Brahma Chellaney est professeur d’études stratégiques au Centre for Policy Research basé à New Delhi
Il est toujours bon de connaître l’opinion de l’un des autres « grands » de cette planète, l’Inde, même si l’analyse suivante critique la posture des Usa et de la Chine, en prenant la défense de l’ordre mondial issu de la deuxième guerre mondiale…
La Stratégie de « L’Amérique d’abord » de Trump et du « Chinese dream » de Xi reposent sur un principe commun : les deux plus grandes puissances mondiales peuvent agir dans leur propre intérêt en toute impunité. L’ordre mondial « G2 » qu’ils sont en train de créer n’est guère un ordre, c’est un piège pour le monde.
Le leader de la démocratie dans le monde, les États-Unis, tend de plus en plus à se conduire comme la plus grande et la plus ancienne autocratie du monde, la Chine. En poursuivant des politiques unilatérales agressives qui bafouent le large consensus mondial, le président Donald Trump justifie effectivement la défiance de longue date de son homologue chinois Xi Jinping envers le droit international, exacerbant ainsi de graves dangers pour les règles actuelles sur lesquelles reposent l’ordre mondial.
La Chine poursuit avec agressivité ses revendications territoriales en mer de Chine méridionale – y compris en militarisant des secteurs contestés et en repoussant ses frontières loin dans les eaux internationales – malgré une décision arbitrale internationale qui a refusé de les valider. En outre, le pays a utilisé l’arme du commerce transfrontalier comme instrument de coercition géo-économique contre les pays qui refusent de suivre sa ligne.
Les États-Unis ont souvent dénoncé ces actions. Mais, avec Trump, ces condamnations ont perdu toute crédibilité, non seulement parce qu’elles sont entrecoupées de louange pour Xi, que Trump désigne comme "formidable" et de « Grand Monsieur » En fait, le comportement de Trump a accru le sentiment de l’hypocrisie américaine, et pousse encore plus loin la Chine dans son révisionnisme territorial et maritime dans la région Indo Pacifique.
Certes, les États-Unis poursuivent depuis longtemps une politique étrangère unilatérale, illustrée par l’invasion en 2003 de Bush en Irak et ensuite en 2011, le renversement en Libye par Barack Obama du régime de Mouammar el-Kadhafi. Bien que Trump n’ait pas (encore) renversé de régime, il a adopté une démarche unilatérale autoritaire en plusieurs étapes, en menant une attaque sur plusieurs fronts contre l’ordre international.
Presque immédiatement à son arrivée à la maison blanche, Trump a retiré les Etats-Unis du Partenariat transpacifique (TPP), un ambitieux projet d’échanges commerciaux et d’investissements, négocié par Obama entre 12 pays. Peu de temps après, Trump a rejeté l’accord Climat de Paris, qui vise à maintenir les températures mondiales « bien au-dessous de 2% C. », un retour aux niveaux pré industriels, faisant des Etats-Unis le seul pays refusant participer à cet effort.
Plus récemment, Trump a transféré l’ambassade des Etats-Unis en Israël, de Tel-Aviv à Jérusalem, contre un large consensus international concernant le statut de la ville et dont le règlement du conflit israélo-palestinien est à discuter dans le cadre des plus larges négociations. Quand l’ambassade s’est ouverte, des résidents palestiniens de Gaza ont exprimé leur refus exigeant que les réfugiés palestiniens puissent revenir sur leurs terres occupées par Israël, des soldats israéliens ont tué au moins 62 manifestants et blessé plus de 1.500 autres sur la clôture faisant office de frontière.
Trump n’a aucunement assumé aucune responsabilité pour ces pertes humaines, ni celle de la destruction du rôle traditionnel de l’Amérique comme médiateur du conflit israélo-palestinien. Ni l’ouverture d’une instabilité dans le monde et d’un conflit possible, en se retirant de l’accord de 2015 sur le nucléaire iranien, alors que l’Iran est en pleine conformité avec ses dispositions.
L’assaut de Trump sur les règles de l’ordre mondial s’étend également au commerce. Tandis que Trump fait un clin d’œil à la Chine tout en la mettant en garde et lui promettant de taxer les importations chinoises entrant aux Etats-Unis, il a tenté de faire de même avec ses alliés comme le Japon, l’Inde et la Corée du Sud, même si leur excédent combiné avec les Etats-Unis – 95,6 milliards $ en 2017 – s’élève à environ un quart de celui avec la Chine.
Trump a forcé la Corée du sud à accepter un nouvel accord d’échanges commerciaux et a cherché à bloquer les importations industrielles et de matériels informatiques venant de l’Inde – pour une valeur de 150 milliards $ par an – en imposant une politique de visas restrictive. En ce qui concerne le Japon, le mois dernier Trump a forcé le premier ministre japonais Shinzo Abe, réticent, à accepter un nouveau cadre commercial, prélude à de nouvelles négociations sur un accord de libre-échange bilatéral.
Le Japon préfère que les Etats-Unis rejoignent le PPT sur des bases Japonaises, ce qui garantirait une plus grande libéralisation du commerce global, plus équitable qu’un accord bilatéral que les Etats-Unis essaieront d’orienter en leur propre faveur. Trump, qui a également lancé la bataille des tarifs de l’acier et de l’aluminium avec le Japon, l’Union européenne et le Canada – montre qu’il ne tient pas compte de ses alliés.
Abe, d’autre part, a «enduré les surprises et les claques répétées » de Trump. Et il n’est pas le seul. Comme le président du conseil européen, Donald Tusk l’a exprimé récemment « avec des amis comme [Trump], nous n’avons pas besoin d’ennemis. »
Les tactiques commerciales de Trump, visant à endiguer le déclin économique relatif de l’Amérique, reflètent le même mercantilisme musclé que la Chine utilise pour devenir riche et puissante.
Les deux pays vont maintenant non seulement saper activement le système commercial fondé sur des règles ; ils semblent vouloir prouver que, si un pays est assez puissant, il peut bafouer en toute impunité les règles et les normes partagées. Dans le monde d’aujourd'hui, semble-t-il, la force respecte seulement la force.
Cette dynamique permet de comprendre la conception unitéraliste de Trump et de Xi et comment ils réagissent chacun par rapport à l’autre.
Lorsque les États-Unis déploient leur système de défense « Terminal High Altitude Area » en Corée du Sud, La Chine utilise des mesures de rétorsion économique contre la Corée du Sud, mais pas contre l’Amérique.
Après que Trump ait signé l’acte sur les échanges touristiques avec Taïwan, qui encourage les visites officielles entre l’île et les Etats-Unis, la Chine a mis en scène des manœuvres militaires contre Taïwan et soudoyé la République dominicaine pour qu’elle rompe ses liens diplomatiques avec le gouvernement taïwanais. Les États-Unis, n’ont pris aucune mesure contre la Chine.
Trump, alors qu’il a pressé la Chine de changer ses politiques commerciales, a offert à Xi un passage dans la mer de Chine du Sud, en ne prenant que des mesures symboliques – comme la liberté de navigation - contre l’expansionnisme chinois.
Il est également resté silencieux en mars, quand les menaces militaires chinoises ont forcé le Vietnam à stopper le forage de pétrole qui se trouve dans sa propre zone économique exclusive. Et il a choisi de rester neutre l’été dernier, lorsque la construction de routes de la Chine sur le plateau de Doklam a été contestée et a déclenché une confrontation militaire avec l’Inde.
«L’Amérique d’abord » de Trump et la stratégie de Xi du « rêve chinois» reposent sur un principe commun : les deux plus grandes puissances mondiales ont toute latitude pour agir dans leur propre intérêt. L’ordre mondial « G2 » qu’ils créent est donc difficilement un ordre mondial concernant la planète. C’est un piège, dans lequel les pays sont contraints de choisir entre un leadership américain imprévisible dirigé par Trump et une Chine ambitieuse et prédatrice.
New Delhi, 22 mai 2018
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