comme accessoire la question démocratique.
Le droit adopté par des instances techniques et contrôlé par des juges joue un rôle central dans la méthode dite « de l'engrenage » qui implique d'avancer en créant des « solidarités de fait », en remettant la discussion des grandes politiques sur le projet européen à plus tard.
On peut noter un lien entre ces visions techniques et le mythe libéral de l'objectivité (méconnaissance idéologique de l'idéologie) Ce système est justifié officiellement au prétexte d'efficacité. Problème : il s'agit de parvenir efficacement à un but dont on ne discute jamais précisément parce que cette discussion (forcément longue et ardue) entrave l'efficacité. Une sorte de « raison d'Etat » européenne survalorise le consensus par peur des questions qui fâchent perçues comme destructrices (elles le sont d'ailleurs en effet). Ex. le projet européen.
D'ailleurs, si, aujourd'hui, chacun s'accorde à reconnaître l'absence de démocratie (sous des vocables plus ou moins compliqués tel « déficit démocratique », « crise de confiance », « rapprocher les peuples de l'Europe », etc.), il n'existe pas d'accord sur la manière de résoudre ce problème (parlement européen et/ou parlements nationaux et/ou gouvernement-conseil européen).
Problème qui s'accroît au fur et à mesure que les responsabilités (pouvoirs) détenus par l'Union augmentent (risque bureaucratique). Or l'absence de consensus sur la résolution du problème démocratique de l'Europe vient en partie de son incapacité à discuter politique, c'est-à-dire poser la question de son projet, voire même de ses valeurs... C'est ce qu'on appelle aussi l'absence d'espace public européen que la cacophonie linguistique symbolise sans la résumer.
Exemple : durant la guerre d'Irak, les Européens ont été incapables de prendre une position commune contre la torture alors que les avions-prisons de la CIA faisaient escale sur le sol de l'Union.
En-dehors d'images simples et de principes très vagues, pas de construction politique. Par exemple, on survalorise les objectifs humanitaires de la Politique étrangère et de sécurité commune (PESC) quand les grands choix stratégiques sont abandonnés aux Etats-Unis et à l'Otan. Et le fait que Barack Obama soit plus sympathique que George Bush ne change rien au problème : l'Europe se confond dans le « bloc occidental » niant ainsi sa propre existence. La réintégration de la France dans l'Otan le confirme.
En matière politique (institutions) ou économiques (crise), chacun se replie, en cas de problème sur son histoire et ses valeurs. Cassez le naturel, il revient au galop.
Tout cela induit une logique du fait accompli et de la fuite en avant au service d'une vision transcendante du projet européen. Le projet européen, non défini, se justifie par le fait qu'on affirme qu'il doit être, sans le moindre début d'une justification. En effet, pourquoi l'Europe des 27 (bientôt 30) serait-elle une construction politique et historique plus pertinente que la Méditerranée, l'Europe carolingienne (beaucoup plus petite), l'Eurafrique chère à Léopold Sedar Senghor et Gaston Deferre ou encore l'espace Europe/Amérique latine (chère à notre ami Cassen dont la rumeur dit qu'il va refonder l'Aéropostale)... ?
A propos de transcendance, il n'est sans doute pas indifférent que les fondateurs des communautés européennes soient des croyants (Démocratie européenne)...
Les élargissements sans fin symbolisent bien cette fuite en avant qui crée une situation de fait autobloquante. La construction d'un projet politique devenant de plus en plus problématique à mesure que s'accroît le nombre des parties. C'est pourquoi, selon certains, les Etats-Unis constituent la seule puissance légitime capable de « faire politique ».
La logique du fait accompli rend l'Europe très perméable aux rapports de forces et aux circonstances (monnaie/Allemagne) et donc à l'idéologie dominante.
Ce qu'on appelle la « gouvernance européenne », inscrite dans le traité de Lisbonne (jumeau du traité constitutionnel rejeté) est le condensé de cette logique. Elle traduit la méfiance vis à vis du politique et des peuples (qu'il faut convaincre alors qu'on pas le temps puisqu'il faut être efficace pour construire une Europe qu'on n'a défini').
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