J’ai rencontré Hugo Moreno en 1957, lorsque le parti pour lequel je militais dans ces années-là m’a envoyé à Córdoba pour former un Comité régional et, pour atteindre cet objectif, j’ai consacré mon temps à donner des conférences avec un seul orateur présent dans la salle (moi) et à participer à chaque conférence du centre d’études qui acceptait un débat et où il y avait toujours un petit groupe à la sortie qui voulait continuer la discussion.
Hugo, à ce moment-là, avait 15 ans, il a été l’un de ceux qui voulurent maintenir le contact et en peu de temps, je suis passé - avec mes 30 ans bien remplis – d’une sorte de père adoptif à l'initiateur au marxisme révolutionnaire d’un adolescent plein d’ardeur qui absorbait ces connaissances nouvelles comme une éponge. En l’espace de six mois, il rejoignit le Comité régional, formé par des travailleurs d’âge mûr.
En 1959, j’ai été envoyé au Pérou, pour aider les camarades de ce pays et j’ai perdu contact avec Cordoba, que je considère comme la ville qui m’a laissé les meilleurs souvenirs pour la qualité et l’humour de ses jeunes travailleurs et pour l’alliance travailleurs-étudiants qui a donné un sens social très marqué à la lutte contre la tentative dictatoriale en 1957 d’imposer l’instruction religieuse obligatoire et qui par la suite, s’exprima dans le Cordobazo. (Soulèvement en Argentine 1969 à Cordoba).
Une fois retourné en Argentine, j’ai retrouvé Hugo en tant que membre du Comité régional de Santa Fè. En tant que Secrétaire de l’organisation du parti (POR) j’ai eu comme principales fonctions d’aider les comités régionaux. Nous nous sommes souvent rencontrés lors de mes voyages dans les provinces ou à Buenos Aires. À la fin des années soixante, il a commencé à militer avec Raúl Prenat (« Rivas »), assassiné par la dictature militaire en 1976, Carlos Suárez (« Bernardo ») et d’autres camarades dissidents. Plus tard il a été au Portugal, où il a participé à la révolution des œillets en 1974, où il y a rencontré sa partenaire courageuse et brillante, Marie-Christine, qui a pris soin de lui avec abnégation jusqu'à ses derniers instants, et avec laquelle ils ont eu un fils, Aurélien.
À Paris, il a travaillé à la FNAC-Les Halles où il fut élu délégué du personnel et où il s’est forgé une culture forte qui lui permettra de devenir professeur à l’Université de Paris VIII, dans un département, dirigé par Jean Marie Vincent, ami et collègue.
Lors d’un voyage en Argentine, il a été arrêté et torturé au Brésil, selon la torture dite du Pau de Arara, qui consiste à lier les mains et les chevilles du prisonnier et à le suspendre à un bâton pendant qu’on lui applique des décharges électriques. A la suite de cette torture il a perdu l’usage des jambes. Une Infirmière de l’hôpital de la prison où il était incarcéré a prévenu le Consulat argentin de la dictature et il a été rapatrié dans la journée. À Buenos Aires, la police de l’Argentine n’avait apparemment pas apprécié cette sorte de compétition brésilienne dans un domaine qui lui semblait lui appartenir en propre : la torture et les disparitions - il a été soigné à l’hôpital militaire et il a pu rentrer en France.
Il a milité ensuite aux côtés de Michel Raptis (« Pablo »), de Gilbert Marquis, Danielle Riva, Patrick Silberstein, moi et autres membres de la tendance marxiste révolutionnaire (TMR), pour l’autogestion socialiste dont l’hospitalité fraternelle a vu passer une grande partie de la gauche d’Amérique latine dispersée en France, Espagne, Italie ou aux Pays-bas. Moi-même, j’ai vécu à Rome, et j’ai été aussi fraternellement adopté par Marie Christine et Hugo chaque fois que je me rendais à Paris pour assister aux réunions de la TMRI, ou pour un travail.
Il y a eu beaucoup de moments agréables avec le couple révolutionnaire Marie Christine et Hugo, de très enrichissantes discussions notamment avec Pablo, invité régulier de nombreux dîners. Avant tout, je leur dois de m’avoir aidé pour mon doctorat en sciences politiques à l’Université où ils travaillaient ou encore lorsque mes chers collègues de l’UAM-Xochimilco, au Mexique mon poussé à entrer dans le système national de chercheurs qui amasse des fonds pour les bourses d’études des étudiants.
Hugo laisse beaucoup d’amis, un grand vide, son humour cordobèsien, sa générosité et son hospitalité. Il a également laissé quelques brochures pour le centre d’édition de l’Amérique latine dans la collection dirigée par le grand historien marxiste argentin et ami, Alberto Pla, peu après la fin de la dictature en 1983 et un livre « La catastrophe Argentine », éd. Syllepse.
Il nous laisse le souvenir endeuillé de luttes communes, de sa compagne, son fils et son petit-fils, qui lui a donné du bonheur ses dernier jours.
Mexico,
9 juillet 2017