Ce n'était pas une « bonne romancière ». Elle écrivait même « comme un fer à repasser » disait d'elle (en toute amitié ?) Nathalie Sarraute.
Ce n'était pas une « salope », imprécation imbécile lancée par le triste sire Philippe Tesson à la télévision.
Ce n'était pas non plus « une scandaleuse ». La montrer nue, saisie par l'objectif dans un moment d'intimité volé, comme l'a fait le Nouvel Obs, signait une opération graveleuse destinée seulement à faire monter les ventes. Oui, la philosophe avait un cul, un sexe, des désirs et alors ? N'était-ce pas là la marque d'une immense joie de vivre, d'une envie sans fin de croquer la vie, sans pudibonderie, que l'on retrouve à chaque page de ses ouvrages ?
Non, elle était l'« égale » de Sartre, en philosophie, en morale, en relations amoureuses et sexuelles, en militantisme.
Certes, son oeuvre est inégale, et je dois dire que je n‘ai pas vraiment accroché à la « Morale de l'ambiguïté » mais je veux saluer ici la chroniqueuse et la mémorialiste et inviter à lire ou relire Mémoire d'une jeune fille rangée, La force de l'âge, La force des choses et Tout compte {jo_tooltip} A lire dans la collection folio Gallimard | fait {/jo_tooltip}. Mêlant vie privée, vie publique, événements culturels et politiques elle restitue une image vivante de la France et du Monde, sur près des deux tiers du vingtième siècle.
En particulier, elle nous fait revivre tous les combats de cette époque dont elle fut toujours partie prenante, les plus connus étant ceux pour l'Algérie française, les luttes féministes dans les années 1970 et comment elle devint « compagne de route » d'un PCF qui les rejeta, elle et Sartre, avec un sectarisme tout stalinien les traitant d'« hyènes philosophes bourgeoises » ; ils ne mégotaient pas sur les appellations, les « camarades ». Peut-être est-ce grâce à cela que Simone de Beauvoir et Sartre ont pu agir comme une «conscience du monde» durant une bonne partie du siècle passé. Même si on n'est pas totalement d‘accord avec certains de leurs engagements, il reste qu'ils se sont engagés totalement pour la paix, contre l'impérialisme et le colonialisme et leur absence se fait sentir car il n'y a plus beaucoup d'intellectuels de leur trempe.
En ce qui la concerne, on décou-vre, par exemple, que les voyages ont une grande importance et elle arpente à pied, en bicyclette, puis sur la fin en voiture, elle ratisse même, pourrait-on dire, les paysages, les cités, les pays, avec une gourmandise jamais rassasiée ; on en reste épuisé, comme s'en plaignit Sartre lui-même.
Quelle lecture ! Un intérêt qui ne faiblit pas, même si rétrospectivement on peut parfois être étonné par cette obstination presque naïve à décrire sa vie en toute « vérité ».
Détestant sa classe sociale, elle se fixa pour toujours une règle de vie, un mode d'agir, celui de dire « la vérité ». Ce qu'elle maintint, aussi douloureux que cela fut à certains moments de son existence.
À ce sujet on ne peut manquer de comparer le couple qu'elle forma avec Sartre, à l'autre couple contemporain (une véritable antithèse) non moins célèbre et sublimé par l'appareil culturel stalinien du PCF, c'est-à-dire Aragon et Elsa Triolet, qui il est vrai, n'ont jamais prétendu à la « vérité ».
Mais de là à oser nous rejouer Abélard et Éloïse, de la même manière qu'ils ont célébré le culte de Staline à la demande « du parti » qui voulait en faire « le couple modèle » propre à édifier les masses ! Tant bien même qu'Aragon possédât une langue si belle qu'on ne pouvait que « s'incliner devant » (comme le dira Léo Ferré peu susceptible de flagornerie), il n'en demeure pas moins qu'au regard de sa vie et de ses passions secrètes, les poèmes à Elsa aussi sublimes soient-ils sonnent comme une mystification, et par-là même, Aragon contredit qu'il puisse y avoir une vérité en art, mais c‘est une autre discussion.
En fait Simone de Beauvoir n'a cessé de lutter - dans la joie et les larmes - contre cette duplicité somme toute terriblement bourgeoise. Ce fut souvent pénible, y compris pour le ou la partenaire des « amours contingentes ». Elle en a été très consciente, plus que Sartre.
C'est dans la clarté qu'elle a voulu réaliser cette « égalité » - encore trop souvent absente aujourd'hui des relations entre hommes et femmes - pour l'inscrire dans ses rapports au quotidien.
À tout dire, j'ai préféré « être édifiée » par Simone de Beauvoir (même assortie de son « fer à repasser »). La « modernité » de la liberté des femmes était de son côté...
Oui décidément il ne faut pas hésiter à relire Simone de Beauvoir.