Il est assez rare en France d’entendre un discours critique et alternatif venant de la gauche allemande contre la coalition CDU/SPD. L’intérêt de ce texte, issu de la Fondation Rosa Luxembourg, Berlin, est qu’il tente d’expliquer en quoi la sociale démocratie européenne et allemande a glissé de la « gauche » vers une « droite libérale » et comment un « troisième pôle » anti capitaliste est possible et sous quelles conditions une « politique de classe » et de solidarité peut redonner corps au projet socialiste.
Michael Brie est sociologue à l’Institut d’analyse sociale critique de la Fondation Rosa Luxemburg à Berlin. Mario Candelas est le directeur de l’institut et éditeur de la revue Luxemburg .
L’avenir a déraillé. L’utopie néolibérale s’est épuisée tout comme les autres solutions de rechange. Les décennies d’un néolibéralisme conservateur orthodoxe à la Margaret Thatcher et la Helmut Kohl ; sa généralisation sous les gouvernements de Tony Blair et de Gerhard Schröder ; et, enfin, son renforcement autoritaire et son ancrage pendant les années de la crise ont occasionné des dynamiques inégalitaires sociales, qui sont sous contrôle stricte.
La crise structurelle n’est pas résolue et ne peut être résolue dans le cadre ancien. Les tentatives visant à stabiliser le capitalisme financier de marché prolongent seulement l’agonie et déchirent l’Union européenne et nos sociétés. La situation n’est pas caractérisée par la rupture ; au contraire une vieille citation de Antonio Gramsci peut s’appliquer : « la crise consiste justement dans le fait que l’ancien se meurt et le nouveau ne peut naître ; dans cet interrègne une grande variété de symptômes morbides apparaissent. » Un tel symptôme morbide c’est la nouvelle droite radicale sous ses diverses formes.
Le champ politique actuel n’est plus structuré par le clivage gauche/droite, mais plutôt par la polarisation entre un capitalisme libéral et un capitalisme non libéral, entre la défense d’un capitalisme globalisé, (Clinton, Merkel, May, etc.) et le tournant social-national et ethno-raciste du capitalisme (Trump, Le Pen, Petry, etc..). La bonne nouvelle c’est que le temps du « there is no alternative » (il n’y a pas d’alternative) est révolu. La mauvaise nouvelle c’est que se sont précisément les mauvaises alternatives qui s’ouvrent. Une réponse démocratique et solidaire à la crise est jusqu’ici absente. Ce qui domine c’est la « perte d’une idée générale et positive du bien » (Eribon)
Il y a un grand besoin de cette idée du bien. Régulièrement des initiatives et de nouveaux mouvements la mettent à l’ordre du jour. Occupy Wall Street, la campagne de Bernie Sanders, les marches des femmes aux Usa, de la Turquie, la lutte passionnée pour le renouvellement de la social-démocratie au sein du parti travailliste britannique ou du SPD allemand, Nuit Debout et les grèves de militants contre la nouvelle législation du travail en France, les Indignados et la montée de Podemos en Espagne, les activistes de l’auto-organisation, les structures de solidarité et la lutte pour un gouvernement de gauche en Grèce, la liste est longue.
En Allemagne, il y a eu des initiatives bienvenues – environ 8 millions de personnes – avec l’accueil de ceux qui ont fui vers l’Allemagne, avec les manifestations contre les traités du CETA et du TTIP ou la participation au Growth-mouvement (sur le changement climatique). Beaucoup de gens font pression pour une nouvelle politique d’une bonne vie, pour un mode de vie démocratique au sein duquel la dignité et la solidarité seraient réelles. Mais précisément en Allemagne, le centre de pouvoir néolibéral de l’UE, ce mouvement n’a pas la puissance qui lui permettrait de contribuer à la naissance de ce nouveau monde. Les masses n’ont pas la force unificatrice pour ouvrir la voie à un changement de direction politique. Contribuer à cela – pour constituer et rendre visible le camp démocratique solidaire – doit être la tâche stratégique commune de la gauche.
Espoir et pouvoir doivent converger autour d’un « troisième pôle » – un pôle de solidarité – pour intervenir efficacement dans cette constellation hégémonique, dans cette bataille contemporaine entre ceux « d’en haut » et ceux pour le « droit ».
1 - Le temps d’un développement désespérément lent, se transforme soudain
Ces dernières décennies en Allemagne ont été ostensiblement une période de stabilité. Alors qu’en réalité, la situation internationale devenait de plus en plus dangereuse. Sur la frontière méridionale et orientale de l’UE, les guerres ont éclaté ou couvent, des États ont été détruits, désintégrés et sans perspectives d’espoir. Les tentatives visant à intégrer l’UE, principalement par le biais de marchés et de l’Euro, ont porté le projet européen au bord de l’effondrement. L’espoir pour la redistribution sociale et le bien-être a disparu ; la peur et l’insécurité grandissent de plus en plus. Il est impossible de continuer comme ça. Déjà, la politique néo-libérale est devenue une politique de la crise permanente et de l’état d’urgence. La « Barbarie » est en marche rapide.
Cette situation génère des tensions et des contradictions fortes. Les politiques de gauche doivent se préparer à combattre dans le long terme par des luttes défensives mais aussi pour une intervention très rapide dans les situations ouvertes : la « guerre de position » peut rapidement devenir une « guerre de manœuvres » et puis s’arrêter à nouveau. Pour le moment, la gauche n’est pas prête pour une telle stratégie contradictoire avec des moments d’alternances, ni intellectuellement, ni sur le plan organisationnel, ni politiquement.
Nous sommes dans une situation où aucun changement fondamental de direction n’est possible, mais – à droite comme à gauche, chez les plus autoritaires comme les démocrates – certaines tendances pour des changements existent. L’inégalité excessive, la question de la classe et les fortes dislocations sociales dans une « société qui va vers le bas » (Nachtwey) sont en débats. De grands programmes d’investissement sont discutés, ainsi que comment mettre fin à la baisse des niveaux de pension, au contrat temporaire de travail et à l’emploi précaire. Et en matière de politique étrangère, les boutefeux sont confrontés aux opposants qui cherchent expressément des solutions de coopération.
Déjà, quelques modifications à l'ordre du jour de l’agenda politique «2010» agenda 2010 : un paquet de réformes globales adopté par le gouvernement dirigé par le SPD en 2003, qui, entre autres choses, « assoupli » le marché du travail, les licenciements le système de protection sociale et infirmé la progressivité de l’impôt. ont eu lieu, notamment l’introduction de la Loi sur le salaire minimum et une réglementation plus souple concernant l’âge de la retraite à 67 ans. Plusieurs autres choses seraient certainement possibles ; le discours du nouveau leader social-démocrate, Martin Schulz, l’indique.
Pour l’instant, il s’agit des concessions partielles pour neutraliser la protestation croissante et absorber des groupes spécifiques sans changer l’orientation fondamentale de la politique – précisément pour éviter de changer de direction. Un tel changement de trajectoire sera combattu par les structures politiques du pouvoir oligarchique, les entreprises, agences-conseils, les intérêts puissants et même des secteurs du mouvement syndical, ainsi que des blocages institutionnels à la globalisation, dans l’UE comme au niveau de l’État-nation.
Un changement de direction doit être financé. Or il est impossible si la politique d’austérité continue.
Mais la continuité néo-libérale n’est pas garantie. La crise est trop profonde. C’est pourquoi la gauche doit se préparer à une crise politique dans laquelle l’élite au pouvoir ne sera plus en mesure de continuer à gérer à sa façon habituelle, car ses réponses politiques apparaissent ni efficaces, ni légitimes ; la résistance augmente massivement, y compris même sous la bannière de la nouvelle droite.
À chaque instant, la possibilité d’une profonde crise nouvelle, financière et économique peut arriver, sans oublier l’intensification des conflits internationaux (même entre grandes puissances) ou de massives attaques terroristes, des catastrophes écologiques aigües, et la désintégration rapide de l’UE. Cela entraine une certaine nervosité parmi les dirigeants, qui voient leurs politiques de base et leurs hypothèses, bousculées par la nouvelle droite. Certains secteurs de dirigeants portent même leurs espoirs dans la nouvelle droite et l’envisagent comme une option.
Dans une situation de crise ouverte, où émerge une nouvelle situation radicale et devant laquelle les élites sont divisées (Klein 2016), un changement de direction devient possible –soit vers un capitalisme autoritaire fermé soit vers une restructuration basée sur la solidarité. La gauche devrait être capable d’intervenir dans une telle situation. Pourtant, ce n’est pas le cas. La gauche est trop occupée avec ses divisions internes et subtiles. Il lui manque aussi l’imagination et peut-être la force et la volonté de faire face à la gravité de la situation et au danger de la crise.
Dans la situation actuelle, toutes les idées existantes sur la possibilité d’une intervention politique de la gauche, doivent être reconsidérées. Un virage à gauche apparaît presque impossible et cependant la transformation sociale-écologique est urgente quoique de moins en moins probable. Comment la gauche peut-elle s’orienter dans ces contradictions ?
Ferdinand Lassalle a dit, que le premier acte révolutionnaire était de définir ce qui est. Ce que la gauche en Allemagne doit d’abord faire, c’est une analyse des conséquences possibles, et ouvrir une discussion stratégique. Trop souvent, les différents groupes restent entre eux, et craignent que les changements soient dangereux, au point de les entrainent à renoncer à une discussion autocritique ouverte qui pourraient les conduire à des expériences difficiles. Une praxis commune et la perspective de pouvoir, toutefois, ne peuvent émerger spontanément, mais doivent plutôt être forgées. Pour cela, pas de débat pointilleux, qui sème la discorde, mais plutôt une perspective commune qui permette une praxis commune. La clarté est nécessaire, pour éviter de sombrer dans des ambiguïtés sans fin, où tout et son contraire est justifié.
2. les trois lignes de bataille pour la gauche dans la crise actuelle
La gauche sociale se trouve dans une situation complexe qui peuvent définir trois lignes de bataille.
Premièrement, précisément, elle a la tâche de défendre la démocratie libérale, qu’elle a toujours critiqué à juste titre pour sa réduction à une démocratie et à une égalité politique formelles et sa limitation au champ politique (pas à l’économique). Mais perdre cette démocratie ouvre la porte à une barbarie effrénée.
Deuxièmement, elle doit protéger ce que Wolfgang Abendroth entend par « social-démocratie » (une participation politique et sociale) même sous la forme étroite et paternaliste d’un État social redistributif.
Sa modernisation autoritaire et la politique d’austérité a évidemment eu un triple effet :
Avec la baisse des pensions, la peur de la pauvreté chez les personnes âgées a vu le jour. Avec le secteur des bas salaires et l’expansion des emplois précaires, les craintes sur l’emploi et le revenu se sont généralisées. Avec la division dans l’éducation et les conditions de vie, les gens sont préoccupés par l’avenir de leurs enfants et petits-enfants. Cette triple crainte détruit la démocratie et la cohésion solidaire et constitue la base pour le racisme et la violence. La sécurité sociale, individuelle et généralisée – une évidence même – sont les conditions indispensables pour la liberté et l’autodétermination. Bien sûr, la gauche ne peut pas s’arrêter là en faisant simplement dévier les attaques contre les libéraux et la social-démocratie.
Troisièmement, elle doit aller au-delà, développer ses propres pratiques de solidarité et d’organisation sociale pour une solidarité fondement de la démocratie socialiste. L’alliance avec les puissances bourgeoises dans la défense de la démocratie libérale n’est convaincante que si la lutte contre la politique dominante est combattue efficacement, une politique qui a grandement contribué à l’érosion de la démocratie et donc à la montée des forces de droite. La défense de la démocratie sociale dans sa forme ancienne n’est pas suffisante, parce qu’elle a été dépassée depuis un certain temps ; elle ne propose aucune solution aux questions d’une classe ouvrière complétement différente et hétérogène, dont la composition est devenue plus féminine, et avec des migrants. La gauche s’engage donc tout d’abord une transformation politique elle-même.
3. les tâches stratégiques de la gauche
Cela exige un changement de perspective : une nouvelle politique de classe, qui ne nie pas la multiplicité des intérêts d’une mosaïque de gauche. Cela ne peut signifier un simple retour à la vieille lutte des classes. Le racisme, les relations de genre et les questions sociales, telles que l’écologie et de la paix, sont indissociablement liées. Ces différences ne doivent pas être traitées comme des contradictions secondaires, mais au contraire activement connectés entre elles. Ce n’est possible seulement qu’en collaborant avec les uns en les organisant dans leur quotidien, dans les quartiers et lieux de travail, en encourageant les autres à prendre des décisions et à agir ensemble. Sur cette base, la crédibilité de la gauche peut être également restaurée, sur laquelle peut se construire une représentation parlementaire qui fonctionne – un phare pour les nombreuses personnes qui ne veulent pas ou ne peuvent pas s’engager politiquement.
Quand on parle de l’avenir, nous devons prendre au sérieux les nouveaux mouvements pour la démocratie. La démocratie représentative a ses points forts, mais en Europe, la participation sociale et politique à cette démocratie a été éliminée. Représentation et auto-organisation doivent être intégrées dans une nouvelle relation. Cela nécessite de nouvelles institutions, y compris nos propres organisations et non des moindres, les partis. Ils doivent devenir des organismes où il est possible de prendre l’initiative dans ses propres mains, faire des choses concrètes même de petites, mais pour la société dans son ensemble.
Des initiatives solidaires pourraient en donner le départ. Par exemple, inspiré par l’exemple grec, Solidarity4All, un parti de gauche qui travaille sur des projets pilotes d’organisation dans les quartiers défavorisés. Organiser en termes très concrets, sortir et construire un lien réel avec les classes populaires dans les quartiers, en particulier dans les quartiers défavorisés, requiert une base au-delà des actions classiques de la gauche. Il s’agit d’une condition préalable à toute perspective de gauche qui veut atteindre une puissance réelle pour poursuivre ses objectifs.
C’est pourquoi nous avons commencé à tirer les sonnettes dans les anciens bastions de Die LINKE et dans des quartiers défavorisés – dans toute l’Allemagne, dans toutes les régions. Nous avons formé des centaines de militants dans les techniques d’approche et continuer à essayer de multiplier leur nombre.
Un élément central de la campagne électorale consistera à tendre la main aux classes populaires. Et nous allons le poursuivre après les élections, comme projet à long terme. Nous écouterons, nous discuterons, nous inviterons à des réunions locales très spécifiques autour des problèmes locaux – et nous reviendrons encore ; et nous essaierons de nouveau. L’idée est non seulement de gagner, mais de construire des nœuds locaux de résistance, en particulier autour de la question du logement – mais pas seulement. Le tout combiné avec une formation parallèle à l’organisation de la transformation.
De telles initiatives en tant que liens organisationnels, autour de l’idée « ce que peut faire le peuple » peut être modifiée, pour « développer, avec eux, le sens de leur capacité de pouvoir » (Wainwright)Wainwright, Hilary, «Grèce : Syra une lumière brille, » 2012., pour un nouveau « nous ». C’est parce qu’il sera imprégné de l’expérience du commun que la croyance en un changement possible et pratique de son propre avenir se restaurera. De même les approches d’une nouvelle forme émancipatrice démocratique pour le bien-être social pourraient être développées.
Ces approches ne sont donc pas seulement une dynamique efficace pour le populisme (à droite), mais pourraient aussi réduire les dépendances à un gouvernement (à gauche) et le prémunir contre le clientélisme. Il ne se limiterait pas à soutenir l’action « civique », pour compenser les déficits d’un État-providence allégé, mais au contraire, il aurait pour objectif de soutenir la désobéissance civile et l’expropriation directe pour la reconstruction et la réorganisation démocratique de l’Etat. Dans cette perspective, l’expansion et la démocratisation du bien-être social doivent restaurer la puissance des moyens et la prise de décisions dans la société civile : « Dans et contre l’État » (John Holloway).
Au-delà, cela nécessite une relation antagonique claire. Il y a des classes et des factions politiques responsables de la situation actuelle. Donc cela veut dire lutter contre la caste politique qui gère les sociétés par actions et les riches qui se sont émancipés de leur responsabilité financière et du soutien à la société. Et contre la normalité de la corruption, la cupidité et le fétiche de la concurrence, qui sapent le tissu social de la société. Et contre ces jumeaux politiques que sont la « casta » et le radicalisme populiste de droite, qui sapent la protection des autres groupes sociaux, fomentent la haine et sèment la violence.
Par contre, nous devons dire que nous travaillons pour surmonter le capitalisme et progresser vers une société, celle que Bernie Sanders nomme le socialisme. Ce projet repose sur des besoins évidents tels que les soins de santé gratuits et l’éducation ainsi que des logements abordables pour tous ; des services publics sans frais, des bibliothèques aux transports ; une participation démocratique fonctionnelle et efficace ; la réorganisation écologique des villes, le transport, l’approvisionnement en énergie et l’agriculture ; et beaucoup plus de temps libre pour la vie.
C’est là qu’apparaissent les critiques venant de ceux qui ne voient dans l’histoire que ce qui n’a pas été mis en application, de la Révolution française à la Révolution russe, ou en 1968 et en 1989. Comme le dit Jeremy Corbyn : « pour nous c’est toujours la même chose depuis 40 ans, mais pour la nouvelle génération, c’est tout nouveau ». Il s’agit des moyens de mener la lutte pour dépasser le capitalisme.
Le mot « socialisme » est redevenu prononçable. Les gens sont si avides de s’informer et de savoir qu’ils le recherchent sur Wikipédia. Nous ne devons pas rester en-deçà mais plutôt dire ce qu’il représente : une société solidaire, démocratique, féministe, antiraciste, alternative à la croissance etc. Et lutter ensemble sur ce qu’il doit signifier dans ce vingt et unième siècle : une bonne, solidaire, société juste, quelque chose de simple, mais difficile à atteindre. Certains ne reprendront pas ce concept dans la mosaïque de « gauche » et dans le « troisième pôle », mais il sera accepté par ceux de la gauche qui veulent le changement et pensent que le « socialisme » est une évidence.
Et nous ne devrions pas avoir peur de dire clairement ce que nous ressentons. La droite fonctionne avec la peur, le ressentiment et la haine. Nous devons combattre avec solidarité et espoir, par une pratique concrète. Il est bon et bien d’agir en solidarité. Une pratique de la solidarité, avec les réfugiés et les minorités, mais aussi avec ceux qui ont été exclus et avec les couches moyennes anxieuses : les bénéficiaires ou non de la protection sociale/liée à un travail, les travailleurs sans emploi et aux bas salaires, tous ceux qui, cherchent à acquérir une « bonne vie » et sont parfois en colère contre ceux qui sont censé être moins « productifs ». Non seulement les gens veulent sentir que leurs intérêts seront reconnus, mais aussi que leur situation et leur existence sont considérées avec empathie.
Nous devons apprendre à créer des liens au-delà du discours, du rationnel et de ce que les Espagnols appellent « Illusion » : « une sensation » une conception, un sentiment au sujet de quelque chose qui n’est pas encore réel, mais qui peut advenir. Ce qu’Ernst Bloch définissait comme l’anticipation d’un autre monde. C’est le désir, de vivre différemment et à être différent. Nous devons pratiquer ce qui, est une autre facette de l’analyse des faits et du débat, à chacun de nourrir l’autre.
Enfin, la gauche doit travailler sur la perspective du pouvoir politique, qui ne peut être réduit aux élections. Dans une élection il peut y avoir une homogénéité autour d’une orientation parlementaire traditionnelle qui ouvre la voie au populisme. Une mobilisation ponctuelle, et concentrée peut certainement réussir, elle reste précaire quand cette mobilisation n’est pas assortie d’un ancrage durable et organisationnel.
Une politique de gauche dans les institutions représentatives sans une forte et indépendante, critique de gauche de la société, assise dans les quartiers, les lieux de travail, les initiatives et les mouvements, est vouée à l’échec. Si elle réussit cependant à faire revivre le « flux de joie » (Bloch) d’espoir, qui tire sa puissance et son énergie d’une expérience solidaire et autodéterminée, alors, même en prenant part à un gouvernement, cela pourrait être différent.
4. Question cruciale actuelle : Comment un parti de gauche peut-il ne pas aborder la question du pouvoir ?
C’est un pauvre argument que celui qu’une opposition sociale et politique n’a aucun effet. L’opposition peut mettre le feu sous les sièges des dirigeants afin qu’ils se bougent. Lorsqu’ils ne respectent ni n’ont peur de la gauche, alors rien ne peut aboutir. Cela est vrai même pour l’Allemagne. Ni les réformes de l’État-providence de Bismarck, ni la participation du monde du travail, ni la réforme des retraites Adenauer auraient vu le jour sans une opposition puissante. Il n’y aurait aucun plan visant à supprimer progressivement l’énergie nucléaire ni aucun salaire minimum.
On peut prouver au contraire, que la gauche est souvent affaiblie par sa participation à l’administration des coalitions et qu’elle peut même se détruire lorsqu’elle est sans réelle puissance, comme il y a 15 ans en Allemagne. Le parti social-démocrate (SPD) est devenu co-responsable de l’injustice sociale sous le gouvernement de Gerhard Schröder et n’a récupéré des forces seulement que très récemment mais bien loin de son ancienne puissance. Les Verts ont soutenu une guerre de l’OTAN (ndr : la guerre en Yougoslavie), l’Agenda 2010 et récemment le démantèlement des lois d’asile. La gauche c’est autre chose. Le PDS le parti du socialisme démocratique (PDS) était un parti de gauche en Allemagne de l’est formé en 1989 après la chute de la République démocratique allemande et a été fusionné avec le Parti Ouest-allemand WASG en 2005 en aujourd'hui Parti de la gauche (Die Linke). et le parti de la Gauche ont rencontré de graves difficulté dans les gouvernements régionaux, en oubliant de renforcer la gauche dans la société ils se sont affaiblis. La question décisive, n’est pas tant de participer ou non au gouvernement, mais de comment renforcer la gauche et construire un pouvoir réel, en tenant compte de chaque situation concrète.
Généralement, la question gouvernementale est examinée d’une manière tout à fait erronée. Au premier plan, on se demande : quelles sont les réformes qui peuvent être engagées ou non ? La question qui doit être posée n’est pas si elles sont réalisables, mais comment les forces sociales vont-elles les soutenir ou non. Comme l’a dit Rosa Luxembourg, le plus important c’est le Comment ! Ce qui est construit sur le sable restera lettre morte si aucuns forces sociales et politiques ne sont prêtes et à les reprendre à les défendre. Travailler pour des réformes sociétales (sans parler de la participation au gouvernement) ne permet pas de renforcer clairement la gauche, mais au contraire, peut l’affaiblit et même diminuer sa crédibilité, ce qui est une menace directe à la démocratie dans la situation actuelle.
Cette réponse est encore trop abstraite. À notre avis, toute la gauche, y compris le parti de Gauche, doit se préparer à agir face deux situations très différentes. L’une est que la relative stabilité politique, économique et sociale de l’Allemagne se maintien. Ni les conditions sociales ni le niveau du parti ne permettent d’envisager un virage politique. L’autre exigerait de la gauche sociétale et du parti de Gauche qu’ils se préparent à une crise ouverte. Dans ce cas, il faut une approche beaucoup plus radicale et une mobilisation énergique. La question concernant l’opposition parlementaire ou la participation dans le gouvernement doit tenir compte de la possibilité de diverses situations. Si sa participation à un gouvernement de coalition affaiblit la possibilité du parti de Gauche d’apparaître, en situation de crise ouverte, comme une alternative convaincante avec une politique fondamentalement différente, il va totalement échouer. Il devra renoncer à un projet d’alternance électorale.
La valeur de la stratégie du parti de Gauche réside dans la dialectique de la « realpolitik révolutionnaire » (Luxembourg). En tant que parti, il doit travailler à créer les conditions pour un changement fondamental et en même temps proposer une politique opposable à celle du pouvoir actuel. Il s’agit d’obtenir un consensus, c’est la condition fondamentale, quasi qua non, de sa raison d’être. Chaque effort doit contraindre l’autre à la réciprocité, là où existe « l’art de naviguer contre le vent » du capitalisme de marché financier néo-libéral, pour citer Walter Benjamin.
La social-démocratie constitue aujourd'hui, la limite d’une possible transformation progressiste en Europe. Mais sans elle, tous les projets de gauche ont leur limite, y compris les projets de changement en France et en Espagne, mais aussi en Grèce (en raison d’une incompréhension de la social-démocratie européenne). Malheureusement, cela signifie que la possibilité du renouvellement de la social-démocratie est limitée. Une rupture comme celle dans le parti travailliste britannique sous Corbyn (mais pas totalement achevée), ne serait pas possible en Allemagne. Il est douteux qu’une social-démocratie de gauche puisse se transformer dans les pays où elle est contestée par d’autres partis. En Allemagne, une partie de la gauche sociale-démocrate est sortie du SPD et en transitant par le WASG (alternative électorale travail et justice sociale), a rejoint, le parti de Gauche. Les politiques de gauche en Allemagne doivent donc se concentrer et exercer une pression pour un renouvellement à gauche du Spd en combattant ouvertement sa politique actuelle, qui se dresse comme un obstacle à une politique de gauche au niveau fédéral.
L’ouverture vers le haut avec Martin Schulz est une chance et un danger en même temps ; il redonne espoir aux militants d’un parti profondément frustré et remobilise pour rejoindre le SPD. C’est le reflet d’un désir fort pour revenir à un discours social-démocrate pour la justice. Et, surtout, cet espérance ramène les électeurs de la droite populiste, Alternative für Deutschland (AfD), vers la démocratie sociale. Le danger : Schulz n’est pas un gauchiste comme Corbyn ou Sanders. Il a sa part non seulement dans les dispositions qui ont rendu le travail obligatoire en Allemagne, mais aussi dans l’austérité en Europe, dans l’écrasement du gouvernement Syriza en Grèce, vers la signature des différents traités le TTIP et le CETA, il a évité le débat parlementaire et la prise de décisions, etc. Maintenant il défend certaines mesures sociales envers un noyau de salariés « travaillant dur ». Pour le moment il ne dit rien en direction des plus pauvres, ni sur la redistribution des richesses, le taux d’imposition des riches – toutes ces questions fondamentales pour un tournant à gauche.
Un regard rapide sur le programme du SPD montre qu’il a été étroitement associé au néolibéralisme pendant des décennies, et qu’un leader situé à la tête du pouvoir gouvernemental et administratif n’offre aucun moyen pout un renouvellement. Par conséquent le SPD est menacé à ce moment de l’histoire au « conflit entre les représentés et représentants » devenu évident. « A un certain moment de leur vie historique, les classes sociales se sont détachées de leurs partis traditionnels. En d’autres termes, les partis traditionnels dans cette forme particulière d’organisation, avec les hommes qui les constituent, le représentent et les dirigent, ne sont plus reconnus par leur classe (ou une fraction d’une classe) comme leur expression » (Gramsci, 1992-210). Les groupes sociaux se tourner vers la droite ou la gauche. C’est ce qui rend ces partis politiquement vides de sens. Le PASOK grec est un cadavre politique, le PSOE espagnol se trouve dans une crise existentielle la plus difficile depuis sa fondation, et le PS Français a peu de chances dans les sondages.
Avant « l’effet Schulz » les sondages en faveur du SPD lui donnaient près de 20%, il a donc perdu presque la moitié de son électorat depuis l’élection de 1998 (40,9 %). Pour l’instant, il revient à 30 pour cent ou plus. Mais le SPD est solidement arrimé à un gouvernement qui a impitoyablement et autoritairement imposé une crise néolibérale à toute l’Europe, détruit toute alternative et démantelé les lois du droit d’asile. Un renouvellement du genre Jeremy Corbyn est actuellement impossible dans le SPD. Mais aucun changement (plus ou moins opportuniste) n’est envisagé, même par simple instinct de conservation, même pas en vue de sa possible élimination par ses alliés. Cela doit être analysé, mais sans être surestimé. L’opportunisme permet seulement de bouger un peu de politique. Un véritable changement d’orientation du SPD actuellement semble irréaliste.
Avec les Verts, la situation est dramatique, d’une manière différente, lorsqu’on la mesure à l’aune des défis pour des politiques de gauche. Ils sont relativement stables électoralement, avec quelques variations mineures. Mais il ne sera pas facile pour les Verts de garder leurs deux options politiques ouvertes : une coalition « Noire-verte » avec les conservateurs (y compris la faction populiste de droite, la CSU), ou une coalition impopulaire rouge-rouge-vert avec le SPD et le parti de Gauche (qui comporterait pour le parti un danger de fractionnement et non des moindre). Ils n’incarnent plus aucun changement de politique, mais plutôt juste un « fil vert » dans les mailles d’un capitalisme de marché Financier. Maintenant, face aux mauvais sondages, ils jouent la carte de la justice, mais avec peu de crédibilité d’autant que les deux dirigeants ont été identifiés avec l’agenda vert-libéral.
5. Interférences potentielles et Conditions pour un changement
Si un changement de trajectoire dans le pays est actuellement bloqué, qu’elle serait la signification pour le parti de Gauche de sa participation au gouvernement ou de son opposition ? L’objectif stratégique du parti de Gauche devrait être un gouvernement de gauche en Allemagne reposant sur une forte société civile comme partenaire essentiel. Ce serait un gouvernement d’espoir et de possible transformation, un gouvernement du « troisième pôle », celui du camp de la solidarité. Par conséquent, le parti doit participer à une stratégie électorale dans le sens d’un « esprit de clivage » (Gramsci), un esprit qui délimite une frontière et affiche clairement la volonté d’un projet sociétal sans sectarisme qui transcende son propre parti même. Les conditions pour un gouvernement de gauche toutefois ne sont pas encore établies.
Le 18 octobre 2016, des centaines de députés du SPD, du parti de Gauche et des Verts se sont réunis pour étudier la possibilité d’un gouvernement de coalition au niveau fédéral. Depuis 2005, il était difficile de mobiliser sur ce thème. La recherche d’alternatives de gauche pour parvenir au pouvoir a été presque complètement abandonnée. L’hypothèse étant que cela ne peut arriver. Mais pourquoi pas une coalition de trois partis ? Elle semble simple, même si elle est difficile à réaliser : on explore les points communs, on est d’accord sur une liste de projets retenus par chacun, ou neutralise les champs sur lesquels il n’y a pas d’accord sur le moment, et on développe la confiance.
L’ouverture d ces trois partis à une collaboration sérieuse éventuelle au niveau fédéral est une composante importante pour vaincre les obstacles qui empêchent actuellement un changement de direction politique. Pourtant, le danger est très, très grand et pourrait comporter des conséquences dévastatrices. Brecht : « nous serions bien – au lieu de végéter. Mais notre condition est telle que c’est impossible. »
Il existe plus ou moins un consensus autour de ce qui n’est pas possible pour le parti de Gauche : aucune participation à un gouvernement prônant des interventions militaires, des privatisations ou de nouvelles coupes à la protection sociale – pas même en échange de réformes positives. Mais quelles pourraient être les conditions minimales comme les éléments positifs réalisables qui pourraient également être proposés et venir de la participation du public et des mouvements sociaux et réalisables collectivement ? Quels sont les éléments positifs envisageables avec les partenaires ? Quels éléments pourraient convenir ?
Nous allons essayer brièvement d’identifier les interactions positives plutôt que les points de désaccord.
A - Une initiative pour la diversité et l’espoir, pour l’expansion des infrastructures sociales (santé, éducation et logement) « pour tous » et l’intégration des réfugiés, avec une redistribution des richesses pour un investissement social-écologique offensif, la création massive de nouveaux emplois – cinq pour cent du produit intérieur brut. Cela signifie taxer les gros revenus et la richesse et mettre un terme à l’austérité de Schäuble (nd, actuel ministre des finances d’A Merkel). Les Verts avaient développé ce type de conception mais après une élection perdue, ils ont fini par la mettre en veilleuse. Il y a maintenant de nouvelles propositions. Le SPD tranquillement a travaillé sur une taxe foncière « faisable », minime bien sûr, mais c’est un point de départ. Schulz sera-t-il d’accord ? Pas très clair pour le moment.
B - Au niveau de l’Europe, une initiative de taxation suffisante sur les biens est possible ainsi que sur des opérations financières spécifiques. Des relais importants existent entre les syndicats pour un « plan Marshall pour l’Europe », un « New Deal vert » des Verts, et la « fiscalité compensatoire » du parti de Gauche. Et non des moindres, la taxe sur les transactions financières tant attendue pourrait enfin être mise en œuvre, Merci ironiquement au Brexit. La lutte contre les paradis fiscaux ou même contre les États peut également être poursuivie au niveau européen d’une manière plus intense (voir les USA). L’élimination des excédents d’exportation de l’économie allemande entre 6 et 7 % du produit National brut et leur affectation vers les investissements nationaux ou pour rééquilibrer les solidarités au niveau de l’Union européenne, sera plus difficile à obtenir. Ce ne sera pas possible sans entamer un processus complet de changement structurel de l’industrie d’exportation allemande et de l’économie dans le cadre d’une transformation de la structure économique de l’UE.
C - Il y a aussi des points communs pour une réforme nécessaire des retraites et stabiliser le niveau des pensions, pour prévenir la pauvreté des enfants et des vieillards, ainsi que le rejet de leur privatisation.La loi Hartz-IV réforme Hartz-IV entrée en vigueur en 2005 a réduit le soutien financier aux personnes sans emploi et augmenter la pression sur eux pour trouver un emploi. ne sera sûrement pas supprimée, mais une sécurité basique contre la pauvreté et une allocation de retraite minimale sont essentielles. Cela inclut le renforcement de la législation du contrat de travail et du travail temporaire, des engagements de la négociation collective, par exemple, et des lois sur un salaire minimum acceptable, tout comme les mesures contre la hausse des loyers et pour un développement de logements sociaux.
D - Certes, il n’y aura pas de sortie de l’OTAN et pas de fin immédiate à l’exportation des armes – mais l’élimination progressive des interventions militaires à l’étranger est envisageable, comme une réduction importante des exportations d’armes et la fin des transferts d’armes dans les zones de conflits ou à leurs acteurs directs ou indirects impliqués (par exemple, l’Arabie saoudite). Au lieu de cela, il y aura des accords pour le renforcement des priorités allant vers une résolution non militaire des conflits, avec renforcement de la médiation, la réorientation du soutien militaire (y compris financier) vers l’aide à la reconstruction non militaire. Une initiative commune de paix aurait besoin d’être reliée à la cessation de ces contrats et à une économie à sens unique, ce qui implique non seulement le rejet du CETA, du TTIP et TISA, mais aussi d’innombrables accords de partenariat économique (APE).
E - Et l’extension des possibilités de participation démocratique à tous les niveaux doit être absolument un objectif commun, mais avec des nuances très différentes. Il faut redonner à l’État (local, régional, fédéral et Etats dans l’UE), des tâches importantes de planification et de destination des investissements, comme par exemple pour la conversion des régions d’extraction de lignite, et une transition équitable pour les salariés et les populations locales, ou la reconstruction social-écologique des zones urbaines et rurales, y compris avec la mise en place de d’une transition vers l’agriculture biologique. Le point central c’est le soutien au financement du retour à la communalisation des services publics et des associations communales et économies solidaires.
Sur tous ces points, il y a certainement des programmes qui comportent et proposent des réformes communes. Par exemple : la résistance à l’économique, aux médias et aux intérêts particuliers, existe y compris dans les cercles du SPD et chez les Verts, et ce serait énorme. L’idée de placer le commun en tête avant toute division et la confrontation au niveau national et européen avec des intérêts puissants, permettrait de faire échec dans la société et même à l’intérieur du SPD et chez les Verts aux factions, politiques concrètes et pouvoirs spécifiques. Nous considérons aujourd’hui que ce programme minimal existe dans le SPD et chez les Verts mais qu’il n’est pas encore viable.
La Gauche subira d’énormes pressions pour accepter des compromis si elle veut réaliser certains de ces objectifs. Il faudra donc une structure plus solide, qui pourrait mettre éventuellement fin à la coalition. Le parti n’est pas préparé à ces défis – ni même sa base sociale. Sa participation au gouvernement a toujours pour résultat de mettre en péril le soutien social et extra-parlementaire. Souvent – presque toujours – le parti de Gauche est plus faible après sa participation au gouvernement parce qu’il n’a pas utilisé sa présence pour élargir sa base sociale.
6. accords et tâches pour le « troisième pôle »
S’il est possible à l’opposition d’influencer concrètement la politique ; et s’il ne lui est pas possible de former un gouvernement de gauche et amorcer un changement politique, tel que présentée au point 5, si les conditions sociales et politiques ne sont pas réunies ; le parti de Gauche ne doit pas participer à un gouvernement de coalition au niveau fédéral. Il devrait abandonner sa politique de realpolitik et prendre au sérieux la demande d‘un changement fondamental de politique. La gauche ne peut se permettre le luxe de tenir et de propager des illusions.
Cela signifie qu’il faut demander pendant la campagne électorale au SPD et aux Verts de prendre le risque d’un changement de direction plutôt que d’apporter simplement des modifications à la politique existante. Il y a des questions très simples pour lesquelles nous devrions exiger des réponses : Retraite contre la pauvreté : oui ou non ? Fin de la politique d’austérité : oui ou non ? Restructuration du secteur financier : oui ou non ? Investissement public dirigé : oui ou non ? Programme d’investissement social et écologique : oui ou non ? Sortir de la prédominance du modèle export : oui ou non ? Pour un programme de paix réelle : oui ou non ?
Avec un accord parlementaire de pouvoir même avec un gouvernement de gauche minoritaire dirigé par le SPD, le parti de Gauche pourrait être présent. Mais précédemment, cette possibilité a toujours été écartée par le SPD.
Le Portugal a pris récemment la voie d’un gouvernement de gauche minoritaire. Les plus grandes manifestations générées par la crise - par rapport à la taille de la population - ont eu lieu au Portugal, mais l’impulsion n’étant pas venue du regroupement de nouvelles formes organisationnelles, ce mouvement a failli tourner court. Elle a trouvé une expression temporaire dans les bons résultats de la gauche radicale : la coalition dirigée par les communistes et le Bloc de gauche (8,27 et 10.22 pour cent des voix). Dans ce contexte, l’accord de gouvernement socialiste minoritaire à partir d’octobre 2015 entre les communistes et le bloc de gauche a offert une chance pour commencer à assouplir la politique d’austérité.
Ce serait possible en Allemagne. Depuis 2005, cette question a été maintes fois soulevée par le parti de la Gauche. La proposition a été reprise par les délégués parlementaires du parti de Gauche qui ont donné leurs votes au Président du SPD pour sa candidature comme chancelier. D’importants projets de réformes modifiant les politiques actuelles – retraite, SMIC, revenu minimum, logement, énergie de transition - et autres modifications pourraient être une alternative au gouvernement actuel dirigé par la CDU. Les points d’accords sont connus.
Comme pour un accord de coalition, les conditions minimales et les mesures à prendre doivent être également définies clairement. Contrairement à un accord de coalition, de « coalition-discipline » qui en limite la portée, le parti de Gauche ne serait pas empêtré dans l’appareil ministériel et administratif qu’il ne peut contrôler, et il n’aurait pas de ministres contraints de présenter les décisions mineures, voire même négatives et les régressions, comme des succès. Au lieu de cela, il pourrait se concentrer sur le travail commun pour les lois au Parlement et dans les débats sociétaux, sans subordination du parti à la faction parlementaire gouvernementale et à ses initiatives de réforme. Ses propres initiatives pourraient être portées et débattues par le public (au lieu de discuter simplement des propositions du gouvernement). Le parti pourrait se développer davantage en exigeant le changement et en même temps le rendre possible sous la forme d’une opposition efficace et, même si tout va bien, d’un accord encore plus efficace.
Avec la réussite d’un accord, les conditions pour un gouvernement de gauche efficace en Allemagne pourraient éventuellement être atteintes, grâce au soutien conjoint de la société et des mouvements sociaux. Ensuite, sur la base de forces sociales efficaces, l’élite dirigeante pourrait se fracturer, et de puissants acteurs de gauche pourraient peut-être établir un gouvernement de gauche au centre même de la plus grande puissance de l’Union européenne, et l’approche développée ici pourrait être appliqué de manière exhaustive :
- Stopper la politique d’austérité dans l’UE et l’Allemagne et soutenir de grands projets pour l’intégration solidaire dans l’UE. Appel à la volonté de rompre avec les règles sélectives de l’UE et la monnaie commune pour mettre en œuvre de nouvelles règles. L’accumulation de richesses doit être considérablement taxé fiscalement. Cela nécessite des mesures de contrôle des capitaux :
- Mettre en place des mesures énergiques pour subordonner le système financier au développement de la société et à une nouvelle approche de l’économie. Le secteur financier doit être considérablement réduit. La protection fondamentale pour la santé, les soins et la vieillesse doit être exclusivement confiée au secteur public. Le secteur bancaire public doit être renforcé, ainsi que le contrôle du secteur privé. Il faudra amender les lois décidées par l’UE concernant la libre concurrence. Les banques systémiquement importantes qui sont trop grosses pour faire faillite, seront réduites et nationalisées. Tant que les paradis fiscaux existent toujours, les transactions en capital avec eux supporteront des sanctions fiscales.
- Lancer un vaste programme d’investissement social et écologique, à hauteur de 5 % ou plus du revenu National brut. Cela pourrait permettre de régler les problèmes de garde d’enfants, de l’éducation, des soins de santé et de soins infirmiers, d’une sécurité de base contre la pauvreté et soutenir une politique contre la pauvreté de l’enfant ou des personnes âgées, une transition démocratique rapide de l’énergie, la rénovation écologique de l’immobilier existant, la transition vers un système de transport écologique, en plus d’une politique étrangère solidaires, la transformation sociale-écologique de l’espace urbain et rural et la transition vers une agriculture biologique. Les services publics resteront dans les mains du public.
- Autoriser l’État (local, régional, fédéral et même l’UE) à réaliser des tâches importantes de planification et d’orientation des investissements. Un gouvernement de gauche serait donc aussi un gouvernement de restructuration de l’État.
- Diriger l’excédent d’exportation de 6 à 7 % du produit National brut en grande partie vers des investissements nationaux, connectés à un rééquilibrage au niveau de l’UE. Pour cela, rien de moins qu’une complète transformation structurelle de l’économie et de l’industrie allemande dans le cadre du changement de la structure politique et économique de l’UE.
- Prendre au sérieux la responsabilité internationale pour une politique globale de justice, de restructuration écologique et de stabilisation de l’idée positive de la paix (pas seulement l’absence de conflit armé et de guerre), aujourd'hui et en particulier en Europe de l’est, en Afrique du Nord et au proche et Moyen Orient. Il faut mettre fin aux exportations d’armes et aux interventions militaires dans les conflits engagés de ce gouvernement. L’industrie de l’armement doit être réduite à la taille nécessaire pour la défense du pays, avec la conversion du reste.
Les conditions de ce changement de direction n’existent pas encore. Un nouvel accord, répondant à la situation actuelle est peu probable car le courage nécessaire le plus élémentaire manque au SPD et aux Verts et peut-être même à la gauche – un courage également nécessaire pour discuter de la participation du parti de Gauche aux gouvernements et postuler un changement de direction. Seul un tiers de la population jugerait comme positive un gouvernement d’alternative commun au SPD, Verts et à la Gauche. Et les élites dirigeantes ne seraient en aucune façon divisées sur cette question ; elles repousseraient sans répit cette politique. Le rejet de la politique d’Oskar Lafontaine, alors ministre des finances en 1998/9, apparaîtrait comme une brise légère par rapport à ce à ce qui pourrait arriver. La politique néolibérale de l’UE, n’est pas aussi affaiblie pour qu’elle s’ouvre aux changements.
La proposition d’accords devra être avancée avec sérieux. C’est le meilleur scénario possible pour rendre clair ce qui encore possible aujourd'hui.
Nous présentons cette troisième option, parce que : a) il n’y a pas de projet de gauche bien clair ; b) il n’y a aucune coalition sociale ou politique potentielle prévisible ; c) le débat nous semble être coincé entre une « opposition de gauche » et une « participation au gouvernement par avidité du pouvoir ».
Dans la conjoncture actuelle « « opposition » veut dire, lorsque les choses vont mal, construire un gouvernement de coalition entre conservateurs et Verts, ou conservateurs et SPD, avec l’AFd (parti d’extrême droite) comme force populiste oppositionnelle.
Un accord entre le SPD et les Verts – dans la mesure où ils le souhaiteraient réellement –leur permettrait de procéder à partir des idées communes recensées aux réformes nécessaires, sans les limites imposées par une participation directe à un gouvernement qui les affaiblirait dans la société et ce que refuse le parti de Gauche. Les militants (et pas seulement le congrès du parti) doivent décider l’entrée dans le gouvernement et de l’accord ou de l’opposition au gouvernement.
D’un côté, la discussion avec le SPD et les Verts doit s’engager immédiatement. Et de l’autre, il est tout aussi important d’ouvrir la discussion avec tous ceux dans la société qui souhaitent un changement fondamental dans la politique économique et la politique sociale ; qu’il s’agisse d’un autre mode de production, d’un changement dans le développement de l’UE ou de son approche politique globale. Nous devons en Allemagne produire un agenda pour un tel changement d’orientation, le discuter activement pour établir les conditions pour un gouvernement résolument de gauche – il s’agit d’une tâche claire au-delà de 2017.
Les conditions d’un tel changement de politique et d’un gouvernement de gauche n’existent pas pour le moment. Nous devons commencer par les développer. C’est pourquoi nous devons tendre la main aux citoyens et les organiser dans leur vie quotidienne. Il faut supprimer les barrières du dialogue entre le SPD, les Verts et le parti de Gauche, c’est une étape indispensable. Or ce qui pourrait émerger du rapprochement de ces partis dès maintenant ne serait rien d’autre qu’un gouvernement de centre-gauche basé sur les règles d’un néolibéralisme tempéré. S’acquitter de la double tâche – influencer la politique d’Etat de la gauche et travailler vers la transformation radicale – ne sera pas possible dans ce type d’arrangement.
Pour cette raison, à notre avis, la question de la participation du parti de Gauche à un gouvernement de coalition, au niveau fédéral n’est pas à l’ordre du jour ; la lutte pour un changement de direction de politique par une opposition sociale et parlementaire, ou – peut-être – un gouvernement de centre-gauche serait préférable.