Un couple de militants à Renault Billancourt, une histoire fraternelle et internationaliste

Clara et Henri Benoits viennent de publier le récit de leur militantisme «révolutionnaire et anticolonialiste » au sein de la CGT Renault Billancourt dans le livre : « l’Algérie au cœur » (éditions Syllepse, octobre 2014) préfacé par Mohammed Harbi, (ancien cadre du FLN et historien). Pendant plus de 40 ans dès leur embauche à Billancourt, ils ont été de toutes les luttes, syndicales, anti coloniales, féministes et révolutionnaires.

Nous livrons ici quelques pages de cette vie très riche, dévolue à la construction du mouvement ouvrier, à la lutte anti colonial comme à la régularisation aujourd’hui des « sans-papiers ».

Chapitre 1 :

La guerre d’Algérie a commencé le 8 mai 1945

(p. 83)

 

Henri :

Une courte « lune de miel » entre CGT et immigration algérienne.

« La commission nord-africaine de la CGT Renault avait été formée en 1950. S’y côtoyaient des militants algériens et maghrébins et la direction du syndicat, désireuse de s’ouvrir davantage à l’émigration nord-africaine. La CGT ne rejetait plus la revendication d’indépendance de l’Algérie. Une « lune de miel » s’installe entre militants MTLD, CGT, et PCF, le syndicat étant renforcé par l’adhésion d’ouvriers à la CGT, suscitée par des délégués du personnel algériens. Le journal de la commission nord-africaine de novembre 1950 cite d’ailleurs les adhésions réalisées par Souici (12 au département 38), Ziani (12 au département 62), Touahri (50 au département 61), Bedad (18 au département 76). Les camarades algériens accédèrent à des responsabilités élargies au bureau du syndicat, à l’USTM métallurgie région parisienne et à la Fédération des métaux, et participaient aux congrès statutaires fédéraux et nationaux voire confédéraux.

(..) La première fêlure avec la CGT se situe en mai 1952, lorsque Messali Hadj, figure prédominante du nationalisme algérien fut appréhendé en Algérie, déporté en France et assigné à résidence à Niort. Cette agression du gouvernement fut condamnée par les organisations démocratiques françaises, malgré tout « prudentes » face à la réaction du MTLD. Celui-ci lança un appel à la grève suivi par 600 Algériens chez Renault, une minorité certes par rapport aux 4000 Maghrébins de l’usine, mais les plus conscients et les plus militants. Cette « prudence » de la CGT intervenait au moment où elle était affaiblie, venant de subir 265 licenciements suite à la grève de février 1952 (dont Henri fut), mais comment pouvait-elle être comprise par les militants du MTLD ? Alors que cet affaiblissement était accentué par les manifestations minoritaires contre la venue du général américain Ridgway, intervint la scission du MTDL qui se divisa en tendances, y compris chez Renault, entre « messalistes » et « centralistes ». La question du moment du déclanchement de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie était au centre du débat entre Algériens. Je m’interrogeai.. Et interrogeai mes camarades Algériens (ex-centralistes, ex-messalistes, communistes, syndicalistes) : « le soutien de la lutte en Algérie ne rend-il pas nécessaire l’union de tous les Algériens ? »

(..) La tension augmenta partout en Algérie comme en France. Le 14 juillet 1953, place de la Nation à Paris, six Algériens défilant sous la banderole du MTLD et prônant l’indépendance furent tués par les forces de police. (..)

L’appel du 1er novembre 1954 sonne le réveil

La confusion régnait en Algérie et dans l’émigration en France. Qui dirigeait la lutte armée ? Messalistes, centralistes, activistes (CRUA, FLN) ? Tous avaient appartenu à la même famille nationaliste du MTLDdissous le 5 novembre 1954 par Mendes France et Mitterrand, respectivement président du conseil et ministre de l’intérieur, au lendemain du déclanchement de l’insurrection.

(..) J’avais moi-même des difficultés à saisir toutes les nuances qui divisaient mes amis algériens : indépendance immédiate ou perspective lointaine, religion, liens et appartenance aux divers syndicats. Ce n’est qu’ultérieurement, grâce à Mohammed Harbi et aux informations obtenues en 1955 lors de mes premiers contacts avec le FLN, que j’en compris mieux les tenants et les aboutissants.

(..) Les ambiguïtés du Pcf s’exprimèrent alors publiquement dans le communiqué du 8 novembre 1954, mentionnant que le Parti « ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes, même s’ils n’étaient pas fomentés par eux ». Consternation ! Cette déclaration suscita évidemment la réserve, voire la suspicion entre militants français et algériens.

Le MNA (messaliste) se constitua en décembre 1954, abandonnant l’étiquette MTLD ; le 16 février 1956, les messalistes lancèrent l’Union des syndicats des travailleurs algériens, surtout implantée en France, l’UGTA. Les centrales syndicales françaises, y compris donc la CGT, maintinrent leurs unions départementales en Algérie, puisque l’Algérie c’était la France.

(..) Le contrôle de l’émigration dans les foyers, hôtels, bistrots, traditionnellement assumé par l’appareil du MTLD, fut ébranlé par la progression constante du FLN en Algérie. La passation de pouvoir devint inévitable et se fit au travers de multiples règlements de comptes, dans la clandestinité puisque les différents mouvements n’avaient aucune existence légale.

(..) Traditionnellement solidaire de la lutte des peuples coloniaux, toute l’extrême gauche s’interrogeait, des trotskistes de différentes tendances jusqu’aux libertaires issus de la Fédération anarchiste. L’émigration algérienne en France était essentiellement ouvrière, le PCI lambertiste adopta un schéma « mécaniste » conférant au MNA un rôle dirigeant de la « révolution prolétarienne » à venir. Cela l’englua dans des choix dont il eut beaucoup de difficultés à sortir, colportant même des rumeurs sans fondements sur l’attitude de Krim Belkacem – l’un des chefs historiques de l’insurrection, dont le bastion est la Kabylie – au sein du FLN (.)

La 4ème Internationale choisit de soutenir le FLN

L’Internationale ne maîtrisait pas les conflits entre FLN et MNA et n’entendait pas s’y engager. C’est pourquoi notre soutien, au FLN en France était essentiellement politique : nous privilégions la lutte des Algériens en Algérie même. Seule l’appréciation d’une situation concrète devait déterminer notre choix. Tôt ou tard, les débats au sein de l’immigration algérienne se trancheraient au profit de la direction du mouvement en Algérie. C’est ce qui s’est produit et a définitivement assuré l’autorité du FLN dans l’émigration. La tâche des trotskistes était donc tracée : soutien à l’insurrection et aux militants algériens en France engagés dans le FLN

En 1955, le contact avec le FLN fut établi par l’intermédiaire d’Yvan Craipeau. Celui-ci, trotskiste historique, militant à l’UGS, l’Union de la gauche socialiste, composante du futur PSU (parti socialiste unifié) de 1960, considérait que cette organisation n’était pas mûre pour s’engager dans le soutien politique et matériel au FLN, et pensait que la 4ème Internationale pouvait seule le réaliser et en assumer la responsabilité. Rodolphe Prager, militant français du PCI (parti communiste internationaliste), et Pablo (Michel Raptis dit Pablo) prirent donc contact avec le FLN, notamment Mohammed Harbi de la Fédération de France du FLN, la future 7ème wilaya. La première rencontre eut lieu à mon domicile. Désigné par la direction du PCI, fidèle à la 4ème Internationale de Pierre Frank, je fus associé à ce travail en raison des liens tissés chez Renault avec l’émigration. (..) »

  

Chapitre 2 :

En soutien aux Algériens du FLN :

Un comité pour la paix en Algérie.., et l’indépendance.

 (p.89)

  

Clara :

 « Au bâtiment A, celui des bureaux, nous avions formé début 1956 un Comité pour la Paix en Algérie qui avait une certaine audience. Plusieurs numéros d’un bulletin ronéoté ont été publiés par ce comité, composé d’une cinquantaine d’employés, dessinateurs, techniciens et ingénieurs, dont plusieurs communistes de ma cellule. Il diffusait sans sectarisme presse et littérature d’opposition à  la guerre, comme Vérité Liberté, ouTémoignages et Documents, La question d’Henri Alleg, La gangrène de Bachir Boumaza, ainsi que divers documents à la limite du clandestin et souvent saisis. Ce comité tenait des réunions régulières où on se retrouvait à une bonne vingtaine, dont une demi-douzaine de membres du PCF, même si le parti n’y était pas impliqué en tant que tel. Cette initiative n’était pas appréciée par la section Renault, qui tolérait néanmoins son existence. Mais aurait-elle pu s’y opposer ?

Ce comité n’a jamais pris de positions anticommunistes. A nos réunions, nous convoquions toutes les organisations constituées chez Renault sans distinction, des socialistes aux « groupuscules ». Sa particularité résidait dans sa prise de position en faveur de la paix par la reconnaissance de l’indépendance et la négociation avec le FLN. Pour le PCF, nous apparaissions comme concurrents du Mouvement de la paix, l’organisation initiée par le Parti communiste au moment de la création de l’Otan en 1949. Dans les manifestations pour la paix en Algérie, il nous était reproché d’associer le mot d’ordre  de paix à celui d’indépendance. Lors d’une de nos réunions à laquelle était convié un responsable du Mouvement de la paix, celui-ci, horrifié par nos propos en faveur de l’indépendance a quitté la réunion furieux : « Ici on parle de toute autre chose que de la paix en Algérie. Les intérêts de la France ne sont pas pris en compte ». Ce à quoi nous avons rétorqué : « Si nos intérêts coïncident, tant mieux, notre lutte n’est pas pour l’ « intérêt de la France », mais pour la justice ! Et celle-ci passe inévitablement par l’indépendance ». Point barre. D’ù le départ fracassant de notre invité, Michel Langignon, que nul n’a retenu, pas même les militants du PCF présents. (..)»

 

La lutte continue

 

Clara toujours indignée (p.157)

« Après 1968, ce n’est pas un hasard, création d’un Groupe femmes Renault. Je n’en étais pas l’instigatrice, et je n’ai pu participer régulièrement à son activité, travaillant à ce moment au Plessis-Robinson. Emmanuelle Dupuy en était l’âme. Ce groupe s’est formé dans le cadre de la lutte pour l’avortement et la contraception, débat de société à cette période, après la construction du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC). Nos réunions se heurtaient à l’hostilité larvée du PCF et de la CGT. Cependant un grand débat public du MLAC eut lieu dans la cantine du comité d’entreprise. Par contre, des refus systématiques nous étaient opposés sous des prétextes fallacieux (indisponibilité des salles…) dès que nous voulions y organiser nos réunions internes, qui se tenaient donc dans les arrière-salles des cafés de la place Nationale (Billancourt).

Cette même place, où distribuant un tract à l’heure du déjeuner, je fus agressée verbalement par Quignard (une grande gueule des « dix » licenciés, militant PCF) : « Vous feriez mieux de repriser vos chaussettes » et autres quolibets visant à ridiculiser notre action à cette heure de grande influence. Ca volait bas parfois.

(..) Mon engagement au côté des Algériens pendant la guerre s’est prolongé dans le cadre d’une action de soutien aux travailleurs immigrés à l’ASTI. Cette association s’est formée en 1974 à Issy-les-Moulineaux. Je l’ai connue par hasard en 1976, lors d’une fête organisée au stade de l’île Saint Germain, face à un foyer d’immigrés de quatre ou cinq étages. La fête était joyeuse et colorée, travailleurs et gamins du quartier réunis autour d’un méchoui dans une ambiance musicale arabo-berbère.

J’ai intégré le groupe, me consacrant essentiellement à l’alphabétisation dans des locaux municipaux rudimentaires, annexes au foyer, et assurant pendant une vingtaine d’années le secrétariat (comptes rendus des réunions mensuelles, activités de documentation, etc.)

(..) J’ai choisi l’alphabétisation car les demandes étaient importantes, et dès la rentrée 1977, j’ai débuté sans aucune formation mais avec l’aide d’un manuel édit par François Maspero et des bénévoles déjà en place. Ma bonne volonté et mon implication totale ont fait le reste. Encore en activité à l’époque, j’assurais les cours le soir à la sortie de l’usine. A la préretraite, j’ai continué l’après-midi avec des cours pour les femmes donnés à la MJC d’Issy pendant 10 ans, puis de nouveau à l’ASTI avec des cours mixtes l’après midi puis le soir. (..) »

 

MLDT Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques

USTM union syndicale des travailleurs de la métallurgie

CRUA Comité révolutionnaire d’unité et d’action

MNA Mouvement National Algérien

ASTI Association de soutien aux travailleurs immigrés