Il y a à peine un an, personne ne se serait aventuré à dire que Bachar al-Assad et l’Armée arabe syrienne (AAS) avaient une chance de gagner la guerre contre les rebelles, les combattants étrangers ou les terroristes. Appelons-les comme on veut, mais il s’agissait de plus d’une centaine de milliers d’hommes en armes, souvent sophistiquées, avec de puissants soutiens arabes, turcs et occidentaux. Tout au plus, le pouvoir syrien pouvait-il espérer négocier une paix et un partage du pouvoir en position de force.
Que s’est-il passé pour qu’aujourd’hui, cette Armée arabe syrienne vole de victoire en victoire ?
Les rivalités des adversaires entre eux.
C’est certainement un des deux éléments les plus importants qui a permis l’actuelle série de victoires du gouvernement syrien. L’AAS a résisté aux deux coups de butoir contre Alep et contre Damas en 2012. Cela a permis à l’État syrien de survivre, de voir l’opposition montrer son manque d’unité et dévoiler les côtés extrémistes et criminels voire terroristes de certains groupes.
On peut distinguer cinq groupes armés principaux qui ont ou qui avaient des objectifs et des soutiens étrangers concurrents.
- Jabhat al-Nosra, rebaptisé Jabhat Fatah al-Cham en 2016 pour faire oublier son allégeance à Al-Qaïda. C’est un groupe wahhabite qui a bénéficié de l’aide de princes saoudiens et d’autres émirs du Golfe. Il faudra un jour déterminer de quel niveau de pouvoir venait cette aide. Le pouvoir en Arabie saoudite est réparti sur une nébuleuse de clans et les princes pouvaient engager les deniers de l’État ou leurs avoirs mafieux avec l’accord tacite du roi. Il est certain que Jabhat al-Nosra a reçu de l’armement des monarchies du Golfe et que les pays occidentaux ont au moins fermés les yeux. Ce groupe était au départ majoritairement composé de combattants irakiens sunnites qui avaient le but de prendre le pouvoir en Syrie pour y former un califat. Il a rallié autour de lui de nombreux autres groupes de combattants syriens.
- Ahrar al-Cham est un groupe révolutionnaire islamiste idéologiquement lié aux Frères musulmans. Il est surtout présent dans le nord et le centre de la Syrie. Il avait le soutien de la Turquie et du Qatar qui l’approvisionnaient en armes. Du fait de sa proximité Frériste (Frères musulmans), ce groupe est combattu par l’Arabie saoudite et est continuellement en conflit avec Jabhat Fatah al-Cham. Son but est d’arriver au pouvoir pour y installer une constitution islamique basée sur la Charia. Ahrar al-Cham a rallié autour de lui des dizaines d’autres groupes armés qui représentent ensemble environ 25.000 combattants. Ce groupe a un relatif soutien populaire grâce à un réseau de distribution d’aides à la population.
- L’État islamique ou État islamique d’Irak et au Levant, ISIS en anglais et DAECH en arabe est apparu dans l’est de la Syrie en 2013. C’est un groupe lourdement armé, originaire d’Irak et qui a acquis un impressionnant matériel de guerre en s’emparant de Mossoul et des provinces sunnites d’Irak en 2014. Ce groupe a une idéologie proche de celle de l’Arabie saoudite et on pense que celle-ci l’a aidé à ses débuts. Il est formé de combattants expérimentés d’Al-Qaïda encadrés d’anciens officiers irakiens baasistes qui se sont rencontrés dans les prisons irakiennes après 2003. En passant la frontière syrienne et en étendant sa vision djihadiste à l’Afrique et à l’Asie, l’État islamique est devenu un danger planétaire que les États-Unis n’ont d’abord que mollement combattu en SyrieCe n’est que quand l’AAS et ses alliés ont victorieusement avancé vers l’est que les États-Unis et leurs alliés ont sérieusement combattu l’État islamique en Syrie au prix de la destruction quasi totale de Raqqa. dans l’espoir d’affaiblir le pouvoir du président syrien. C’est sans doute un mauvais calcul qui se retournera contre eux. Le premier objectif de l’État islamique était de former un proto-État à cheval sur les régions sunnites d’Irak et de Syrie, sous le commandement du calife Abou Bakr al-Baghdadi. L’Arabie saoudite a alors compris le danger que représente cette organisation et a cessé de la soutenir. L’État islamique représente une concurrence qui pourrait un jour revendiquer des droits sur les lieux saints de l’islam. Il est difficile d’estimer le nombre de combattants actuels. Au plus fort de son extension, il devait y avoir entre 50.000 et 125.000 hommes en Syrie et en Irak, principalement sunnites irakiens mais aussi européens, tchétchènes, ouigours, tunisiens etc.
Il est aussi à noter que l’EI ne correspond pas au dessein des États-Unis et d’Israël qui consiste à voir la région se morceler en une multitude de petits États de faible influence.
- L’Armée syrienne libre (ASL) est d’abord composée d’officiers et de soldats déserteurs à partir de 2011. Elle a reçu un soutien, quoique clandestin, des pays occidentaux dont notamment un transfert massif d’armes de Libye, organisé par la CIA. C’était au départ une armée non confessionnelle qui s’est en grande partie délitée avec le départ de nombreux groupes avec armes et bagages vers les islamistes plus radicaux. Le Pentagone a essayé de les former et de les contrôler mais, en vain. Une fois armés et prêts au combat, la plupart de ces hommes ont rejoint les groupes islamistes. L’ASL existe encore dans le sud de la Syrie, autour de la ville de Deera. Cette armée reçoit un soutien logistique israélien et est entourée de conseillers occidentaux et israéliens. Vu les nombreuses défections, il est difficile d’estimer le nombre de combattants. Peut-être entre 5.000 et 6.000.
- Les FDS qui regroupent des miliciens arabes et des milices kurdes syriennes (YPG) sont actuellement la principale force armée soutenue par les États-Unis au grand dam d’ailleurs de la Turquie. En 2011, les Kurdes n’étaient pas hostiles au pouvoir en Syrie. C’est l’arrivée des islamistes dans leur région qui les a fait prendre les armes et petit à petit, ils ont formé un groupe de combattants assez efficaces. Ils semblent instrumentalisés par le Pentagone pour constituer un État dans le nord de la Syrie, où les États-Unis pourraient établir des bases militaires permanentes. Il faudra voir, une fois l’État islamique vaincu, si les États-Unis seront prêts à enfreindre le droit international et à aller à la confrontation avec la Syrie pour accomplir leur dessein.
Les Kurdes syriens ont trois gros obstacles pour obtenir une indépendance :
- Un éventuel État Kurde en Syrie serait entouré de pays hostiles à son indépendance ; la Turquie, l’Irak, l’Iran et la Syrie. Comment dans ce cas assurer la survie de ce pays qui n’a pas de richesses sur son territoire ?
- Le PYD (civil), l’YPG (militaire) et son parti frère, le PKK de Turquie, sont des partis kurdes néo-marxistes. Comment concilier cela avec l’idéologie conservatrice-libérale des États-Unis ?
- Les Kurdes n’ont aucun droit historique sur les territoires syriens qu’ils contrôlent. À l’origine, le peuple kurde était un peuple nomade qui ne s’est progressivement sédentarisé que depuis un siècle. Il n’était majoritaire que sur une infime petite partie du nord de la Syrie.
La particularité de cette guerre, c’est que tous ces groupes se battent entre eux que ce soit pour s’approprier des territoires, des armes ou pour des raisons idéologiques ou d’alliances. Il n’est souhaitable pour personne de voir un groupe islamiste l’emporter et installer la loi islamique à Damas. Il faut signaler au passage que toutes ces milices perçoivent des soldes. Si l’État islamique disposait aussi d’argent grâce aux trafics de pétrole et d’antiquités, Les autres milices sont rétribuées avec des fonds d’origines inconnues mais on peut imaginer qu’il y a de riches donateurs du côté du Golfe.
Il y a au moins une centaine de milices d’insurgés qui s’allient ou se regroupent selon les opportunités avec d’autres groupes plus puissants. Elles ont souvent une implantation locale et elles font allégeance à l’armée la plus forte pour ne pas avoir à subir de représailles. Il sera intéressant de voir ce qui arrivera quand les milices islamistes les plus radicales seront éradiquées.
L’entrée en scène de la Russie et de l’Iran.
La concertation de la Russie avec l’Iran et leur coordination pour épauler l’Armée arabe syrienne est l’autre élément déterminant qui a permis de reconquérir une grande partie des territoires syriens perdus. Les détails d’une intervention ont été mis au point lors des visites de Qassem Soleimani, le général-commandant de la Force Al-Qods iranienne, à Moscou en été 2015. La modernisation et le renouvellement de l’équipement lourd, la mise à niveau des forces aériennes, la formation de nouvelles unités de combat, le contrôle du ciel syrien et un nouveau schéma tactique ont permis les succès actuels de l’AAS. Des unités du Hezbollah libanais, de la Force Al-Qods iranienne, des milices pro-gouvernementales et des volontaires chiites étrangers apportent les renforts en hommes qui faisaient si cruellement défaut aux forces loyalistes.
Il est à noter que le coût de l’intervention russe en Syrie est insignifiant et qu’il est presque totalement pris en charge par le budget ordinaire de la Défense.
En plus des avantages géopolitiques qui marquent le retour de la Russie au Moyen-Orient, l’Armée russe a renforcé sa présence militaire dans la région et elle y dispose à présent de deux bases permanentes. Elle a eu l’occasion de tester avec succès ses armes de dernière génération sur le champ de bataille. Cela booste aussi les exportations de l’industrie de la défense au grand bénéfice de l’économie russe.
La lassitude et l’usure.
Le peuple syrien est las de ce conflit. Les autres belligérants aussi parce qu’ils ne voient aucune victoire militaire possible. L’Arabie saoudite commence à ressentir le coût de cette guerre alors qu’elle est aussi en conflit sur d’autres fronts et que ses revenus pétroliers sont en forte baisse. Connaissant leur versatilité, les États-Unis hésitent à fournir de l’armement sophistiqué aux rebelles et ils ne veulent en aucun cas engager des troupes de combat au sol.Les forces actuellement engagées en Syrie sont des unités d’élite qui ont une mission de formation et d’appui aux FDS. Les souvenirs douloureux d’Irak et d’Afghanistan sont encore trop proches.
Après avoir repoussé les principaux groupes rebelles dans la province d’Idlib où ils s’entre-déchirent pour le moment, et après avoir cantonné les autres dans des poches assiégées, l’AAS a entamé avec succès la libération de l’est du pays des griffes de l’État islamique. Une fois la jonction avec l’Armée irakienne consolidée, une liaison routière entre les deux pays sera rétablie. L’importance de cette jonction n’a pas encore été bien évaluée par les analystes. Elle va permettre un flux continu sans obstacles de renforts, d’armes et d’approvisionnement depuis l’Iran.
L’étape suivante pourrait être la sécurisation du sud du pays autour de Deera, la réduction des poches rebelles dans la Goutha ou la sécurisation du nord du pays avec une offensive vers l’aéroport d’Abou Douhour près d’Idlib actuellement tenu par Hayat Tahir al-Cham, une coalition dominée par Jabhat Fatah al-Cham (Al Qaïda).
La reprise de la rive droite de l’Euphrate est beaucoup plus problématique du fait de la présence de l’Armée américaine. Cela fera sans doute partie des négociations finales mais il y a une divergence à ce sujet entre d’un côté, les gouvernements syrien et iranien et de l’autre la Russie qui veut éviter une confrontation militaire (pour le moment) avec les États-Unis.
Excepté pour les FDS, les approvisionnements des rebelles en armes et munitions se sont taris. Il est difficile de savoir si les soldes sont encore partout payées. L’argent a été la principale motivation de l’engagement des rebelles syriens. Les motifs idéologiques ont toujours été secondaires excepté pour une minorité de fanatiques. L’argent des trafics, des enlèvements contre rançonIl n’y a pas de correspondants occidentaux en zones rebelles pour cette raison. Les analyses des médias occidentaux se basent sur des informations de correspondants locaux dont on ne connaît pas les sympathies et elles sont de ce fait peu fiables. et du racket ont été le nerf de la guerre depuis plus de six ans.
Cette situation va immanquablement déboucher sur un ralliement de la plupart des petits groupes rebelles au gouvernement syrien grâce à la médiation russe et elle verra le retour à la vie civile de la plupart de ceux qui ont pris les armes.
Les vaincus.
« Vae victis »« Malheur aux vaincus. » pour les rebelles. Ils payeront le prix fort pour avoir cru les promesses de leurs sponsors.
Les guerres civiles sont de tous temps les plus cruelles et celle-ci ne fera pas exception. On peut imaginer le sort des partisans du président Assad si les islamistes l’avaient emporté alors ne soyons pas sensibles quant au sort de ces derniers, il sera bien moins cruel. Beaucoup de ces rebelles qui survivront, les plus fanatiques et ceux qui ont commis des crimes, n’auront d’autre choix que de s’exiler avec leur famille s’ils ne sont pas exécutés avant. Ce sera une charge pour les pays limitrophes et pour les pays de l’Union européenne qui ont soutenu cette guerre. Les États-Unis ne seront pas concernés vu qu’ils ont fermé leurs frontières aux ressortissants des pays arabes concernés.
On peut distinguer trois groupes de perdants. Les groupes rebelles/terroristes, les États qui les ont soutenus et les réfugiés syriens.
a) Parmi les groupes rebelles, l’État islamique aura réussi à faire l’unanimité contre lui et il ne survira sans doute pas dans sa forme actuelle à sa récente défaite militaire.
- Les groupes liés à Al Qaïda et aux Frères musulmans auront des difficultés à survivre dans la Syrie du futur sans le soutien des monarchies du Golfe, de la Turquie et du Qatar.
- Le CNS, la branche civile de l’ASL, devra affronter l’épreuve des urnes et comme elle n’a pas d’assise locale, elle sera balayée.
- Les mouvements autonomistes et indépendantistes kurdes sont dépendants de l’aide militaire étasunienne. Il est difficile de prévoir les décisions de l’administration Trump toute partagée qu’elle est entre son désir de nuire à la Syrie, à la Russie et à l’Iran et son impératif besoin de ne pas perdre son allié turc. Les Kurdes syriens peuvent difficilement espérer une indépendance qu’ils ne demandent d’ailleurs pas en Syrie. Ils peuvent tout au plus obtenir une autonomie culturelle.
b) Les Etats.
À force de jouer des doubles jeux, les États-Unis perdront sur tous les fronts au Moyen-Orient. Sauf à se lancer dans un engagement militaire massif et à risquer une confrontation directe avec la Russie et avec l’Iran, les États-Unis n’auront d’autre choix que de se retirer de Syrie pour limiter leur perte d’influence. Il est à noter que le conflit interne entre le président Trump et l’establishment affaiblit la position des États-Unis et qu’il est impossible de prédire ce qui arriverait en cas de destitution (peu probable) du président Trump.
Les Monarchie du Golfe auront dépensé des milliards de dollars en pure perte. Le Qatar est en échec aussi bien en Libye et en Égypte qu’en Syrie. Sa politique de soutien aux Frères musulmans s’est en plus attirée les foudres de l’Arabie saoudite, de l’Égypte et des monarchies sunnites du Golfe. La désastreuse politique saoudienne avait été initiée par feu le roi Abdallah pour étendre l’influence saoudienne sur l’ensemble du monde arabo-sunnite et pour affaiblir le rôle de l’Iran dans la région. Mohammed ben Salman (MBS), l’actuel homme fort du pays, semble faire porter la responsabilité de cet échec au proche entourage de l’ancien roi. MBS doit maintenant gérer un pays dont les revenus ont été largement réduits tout en maintenant la pression sur l’Iran.
L’Union européenne et la France en particulier auront fait fausse route depuis le début de la crise syrienne. En exigeant le départ de Bachar al Assad avant toute négociation avec le CNS, l’UE et la France auront raté l’occasion d’avoir une quelconque influence dans la région dans le futur. Il faudra retenir la parfaite transparence de Madame Mogherini et l’absence de la présidence européenne représentée par Monsieur Tusk. On est en droit de se demander quelle est l’utilité de ces fonctions. Même si la France avait fermé son ambassade à Damas sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la présidence de François Hollande aura été marquée par une profonde hostilité au régime laïc syrien qui ne voulait pas rompre avec l’Iran et le Hezbollah. Le passage de Laurent Fabius au Ministère des Affaires étrangères aura été un des plus désastreux de l’histoire de France. Les médias « mainstream » et les experts de plateaux de télévision auront manqué à leur devoir de neutralité de l’information en s’alignant sur la ligne politique du gouvernement.En répétant à l’envi que Bachar tue son propre peuple, on peut légitimement se demander combien de vocations de djihadistes ce discours a suscité. Lors d’une guerre civile, tous les protagonistes tuent leurs compatriotes et insister sur les morts d’un camp, c’est prendre parti pour l’autre. D’après des estimations récentes, le nombre de victimes est assez partagé. Ce n’est que depuis peu que le pourcentage de morts rebelles a fortement augmenté.
Israël peut être considéré comme perdant parce que les groupes rebelles qu’il a soutenus ont été militairement défaits par l’AAS et que ses objectifs politiques n’ont pas été atteints. De son côté, le Hesbollah s’est renforcé et a acquis de l’expérience au combat, l’Iran est tout près de la frontière israélienne et la Russie contrôle le ciel syrien. D’un autre côté, il y a un rapprochement avec les dirigeants arabes sunnites contre l’Iran.
c) Les réfugies syriens font partie des grands perdants.
Ceux qui ont fui les islamistes ne trouveront bien souvent que des ruines à leur retour. Les réfugiés islamistes syriens et leurs familles ne pourront pas se réinsérer dans une Syrie pluraliste et leur sort est un vrai casse-tête international. Le sort des brigades djihadistes internationales est encore un plus grand casse-tête. Le mot d’ordre a été de les éliminer sur place mais quid de ceux qui rentreront quand-même au pays ? Des rumeurs accusent les États-Unis de renforcer les FDS avec des daechistes récupérés et de transférer des autres en Afghanistan. Une affaire à suivre de près. Il y a enfin le sort des centaines de milliers de jeunes Syriens qui ont fui leur pays pour éviter leurs obligations militaires. Il s’agit principalement de fils de familles aisées sunnites dont le voyage a été payé par la famille. On les a vus forcer les postes frontières européens en 2015. Ce sont en grande majorité des hommes éduqués qui s’intégreront sans trop de problèmes en Europe. Leur absence se fera sentir quand il s’agira de reconstruire la Syrie mais, sauf à d’obtenir un pardon magnanime, leur retour sera difficile.
Les vainqueurs.
- L’Armée arabe syrienne et ses forces d’élite sont les vainqueurs sur le champ de bataille. Si ce n’est le successeur de Bachar al-Assad, ce sera sûrement parmi ses généraux que l’on trouvera les futurs dirigeants syriens.
- L’Iran était infréquentable au début de cette guerre en 2011 et il est maintenant un interlocuteur incontournable. Il en est de même pour le Hesbollah. Il a acquis le respect des Libanais qui ne veulent pas d’une nouvelle guerre civile au bénéfice de puissances étrangères.
- Il va sans dire que la Russie de Vladimir Poutine qui elle aussi comptait pour quantité négligeable en 2011 est redevenue un acteur de poids dans le landernau des puissances mondiales.
- Le peuple syrien aura résisté à un complot international qui voulait le voir tomber sous la férule de fanatiques islamistes. Il devra reconstruire le pays en se passant sans doute des aides occidentales, mais recouvrer sa souveraineté n’a pas de prix.
Il est actuellement difficile placer la Turquie dans le camp des gagnants ou des perdants. Son rapprochement avec la Russie lui permettra sans doute de tirer son épingle du jeu ou de limiter les pertes mais elle n’aura pas obtenu beaucoup d’avantages en s’engageant dans cette guerre.Le transfert sans doute durable de nombreuses entreprises de la banlieue d’Alep avec leurs dirigeants et leur personnel vers la Turquie est par exemple un gain turc. Il ne faut jamais oublier que la principale menace pour son intégrité vient de sa minorité kurde que ses ennemis peuvent à tout moment militairement soutenir.
- Deux autres pays limitrophes, le Liban et la Jordanie, n’ont finalement pas été déstabilisés malgré les millions de réfugiés syriens qu’ils ont dû accueillir.
- L’Irak, un autre voisin de la Syrie, a aussi vaincu DAECH. La plus importante zone du pays, le sud chiite, n’a pas été touchée par la guerre. L’Irak a les moyens de recouvrer sa totale indépendance et de se libérer de la tutelle étasunienne.
Conclusion.
Depuis 75 ans, les conditions pour gagner une guerre n’ont pas changé. Il faut une suprématie aérienne et des troupes combattantes au sol. Seules les forces loyalistes et leurs alliés répondaient à ces deux critères. La suprématie aérienne était assurée par la Russie et les troupes combattantes, principalement des unités d’élite renforcées par le redoutable Hezbollah libanais ainsi que par des unités iraniennes, ont pu être déployées massivement dans l’ensemble du pays avec un parc de blindés modernisés. L’AAS a aussi pu compter sur l’aide des experts militaires iraniens et russes.
La Russie avait un objectif stratégique cohérent, la lutte contre le terrorisme islamique, le soutien à un gouvernement légal et la souveraineté du peuple, et elle n’a pas varié dans sa position. Le résultat est un retour des influences russe et iranienne au Moyen-Orient.Il est loin le temps où les médias occidentaux et français en particulier affirmaient sur un ton péremptoire que la Russie n’avait pas les moyens de se mesurer aux Occidentaux et que pour des raisons économiques, elle devra tôt ou tard baisser pavillon. Le sommet du G8 de Belfast en 2013 est encore dans toutes les mémoires. Vladimir Poutine avait résisté à la pression des sept autres membres et il n’avait pas cédé sur son soutien à la Syrie.
Cette guerre est une première lourde défaite pour les puissances occidentales, celles qui se sont auto-proclamées « la communauté internationale » depuis la fin de l’URSS. Avec le recul, nous verrons aussi que ce conflit marquera la naissance d’un monde multipolaire dans lequel le bloc occidental aura un adversaire face à lui. La guerre peut encore durer des années mais les vainqueurs sont connus. Connaissant le réalisme de Vladimir Poutine, il laissera une porte de sortie honorable aux perdants pour qu’ils ne perdent pas la face mais lui et ses alliés sont les incontestables gagnants de cette partie de géostratégie et il faut espérer que les Occidentaux retiendront la leçon et qu’ils hésiteront dorénavant à encore se lancer dans une pareille expérience de déstabilisation d’un pays souverain.
Les historiens devront se souvenir de l’étonnante déclaration de Roland Dumas en 2011 (*) avant de faire porter la responsabilité du conflit sur les épaules de Bachar al Assad et de maintenir le mythe d’un peuple opprimé qui se serait spontanément soulevé contre un régime honni. (*sur le plateau de Lcp « les Anglais préparaient l’invasion des rebelles en Syrie », et donc bien avant le début du conflit).
Plus récemment, il y a aussi le document de la BBC avec les révélations de l’ancien Premier ministre qatari Hamad bin Jassen al-Thani qui admet qu’il y a eu des interventions étrangères dès le début de la crise.
Pour terminer, il faut en finir avec le mythe du retrait du président Assad pour des raisons morales. Sa légitimité ne peut être remise en cause que par le peuple souverain lors d’élections équitables. L’ONU peut éventuellement les superviser pour garantir l’intégrité du processus électoral. Dans les circonstances actuelles, Bachar al-Assad a toutes les chances de largement l’emporter ce qui délégitimerait les rebelles armés et porterait à faux tous les pays qui les ont soutenus. C’est pour remédier à cela que les Occidentaux demandent le retrait du président Assad ou sa non-présentation aux prochaines élections. Les raisons morales évoquées ne sont que des arguties servant à éviter une lourde déconvenue lorsque le peuple souverain se sera exprimé.
Mondialisation, 30/12/2017