Il est tentant d’interpréter l’annonce, cette semaine, d’un report à l’année prochaine de la visite du vice-président américain Mike Pence au Moyen-Orient comme le signe que les voyageurs doivent éviter la région pour des raisons de sécurité. En effet l’annonce fait suite à une éruption de troubles provoqués par la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël par Donald Trump.
Lors des manifestations de vendredi dernier (22 décembre), les forces d’occupation israéliennes ont tué quatre Palestiniens et en ont blessé plus de 250.
En réalité, les responsables américains ne sont pas inquiets pour la sécurité de Pence. En fait, la crainte d’un troisième soulèvement palestinien en réponse à la déclaration de Trump sur Jérusalem est sans doute prématurée.
Après des décennies de partialité américaine flagrante envers Israël, Trump n’a fait que confirmer aux Palestiniens ce qu’ils savaient déjà. Certains ont même admis à contrecœur qu’au moins il était franc. Ils espèrent que sa décision mettra fin aux affirmations étasuniennes selon lesquelles les Etats-Unis seraient un « honnête intermédiaire » dans l’interminable « processus de paix » qui a, en fait, tout bonnement fait gagner du temps à Israël.
La colère des Palestiniens contre Israël et les États-Unis est un fusible qui met du temps à sauter. Elle explosera quand ils le décideront, pas quand Trump le voudra.
Le report de la visite du vice-président par Washington reflète plutôt l’instabilité de la nouvelle situation diplomatique dont la Maison-Blanche est responsable.
La visite de Pence avait pour but de faciliter la mise en place du plan de paix promis par Trump depuis longtemps et de prendre en considération la détresse des chrétiens au Moyen-Orient. Il vient de se prendre une fin de non-recevoir en travers de la figure sur les deux questions. Les responsables palestiniens et les dirigeants chrétiens en Palestine et en Égypte ont décidé de boycotter sa visite.
Au lieu d’annuler la visite de Pence ou d’exploiter le relatif calme actuel, et probablement transitoire, pour essayer de colmater les dégâts, l’administration Trump, telle un taureau enragé, a décidé de faire plus de casse.
Comme Pence ne pourra pas rencontrer les responsables palestiniens, son emploi du temps sera entièrement consacré à Israël. Suite au précédent incident diplomatique de son patron en mai, Pence se rendra au Mur des Lamentations dans la vieille ville occupée de Jérusalem, juste en-dessous de l’Esplanade de la mosquée Al Aqsa.
Sa visite a malgré tout été qualifiée d’« officielle », et non de privée. Et elle aura une portée symbolique dramatique du fait de la désignation de Jérusalem comme capitale d’Israël par Trump.
Pour ajouter l’insulte à l’injure, et en contradiction avec la promesse que Washington ne déterminerait pas les frontières d’une Jérusalem divisée avant la fin des pourparlers de paix, un haut fonctionnaire américain dont on ne connait pas le nom a donné à la visite de Pence un tour encore plus troublant. Il a fait remarquer qu’il n’y avait pas de scénario étasunien qui ne prévoyait pas que le mur occidental finisse entre les mains d’Israël.
Le changement de politique des États-Unis sur Jérusalem a porté un coup violent aux trois principaux piliers qui soutiennent la cause de l’État palestinien : l’Autorité palestinienne, l’Union européenne et les États arabes.
Le plus grand perdant est le président palestinien Mahmoud Abbas. Washington l’a dépouillé de ses vêtements d’empereur : il dirige maintenant un gouvernement palestinien en puissance qui n’aura probablement jamais d’État, viable ou pas.
Les États arabes, qui étaient censés être la clé de la stratégie « extérieure » si vantée, en créant un cadre régional pour la paix, ont été privés de la question qui leur tient le plus à cœur : Jérusalem.
L’Égypte s’est ruée à l’aide d’Abbas ce week-end en rédigeant une Résolution du Conseil de sécurité de l’ONU pour annuler le changement de statut de Jérusalem. Mais l’inévitable veto américain a rendu cette tentative inutile.
Et il est devenu clair que l’Europe, qui avait jusqu’ici endossé le rôle du « bon flic » face aux brutes étasuniennes, était en réalité la complice de son partenaire sans foi ni loi.
L’Europe se retrouve dans une impasse à cause de sa rhétorique sur le processus de paix. Elle a longtemps crié au loup, en alertant sur le fait qu’une solution à deux États ne serait bientôt plus possible, et que l’Occupation qui ne devait être que temporaire se transformerait en un apartheid permanent.
Maintenant que le cœur du futur État palestinien a été dévoré publiquement par le loup, que vont faire l’Europe et Abbas ?
Ils feront probablement comme si rien n’avait changé – ne serait-ce que par crainte de ce qui pourrait combler le vide si le processus de paix apparaissait à tous comme la mascarade qu’il est.
Mais c’est précisément l’illusion d’un processus de paix qui a maintenu les Palestiniens enchaînés. Le faux espoir d’un État ne profite pas aux Palestiniens ; il préserve un calme qui sert les intérêts d’Israël.
C’est pourquoi, la semaine dernière, la Maison-Blanche a accusé Abbas de refuser le dialogue. Mais seul un imbécile s’entête à faire appel aux bons sentiments d’une canaille sourde.
Il faut maintenant que l’AP, les Etats arabes et l’Europe entérinent la nouvelle réalité et mènent une politique indépendante des Etats-Unis.
Certains dirigeants palestiniens, comme Hanan Ashrawi, l‘ont déjà compris. La décision de Trump ouvre une nouvelle ère, a-t-elle dit la semaine dernière. « Il n’y a pas de retour en arrière. »
Les stratégies et les objectifs palestiniens doivent être réévalués. Néanmoins, les pressions en faveur d’un retour au business de la « paix » seront intenses.
Les Palestiniens ordinaires de Jérusalem pourraient être les premiers à montrer la nouvelle direction de la lutte, une lutte qui prenne en compte le fait que l’État palestinien est mort et enterré.
Ces dernières années, de plus en plus de personnes se sont mises à demander la citoyenneté israélienne, comme le leur permet la loi israélienne. Israël a fait toutes sortes de contorsions pour ne pas honorer son engagement, alors même qu’il appelle Jérusalem sa « capitale unifiée ». Mais il faut que les Palestiniens couvrent Israël de honte, les États-Unis et le monde qui les regarde, en adoptant les armes qui permettent de lutter contre l’apartheid, à savoir la résistance non-violente et la désobéissance civile, pour obtenir des droits égaux dans un seul État.
En ce moment, la rage palestinienne gronde sous la surface. Mais elle finira par éclater, et on prendra alors malheureusement toute la mesure des conséquences de la décision de Trump.
Universitaire et journaliste anglais, membre du Tribunal Russel, il vit à Nazareth
The National, 23 décembre 2017