Il ne s’agit nullement ici de remettre en cause le droit des « migrants », des réfugiés politiques à un accueil digne, humain et solidaire. Ni l’accueil généreux de nombreux Allemands envers ceux-ci. Après tout l’Europe compte près de 550 millions d’habitants, quelques centaines de milliers de réfugiés peuvent y trouver facilement accueil sans qu’elle en soit bouleversée.
Mais rien n’empêche de constater une grande confusion voire des contradictions dans la décision de Merkel qui a réussi à créer une nouvelle fracture en Europe, après celle Nord/sud avec les pays du Sud en première ligne face à l’afflux des migrants (Italie, Grèce), voici celle Ouest/ pays de l’Europe centrale.
Les « migrants » un « phénomène nouveau » ?
Le dit « phénomène » des « migrants » venant d’Afrique Sub-saharienne ou du Moyen Orient, existe depuis plusieurs années sans que l’Allemagne ni l’Europe ne répondent aux demandes incessantes de la Grèce ou de l’Italie pour mieux accueillir les hommes, les femmes et les enfants qui ne cessent de s’échouer sur leurs plages :
« Quelque 86 583 migrants ont été secourus en mer depuis le début de l'année par les unités navales de la Marine italienne. Depuis le début de l'opération « Mare Nostrum » engagée le 18 octobre dernier par le gouvernement d'Enrico Letta, 93 737 l'ont été. Les migrants avaient atteint le chiffre de 65 000 en 2011, lors de la précédente vague massive d'immigration, et 43 000 en 2013 », l’opération de « Mare Nostrum » serait financée par l’Etat italien « à hauteur de 9 millions d'euros par mois sans contrepartie financière de Bruxelles» (UNHCR, 5 août 2014).
Ces migrants là malgré tout étaient chanceux, ils avaient échappé à la noyade dont personne ne pouvait ignorer l’existence, les images de cadavres flottants roulés par les vagues - parfois jusqu’aux pieds des touristes qui pour autant ne semblaient pas en être trop gênés - ont fait la une des medias pendant quelques années, ainsi que l’objet de nombreux documentaires...
Pour Merkel et l’Europe, c’était à l’Italie et à la Grèce de faire preuve de bonne volonté, quel qu’en soit le coût.
Les contradictions de la politique de Merkel
La générosité des Etats n’est jamais gratuite, elle ne s’exerce que s’il y a des contre parties si minimes soient elles. Alors pourquoi ce soudain intérêt de Merkel envers les réfugiés syriens, plus que d’autres ?
Merkel, fille de pasteur, serait elle touchée dans sa foi chrétienne par la détresse des réfugiés ? Qui sait ?
Serait-elle plus prosaïquement préoccupée par la situation démographique de son pays ? C’est ce que souligne l’économiste Stiglitz dans le journal Die Welt du 17 septembre où il va jusqu’à remarquer dans cet accueil la volonté de l’Allemagne de garder une population toujours plus importante que celle de la France. On peut se demander pourquoi la chancelière veut-elle à tout prix avoir un pays plus peuplé que la France ?
Serait-elle sous influence du patronat allemand qui espère dans ces refugiés une main d’œuvre qualifiée et bon marché ? Sans doute, mais l’affaire Volkswagen, l’un des piliers de l’économie allemande, pourrait compromettre cette ambition.
Ou est-ce pour l’Allemagne l’opportunité qui se présente pour intervenir directement au Moyen Orient, par le biais de l’accueil des réfugiés ?
Quoi qu’il en soit, Merkel annonce qu’elle va recevoir tous ces « migrants », et même jusqu’à 500000 par an, pendant 10 ans. Mais dans le même temps, elle veut établir au niveau européen une liste de pays dits « sûrs », dans lesquels les citoyens ne sont pas victimes de persécutions. Pourquoi ? Cela lui permettra de débouter du droit d’asile les « migrants » qui proviendront de l’Est ou des Balkans, comme de la Serbie, du Kosovo ou de l’Albanie. Certes il n’y a plus de « persécutions » au sens strict du terme dans ces pays extrêmement pauvres. Néanmoins il faut savoir que dans les Balkans la guerre reste toujours présente non seulement dans les vestiges des villes martyres mais aussi dans le cœur des hommes. Il y a une réelle tension, qu’il semble qu’une simple étincelle suffirait à faire ressurgir les démons du passé et alors ces « migrants » qui fuiront l’instabilité de ces pays seraient-ils repoussés ?
Ensuite, Merkel en gérant ses affaires en toute souveraineté : accueillir les uns et refuser les autres, se trouve à avoir indirectement empiété sur la souveraineté territoriale des pays de l’ex glacis soviétique, et elle s’est trouvée face à un front du refus et à quelques problèmes.
« Urbi et Orbi »
L’un de ses problèmes c’est qu’il n’y a eu aucune concertation avec ses « partenaires européens ». Son invite proclamée au monde « Urbi et Orbi», prend immédiatement l’allure d’une obligation : ceux qui en Europe refuseraient de suivre sa politique seraient sanctionnés et verraient leurs subventions européennes réduites. Boum ! On retrouve là la délicatesse allemande envers les « partenaires européens », et surtout ceux qui étaient traditionnellement sous son influence comme les pays de l’Europe centrale. Or c’est là qu’elle va trouver pour la première fois une forte opposition : Pologne, Tchéquie, Etats Baltes mais surtout Hongrie, Slovaquie, Croatie, Serbie, Bulgarie et Roumanie, vont les uns après les autres fermer leurs frontières.
Puis après avoir invité les réfugiés à venir en Allemagne, tout aussi soudainement dans les deux ou trois jours suivants, elle opère une brusque volte face. Réflexion faîte : elle ferme ses frontières. il ne s’agit plus alors d’accepter sans conditions les foules qui se pressent à ses portes mais là encore d’imposer à ses « partenaires » une prise en charge partagée et un contrôle pour « séparer » les réfugiés politiques des réfugiés économiques, tout en menaçant d’une remise en cause des accords de Schengen.
Enfin des Landers s’inquiétant des conséquences économiques de cette politique imprévue, Merkel annonce un milliard par ci, 4 voire 6 milliards par là. Normalement ces sommes devraient être inscrites dans les dépenses allemandes. N’y aurai-t-il pas là une confusion à lever avec la somme de 6,5 milliards déjà budgétisée par l’Europe il y a un certain temps pour alimenter le soutien aux camps autour de la Syrie, argent qui n’a été distribué au HCR qu’à hauteur de 25 %, ce qui met en péril l’accueil en Turquie et dans les pays limitrophes, comme le Liban ou la Jordanie ?
Les conséquences de tout cela et d’autres encore…
Les migrants, Ils ont été déconcertés : l’Allemagne voulait-elle d’eux oui ou non ? On peut les comprendre. Ils se sont lancés avec courage dans une Odyssée pleine de risques avec leurs femmes et leurs enfants. Ils ont donné de l’argent, beaucoup d’argent aux passeurs, franchi la méditerranée et des frontières en longues files déterminées. Ils ont basé leurs espoirs sur l’Europe puis sur l’Allemagne nouvelle terre promise. Or rien n’est vraiment prévu pour eux, ni logements, ni écoles, ni travail, il reste tout à faire, et que l’urgence est réelle.
Au fait, pourquoi l’Allemagne si puissante n’a-t-elle pas organisé immédiatement leur transport, affrété des trains, des cars ou négocié un couloir humanitaire au lieu de les laisser se confronter à l’arbitraire de pays hostiles, et à l’exploitation des mafias de passeurs pour qui ce n’est qu’un business qui rapporte gros ?
L’Europe, a été réunie à la demande de l’Allemagne pour décider de la création de points d’accueil. Devinez où ? En Grèce, en Italie et en Turquie ! La Grèce et l’Italie, qui sont déjà débordées et la Grèce sans moyens, ont du mal à digérer. Quant à la Turquie qui veut que les camps demeurent sous son contrôle propre, elle est elle-même fragilisée par la reprise de son conflit armé avec les Kurdes ce qui ébranle la sécurité des camps de réfugiés. C’est pourquoi une grande partie d’entre eux qui voulaient demeurer près de la frontière avec la Syrie plus ou moins sous la protection des Peshmergas kurdes, ont rapidement pris la décision de partir par le biais ces réseaux maffieux turcs, libyens, etc., qui agissent impunément au vu et su de tout le monde.
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La fracture avec les pays de l’Europe centrale, un nouvel élément de division au sein de l’Europe ? Au-delà de tentations xénophobes qui existent dans ces pays, il n’en reste pas moins que la question des frontières est une question non résolue aux yeux des pays du Danube qui rêvent de l’ancien empire austro hongrois. « Dans la Mitteleuropa, on ignore l’art d’oublier, de verser les évènements aux actes puis aux archives » (Claudio Magris, « Danube », édition Mai 1990, Gallimard, Folio). Il y a des minorités hongroises, croates, serbes, albanaises, roumaines, bulgares partout hors des frontières de ces pays redessinées après la première guerre mondiale. Chacun à la nostalgie qui de la « Grande Hongrie », qui de la « Grande Croatie », la « Grande Serbie », la « Grande Albanie », la « Grande Roumanie » et la « Grande Bulgarie ».
C’est un réel problème que l’Europe veut ignorer et qui nécessiterait d’être abordé avec beaucoup de tact pour ne pas exacerber le sentiment national. Or voilà que faisant fi de toute diplomatie, l’Allemagne leur impose l’ouverture de leurs frontières et s’ils refusent ils seront « punis » financièrement ! Aucun d’entre eux n’a oublié que l’Allemagne n’a pas toujours raison et que par le récent passé en soutenant la sécession Slovène et Croate elle a conduit à la guerre et l’éclatement de la Yougoslavie.
L’Allemagne est souveraine ?, soit, ils le sont tout autant. Ils taisent leurs divergences et lui offrent un bloc uni du refus.
A l’Allemagne, l’humanitaire et à la France la guerre ?
La France n’a joué aucun rôle, elle a laissé l’Allemagne définir seule la politique européenne en matière d’asile tout en se rangeant à ses côtés pour tancer les « méchants européens». Face aux milliers de demandeurs d’asile reçus par l’Allemagne, la France s’est contentée d’un peu glorieux 24000 à30000 sur deux ans.
Il est vrai que la France ne peut donner de leçon à qui que ce soit en matière « d’accueil» quand l’on sait comme elle procède, ou plutôt ne procède pas : campements sauvages, insalubres, dans les villes ou aux abords des villes, politique sécuritaire plutôt qu’humanitaire, délais faramineux pour la régularisation, etc.
Cette politique est indigne d’un pays qui prétend être le phare en matière d’asile et de droits universels. C’est une piètre réponse au Front National toujours en embuscade. Et ce n’est pas de cette manière que le Front National sera vaincu, mais en réaffirmant haut et fort cet universalisme et les principes républicains, en les mettant en pratique.
Peut-être que l’absence de Hollande était tout simplement liée aux préparatifs de l’intervention militaire en Syrie contre l’E.I. (Etat islamique) jugeant, non sans raison, que la solution n’est pas l’exil mais qu’elle se trouve en Syrie ?
L’Allemagne et l’Europe vont devoir faire face en cette période de tensions internationales et de guerre en Syrie au réel défit que va représenter l’intégration des Syriens qui arrivent sur son territoire. Les organisations de l’Onu doivent aussi intervenir, mais l’Allemagne et l’Europe ne peuvent échouer.
Toutefois le choix de sélectionner les « migrants » en fonction de leur statut « réfugié » ou « migrant économique» pose problème. Certes, il s’agit pour les Syriens d’une urgence, celle de leur survie. Mais il en est de même pour les autres. Et la question que ceux-ci posent et qu’il faudra bien résoudre un jour, c’est avant tout celle du développement de leurs pays et de la lutte contre la corruption.
Beaucoup d’argent circule dans le monde, le nombre de milliardaires explose, l’argent détourné dans les paradis fiscaux aussi. Cet argent est improductif. Les Etats ne mènent pas la lutte qu’il faudrait pour réduire les inégalités, ils sont au contraire les otages consentants de ces forces.
Le système capitaliste met la planète à genoux, il est une impasse pour l’humanité
Les gauches qui résistent encore doivent choisir leurs priorités : succomber aux chantres du social libéralisme ; se désintégrer dans des querelles partidaires et d’égo qui désespèrent les peuples ; ou organiser la résistance. Il n’y a pas d’autre choix.
5 Octobre 2015