Le dernier avatar en Italie d’un système d’alliances entre résidus du Pci, de la Social-démocratie et du centre gauche, c’est une « nouvelle scission », cette fois au sein de Potere al popolo. A peine né en décembre 2017, Potere al popolo éclate.
Une particularité de cette gauche italienne très mouvementiste ? Sans doute. Une lente et inéluctable disparition du projet socialiste ? Sûrement. La fin des « idéaux » construits au cours du développement des révolutions passées et du mouvement ouvrier ? Nous pouvons le penser à voir la hargne avec laquelle les droites populistes ou radicales s’imposent de plus en plus dans le paysage politique européen, et en Italie en l’absence de forces capables non seulement de résister mais surtout de proposer un programme unitaire refondant le socialisme.
Cette scission est intervenue entre les activistes promoteurs napolitains de Potere al popolo : “Je so’ pazzo”, créé dans la tradition du Mai rampant (1969) et des centres sociaux autogérés et le parti de la Refondation communiste (Rifondazione communista). Mars 2018, avait déjà vu le départ de quelques confettis du Pci qui avaient participé à l’assemblée de fondation fin 2017 de Potere al popolo ; une assemblée de quelques 800 participants dont des associations, des centres sociaux autogérés, des partis comme Rifondazione communista, des épigones du Pci et des militants de Sinistra Anticapitalista, (clone du Npa Français). Notons que la France insoumise avait assez rapidement adoubé Potere al popolo.
Potere al popolo avait décidé de participer aux élections législatives de 2018, une campagne qui devait rassembler toutes les forces à la « gauche de la gauche » (du Pd) sur une même liste, celle du « peuple ». La campagne a fait flop : 1,13% des votes pour la Chambre des députés et 1,05% per le Sénat, résultats qui sont certainement à l’origine de cette scission.
L’espoir d’un regroupement politique unitaire a été tué dans l’œuf. Mais telle Pénélope qui ne cesse de remettre son ouvrage sur le métier, il n’est pas impossible que de cette nouvelle scission naisse un nouveau groupe politique, car c’est dans la tradition italienne et ce depuis 1921, comme le décrit l’article d’Irene Cosul Cuffaro (journaliste free-lance, oct .2018), marqué par une ironie amère, dont nous avons gardé la trame tout en le complétant pour le rendre intelligible à un lecteur Français peu au courant de la vie politique italienne. Ou comment la gauche italienne s’est elle-même suicidée.
“Tout est parti de Gênes en 1892 quand le Parti des travailleurs italiens a été fondé pour devenir l’année suivante, le Parti socialiste des travailleurs italiens et prendre en 1895 le nom définitif de Parti socialiste italien, PSI. En 1921, c’est la rupture historique : le XVIIe Congrès du parti donne naissance au Parti communiste italien, le PCI.les 21 conditions d’adhésion à l’internationale bolchévique (la 3ème internationale fondée en 1919 à Moscou), ont créé en 1920 la scission dans tous les partis socialistes et donnèrent naissance aux partis communistes dont les fondateurs pour l’Italie sont Antonio Gramsci, Amadeo Bordiga, Palmiro Togliatti, regroupés autour du quotidien l'Ordine Nuovo. Une direction avec des débats importants et parfois vigoureux, qui se sont traduits entre par l’exclusion de Bordiga de l’internationale communiste étant opposé à la ligne de Staline. Togliatti après l’intervention socviétique de 1956 en Hongrie proclama le « chemin national vers le socialisme ». Gramsci, théoricien du « bloc historique » a été prisonnier de Mussolini de 1927 à sa mort en 1937.
[Période du fascisme entre 1992/1943, puis d’une résistance organisée contre le gouvernement Badoglio 1943/1944, contre les forces fascistes de la République de Salo sous protection allemande, dirigée par Mussolini 1943/1945, contre les forces allemandes elles-mêmes, jusqu’à la victoire des alliés]
En 1947, SaragatSaragat, résistant, élu président de l’Assemblée constituante en 1946. quitte les socialistes (alors alliés aux communistes) et fonde le Psdi (Parti socialiste démocratique Italien). Plus tard le Psdi éclate en 1964, avec le départ de Vecchietticréation remettant en cause la politique d’alliance avec le Pci, suite à la répression brutale de la révolution hongroise de 1956 par l’Urss. qui donne naissance au Psiup (Parti socialiste italien d’unité prolétarienne).
En 1972, les Communistes perdent un allié avec le départ de Vittorio Foa vers le Pdup [issu de la fusion du Nouveau Psiup et d’Alternative Socialista.] Il est ensuite membre du Parti d'unité prolétarienne pour le communisme, PuPc, né de la fusion du PduP et du groupe « Il Manifesto » (Rossana Rossenda) exclu du Pci pour avoir condamné l’invasion de la Tchécoslovaquie n 1968 et flirter avec un maoïsme légèrement édulcoré. En 1978, Foa rejoint Démocratie prolétarienne, dont il demeure membre jusqu'en 198, il meurt en 2008.
Dans les années 1980, le Pci est en crise. Berlinguer meurt en 1984, un dirigeant historique qui a conduit son parti à des sommets d’influence électorale et une force militante jamais atteints en Europe. Le réformisme incarné par Gorbatchev domine en Union soviétique. Or le PSI, et non le Pci, remporte la présidence du Conseil en 1983.
L’Union soviétique s’effondre en 1991. La même année le PCI éclate, avec le tournant en novembre 1989 (dit « la svolta della bolognina ») conduite par Ochietto alors secrétaire du PCI, pour se transformer en Parti démocrate de gauche (Pds - 1991/1998) où va se retrouver la majorité des « réformistes » qui se « tournent » vers les principes du socialisme démocratique. La minorité donne naissance au groupe de Parti de la Refondation communiste, Prc, avec Cossutta a) Cossutta, lui aussi ancien résistant communiste, il a notamment, à partir des années 70, revendiqué et incarné un positionnement prosoviétique face à la mutation eurocommuniste engagée par le secrétaire général Enrico Berlinguer. Il a défendu à la fois l’idée de la permanence de fécondité de la Révolution d’Octobre et la nécessité d’un soutien indéfectible à l’URSS. Après 1990 et l’abandon, sous le secrétariat général d’Achille Ochetto, du nom et des symboles du parti, Armando Cossutta fut de ceux qui refusèrent cette rupture historique. Il participa à la création du Parti de la refondation communiste (PRC) avec des groupes trotskystes et mouvementistes. En 1998, il rompt avec le Prc quand la direction de celui-ci décide de suspendre son soutien au gouvernement social-libéral de Prodi. Cossuta, avec ceux qui veulent continuer à soutenir Prodi, refonde alors le Parti des communistes italiens, Pdci, a priori plus homogène et communiste que le Prc. et Bertinotti.b) Bertinotti. Militant communiste aux côtés d’Ingrao, dirigeant de la section la plus à gauche du Pci il s’est opposé à la dissolution du PCI, Bertinotti milite un temps au sein du Parti démocrate de la gauche (Pds) successeur du parti communiste historique. Il le quitte en 1993 pour adhérer au Parti de la refondation communiste (Prc). Devenu rapidement une figure charismatique de la formation, il prend le secrétariat du parti en janvier 1994 et assume son désaccord avec la doctrine réformiste du Pds. Quelques semaines plus tard, en mars, il fait son entrée à la Chambre des députés qu’il quitte en 2008.
En 1995, à l’occasion du vote de confiance pour le gouvernement technique de Dini, le groupe parlementaire de Refondation communiste, se déchire à son tour : 14 députés votent la confiance et accouchent d’une nouvelle formation : Les Communistes unitaires.
Après « Tangentopoli » (période l’opération Mani pulite, Mains propres), le Psi se transforme en Socialistes Italiens avec Boselli, et en Parti socialiste réformiste de Manca et Cicchitto. Ce dernier fait cause commune avec Berlusconi, mais en 1998 il réintègre les Socalistes Italiens qui entre-temps sont devenus SDI (socialistes et démocrates italiens).
La même année D’AlemaD’Alema, ex-membre du Pci, et ancien président du Conseil des ministres d'Italie de 1998 à 2000 est devenu membre du mouvement « Article 1er » - Mouvement démocrate et progressiste (MDP), issu d’une scission du Pd en 2017 qui refusa le projet de révision réductrice de la constitution par Renzi - Premier responsable politique issu de l'ex-Parti communiste italien à accéder à la présidence du Conseil, il dirigea deux exécutifs de centre-gauche durant la XIIIe législature mais est contraint à la démission après la défaite de sa coalition aux élections régionales de 2000. Six ans plus tard, il est nommé vice-président du Conseil et ministre des Affaires étrangères dans le second gouvernement de Romano Prodi ; il dirige la diplomatie italienne jusqu'en 2008, lorsque la défaite de la gauche aux élections générales l'amène à siéger dans l'opposition. Hostile à la personnalité et à la ligne politique de Matteo Renzi, il quitte le Parti démocrate, qu'il a contribué à fonder, pour rejoindre le MDP. remise définitivement le drapeau rouge, et le Pds (Parti démocrate de gauche) devient simplement Ds, (Démocrates de Gauche) sans faucille ni marteau.La mode du bipartisme américain et des « premières » dans le parti pour désigner le candidat à la présidentielle (adopté ensuite par le Ps français) est devenu une référence.
Dans le même temps Bertinotti (Prc) refuse de soutenir le gouvernement ProdiProdi, Président de la commission européenne de1999 à 2004, président du comité national du Pd, fondateur de l’Ulivo, un rassemblement de centre gauche qui a gouverné l’Italie entre 1996 et 2001, puis en 2006/2008, de culture sociale-démocrate, catho-démocrate, libérale démocrate, environnementaliste et européiste., mais Diliberto de la même direction du Prc dit adieu à Refondation communiste pour créer le parti des communistes Italiens, Pdci.
Le centre n’échappe pas à la règle, le Nouveau Parti socialiste italien voit le jour, alors qu’en 2005, les Socialistes Démocrates Italiens, SDI, s’allient avec les radicaux, donnant vie à « la rose au poing », qui va faire naufrage en 2007. [Laïque, socialiste, libérale et radicale]
Autre scission en 2006 au sein de Refondation : le départ de Marco Ferrando pour fonder le parti des travailleurs communistes. [Courant trotskyste pour la refondation de la 4ème internationale]
Le Parti démocrate, Pd, [glissant vers un centre gauche pro-européiste dont les derniers dirigeants, Enrico Letta qui vient de « La Margherita », et Renzi des « comités pour l’élection de Prodi », sont responsables de la crise de représentativité qu’il traverse actuellement], est porté en 2007sur les fonts baptismaux par les centristes de La Margherita de Rutelli, les Républicains européens, des militants de la démocratie chrétienne et des communistes.
Mussi et Salvi (ex-dirigeants du Pci), s’opposent au projet du Pd, en fondant Sinistra Democratica (une gauche démocratique qui avait pour vocation de réunir tous les parlementaires de gauche et s’affilier au groupe socialiste européen).
Nichi Vendola (ex militant des jeunes communistes) sort du Prc pour donner vie à « Sinistra Ecologia e Liberta » (gauche, écologie, liberté). [Une formation issue du regroupement de plusieurs petites structures militantes à sensibilité écolo, de de certains Verts, d’anti-nucléaire, etc.]
Le Parti des communistes italiens (Pdci) perd en 2009 l’un de ses fondateurs, Rizzo, qui donne forme aux « Communistes de la gauche populaire », un retour plus strict aux principes du marxisme léninisme. [Qui se transforme en 2012 en "Communistes de la gauche populaire - Parti Communiste", et en 2014 simplement « parti communiste »].
En 2011, le Parti démocrate voit partir Rutelli pour fonder l’Api [un parti de centre droit allié à Bayrou au parlement européen].
En 2014 Sel est touché par une rupture avec un groupe, Led, qu’il va retrouver en 2015 dans la Sinistra italiana, la Gauche italienne de Stefano Fassina [une scission du parti démocrate contre la politique libérale de Matteo Renzi].
De même qu’en 2015 Civati abandonne le Parti démocrate pour former Possible (Pour une alternative libérale possible).
En 2016, ce qui reste du Prc perd des militants qui vont adhérer au Parti des communistes italiens devenu par la suite le Parti communiste italien, dirigé par Mauro Alboresi| [Pci que l’on retrouvera en 2017 à la création de Potere al popolo].
2017 voit également la création de Liberi e Uguali, Libres et égaux, formation lancée par Pietro GrassoLiberi e Uguali (Libres et égaux) un parti de gauche fondé en décembre 2017 par Pietro Grassi sur une alliance entre le groupe « article 1er, la Sinistra italiana et Possibile. Grassi, un magistrat qui s’était fait connaître pour sa lutte sans faille contre la mafia (ex-chef de la direction nationale anti-mafia), avait été désigné par la direction nationale du Pd en 2013 tête de liste des candidats au Sénat, sans y avoir milité. Elu de la région du Lazio (Rome), il fut en même temps porté à la présidence du Sénat., et Sel rejoindre Sinistra italiana, gauche italienne, devenu un parti sous la direction de Frantoianni.
En Décembre de cette même année, voilà Potere al popolo, pouvoir au peuple, qui débute sous forme de liste pour les élections législatives de mars 2018, non pas un parti mais, une association voulant rassembler le plus largement possible.
Ne désespérez pas, des électeurs de gauche, il en restera toujours quelques-uns. Sans aucun doute un nouveau parti surgira, ou un courant, ou un mouvement (s’il n’est déjà créé).
Et il y aura une nouvelle fracture dans cette galaxie déjà bien remplie. La référence culturelle qui l’inspirera est finalement à la portée de tous : plus jamais Marx, Lénine, Che Guevara, Togliatti ou Berlinguer, la gauche italienne pourra se faire représenter facilement par Tafazzi (un comique Italien). »
Il est vrai que déroulée ainsi et bien que partiellement ! la vie politique italienne a de quoi donner le tournis et l’on peut s’y perdre. Actuellement une trentaine de groupes ont une certaine visibilité de “gauche”. Mais il existe d’autres groupes, au niveau national, régional, communal etc. C’est peut-être une preuve de grande démocratie, mais aussi finalement de faiblesse.
En Italie il faut toujours distinguer entre théâtre et réalité. Il faut comprendre qu’au-delà des querelles de personnes et des projets individuels de carrière politique, chaque rupture à gauche est marquée en réalité par le débat « Réforme ou Révolution » qui traversa et continue de traverser tout le mouvement socialiste européen, depuis son origine. Par des divergences d’analyses sur l’échec de la Révolution russe, le projet communiste, la question « Que faire ?». Malgré une critique du stalinisme qui a été plus importante en Italie qu’en France en présence d’un mouvement d’inspiration maoïste qui n’est pas à négliger, dans une société dont le fond reste anarcho-mouvementiste.
Le “compromis historique” de Berlinguer (1922/1984) devait ouvrir au Pci la voie du pouvoir. En analysant l’échec de la révolution chilienne de Salvador Allende et relisant Gramsci, il a conçu une stratégie italienne vers le pouvoir. Mais sans programme socialiste unitaire, ni alliances avec le centre radical, les démocrates et les socialistes, serait vouée à l’échec et pourrait conduire à une contre révolution féroce.Par la suite cette démarche s’est concrétisée au niveau européen la création de l’ « eurocommunisme » : le Pcf de Georges Marchais, et Santiago Carrillo du Pce, un courant qui se voulait non aligné sur l’Urss et trouver ses propres voies vers le socialisme).
Il ne faut pas oublier le contexte de l’époque, les “intrigues” de l’”ami américain” présents sur le sol italien avec ses bases de l’Otan, qui dans les années 1960/1970 a perturbé dangereusement la vie politique italienne avec des tentatives de putsch (1969), des complots : la loge « P2 », le groupe « Il gladio », ou les « années de plomb », l’activation de groupes fascistes et autres, la mort d’Aldo Moro, etc. L’Italie était en Europe un point central dans l’affrontement de la guerre “froide” entre Moscou et Washington.
Il ne pouvait estimer, en ces temps de tensions extrêmes, l’évolution consumériste individualiste de la société italienne, les aléas d’une construction néo-libérale de l’Europe, la puissance de la finance et la féroce destruction des acquis du mouvement ouvrier, et la chute du bloc soviétique. Ni que ses camarades du Pci allaient dévoyer son concept de “compromis historique” par un renoncement et un alignement sur les intérêts de la bourgeoisie.
Résultat : une « gauche » nombriliste tellement morcelée qu’elle s’est révélée impuissante à comprendre ce qui se passait, et pourquoi elle a laissé le terrain libre à cette nouvelle formation hétéroclite « vert-jaune ».
Une Lega, qui perd sa culture régionaliste-folkloriste pour un virage vers une droite autoritaire, qui a profité du pacte avec un Berlusconi, discrédité par ses nombreux démêlés avec la justice, pour se renforcer
Un M5s, élu par 31,2% de citoyens aux élections de 2018, de jeunes venant en partie de la « gauche », désireux de « mettre de l’ordre dans l’Etat », prônant la démocratie citoyenne par l’utilisation de l’internet, la résistance à l’austérité, et un revenu de base universel, qui avait été abordé par Renzi pour faire liste commune mais ce dernier a reculé devant la bronca de ses militants de base (pour beaucoup issus d’une partie de la petite et moyenne bourgeoisie « progressiste » du Nord).
Un gouvernement qui assure résister contre la politique d’austérité de l’UE et semble vouloir le clash en préparant un budget à hauteur de 2,4%, mais en-dessous du seuil fatidique des 3%. L’attitude de la Commission européenne et de Moscovici en particulier est terrible. En rejetant et s’acharnant sur le budget italien, elle renforce l’assise majoritaire de ceux qu’elle méprise. Or l’Italie n’est pas la Grèce. Elle le sait bien. Elle a de quoi discuter...
Quel ordre ? La question est posée.
La Première République a vu mourir l’affrontement entre la Démocratie chrétienne et le Pci. La Deuxième République voulait se refaire une santé en participant activement à la construction de l’UE et d’une Italie « vertueuse » par l’élimination plus ou moins réelle de Berlusconi grâce à un Parti démocrate réformiste puis un Renzi qui a fini par faire table rase de l’Histoire politique et sociale du pays. Or il semble maintenant qu’une troisième République pointe, dont les contours sont imprécis et peut-être inquiétants.
Si “la gauche italienne” veut entamer une nouvelle vie, elle doit se présenter comme une force unitaire à l’écoute des citoyens, capable de résister aux forces de l’impérialisme du capital et de proposer une critique constructive du passé et l’unité autour d’un nouveau projet socialiste défini démocratiquement.
Octobre 2018