DIX ANS SUR LA PLANETE RÉSISTANTE
Frédéric Delorca
Thélès, 2008, 408 p.
Alors que dans les milieux révolutionnaires, il était admis que les questions personnelles devaient s'effacer face à la nécessité de tendre vers un collectivisme rationnel, la désagrégation de tous les « centres » idéologiques et politiques de la « gauche » presque partout dans le monde, suite à l'offensive réussie de l'idéologie néo-libérale, a généralisé le retour sur le « moi », y compris dans la mouvance militante. Combien de réunions « programmatiques » de partis communistes, socialistes, trotskystes, anarchistes, alternatifs, etc. commencent aujourd'hui par la longue litanie de militants expliquant avant d'arriver au sujet à débattre « pourquoi ils sont entrés » dans telle ou telle organisation, dans telle ou telle mouvance, dans telle ou telle activité. Comme des pénitents mal guéris d'un christianisme vidé de son souffle prophétique et devenu au cours des siècles culpabilisateur, les militants en mal de cohérence en viennent à « mettre l'individu au centre des luttes », à expliquer en assemblée les tréfonds de leur conscience, ou à s'excuser d'appartenir à un parti « qui a péché » et qui « doit faire repentance », « pour la mémoire ». Nouvelle forme de la religion laïciste qui a succédé aux confessions, aux inquisitions et aux guerres de religions.
Mais Delorca fait aussi vibrer le lecteur par ces récits touchants sur tel ou tel militant, voire tel ou tel individu qui, à son échelle, agit par simple humanité. En dépit du dénigrement visant les organisations « centralisées » du passé, on y rencontrait de la chaleur humaine, des réseaux de solidarité, de l'humour aussi. Mais le tout y était supérieur à la partie. Aujourd'hui, on caricaturise souvent les organisations de cette époque au nom du « plaisir de militer », de « l'épanouissement personnel », etc... Chez Delorca, rien de ces modes. Uniquement un constat, les mesquineries sont toujours aussi présentes dans les mouvances largement désagrégées, et la chaleur humaine n'y est pas plus présente qu'auparavant. Et pourtant elle est bien là aussi. Par son parcours militant plus personnel, il a rencontré des amis qui furent aussi des camarades de luttes. C'est même l'aspect le plus touchant sans doute de ce livre, la découverte de ces possibles qui réunissent les êtres humains qui s'engagent, car ils ne peuvent tout simplement pas accepter l'injustice, et qui ne cherchent ni un appareil de promotion sociale, ni un public pour leur valorisation morale. Cet ouvrage montre les richesses humaines que l'on trouve souvent à la marge des grands mouvements de mobilisation.