Xi Jinping, continuateur des réformes de Deng Xiaoping
HONG KONG. Dans un discours qui marque le quarantième anniversaire des réformes Deng Xiaoping, le Président chinois Xi Jinping s’est engagé à poursuivre les réformes économiques.
L’anniversaire intervient alors que le pays est touché par un ralentissement de l’économie et les effets de la guerre commerciale avec les États-Unis. Aucune initiative politique nouvelle n’a été annoncée au cours de ce discours. Au lieu de cela, Xi a réitéré l’importance du renforcement de la direction du parti communiste et poussé vers la libéralisation des marchés : « Chaque étape dans le cadre de la réforme et de l’ouverture n’est pas facile et nous ferons face à toutes sortes de risques et défis, même certains incroyables », et ajouté que le parti mènera les réformes dans la bonne direction.
Alors que Xi s’est engagé à aller de l’avant avec sa réforme, Tom Rafferty, directeur régional pour la Chine de « The Economist Intelligence Unit », a dit qu'il y aura un « sentiment de déception » parmi les investisseurs après ce discours. « Xi n’a pas donné de signaux plus clairs sur l’orientation de la future réforme économique alors que l’engagement du gouvernement chinois pour la libéralisation des marchés apparaît moins évident. ».
XI a approuvé le programme de réformes lancées par Deng, le qualifiant de « grand tournant » dans l’histoire moderne de la Chine moderne aussi important que la fondation du parti communiste en 1921 et de la République populaire de Chine en 1949.
XI a également vanté les réalisations économiques de la Chine au cours de ces 40 dernières années, faisant remarquer que la part de la Chine dans l’économie mondiale était passé de 1,8 % à 15,2 %, et qu’elle avait atteint une croissance annuelle de 9,5 %, beaucoup plus que la moyenne mondiale. « Nous sommes très fiers du miracle que le peuple chinois a réalisé », a-t-il déclaré.
La Chine est désormais la deuxième économie mondiale et plus de 740 millions de ses citoyens sont sortis de la pauvreté, selon les médias de l’Etat. XI est allé un peu plus loin dans son discours, disant que le pays avait éliminé en grande partie l’extrême pauvreté. « Le supplice de la faim, le manque de vêtements et les difficultés dans la vie contre lesquels notre peuple a lutté pendant des milliers d’années ont largement disparu pour de bon. »
Avec une Chine, enfermée dans une âpre guerre commerciale avec les Etats-Unis, Xi a réitéré le soutien de Pékin pour un système commercial multilatéral plus inclusif et ouvert. « L’ouverture doit conduire au progrès ; la fermeture provoque le retard, », a-t-il dit, ajoutant que le monde a besoin de la Chine pour sa prospérité.
Pour atteindre le « socialisme aux caractéristiques chinoises », Xi a dit que le pays a besoin de tracer sa propre voie sous la direction absolue du parti communiste. « Il n’y a pas un manuel consacré règle d’or, il n’y a pas d’enseignants arrogants qui soient capables d’instruire le peuple chinois sur ce qu’il faut faire., ». « En plus de se développer sur le plan économique, la Chine a également pour objectif de bâtir une armée d’importance mondiale qui « correspond à son statut international ». Toutefois, Xi affirme que la Chine « ne cherchera jamais l’hégémonie ».
Le programme de réformes économiques de la Chine a été adopté en 1978 par l’ancien dirigeant Deng Xiaoping lors d’une réunion du Comité Central du parti communiste après qu’il ait eu visité un certain nombre d’usines japonaises. Deng a voulu ouvrir le vaste marché intérieur de la Chine aux investissements étrangers et mettre fin aux années de stagnation économique qui ont suivi la désastreuse révolution culturelle et le grand bond en avant.
Nikki Sun, Nikkei asian revew, 18 décembre 2018
Chine : « Une stratégie erronée » : un regard critique sur l’initiative de « la route de la soie de Chine » et son environnement économique « la ceinture »
Par Prof Martin Hart-Landsberg - Professeur d’économie à Lewis et Clark College, Portland, Oregon, c’est un expert en économie politique asiatique
Le rythme de croissance de la Chine reste impressionnant, malgré un certain déclin. Les réalisations économiques continues de ce pays doivent beaucoup à :
1) la capacité considérable de l’État chinois à diriger l’activité des entreprises et des secteurs critiques comme la finance,
2) son engagement pour des politiques d’expansion économique,
3) la flexibilité de la stratégie économique. Il semble que les dirigeants chinois considèrent leur nouvelle initiative comme la clé de l’avenir de la vitalité économique du pays. Malgré cela, il y a des raisons de croire que cette stratégie est clairement insuffisante, si l’on se place du côté des travailleurs, y compris ceux de la Chine, et qu’ils vont en payer un prix élevé en raison de ses défauts.
Cette stratégie réduit la croissance de la Chine
La Chine a connu une croissance rapide durant les années 1980, 1990 et 2000 de plus en plus alimentée par l’intégration du pays dans des réseaux de production et d’investissement régionaux et transfrontaliers.
En 2002, la Chine allait devenir le plus grand bénéficiaire du monde des investissements étrangers directs et en 2009 elle a dépassé l’Allemagne pour devenir le plus grand exportateur au monde. Il n’est pas étonnant que la grande récession et la baisse du commerce mondial qui a suivi pose un sérieux défi à la stratégie de croissance du pays axée sur l’exportation.
La réponse du gouvernement pour contrer les effets de la diminution de la demande extérieure a été de mettre en place un important programme d’investissements financés par une création massive de monnaie et un faible taux d’intérêt. L’investissement en pourcentage du PIB a atteint un niveau record de 48 pour cent en décembre 2011 et il s’est maintenu à un niveau de plus de 44 pour cent du PIB.
Mais, malgré les efforts du gouvernement, la croissance a diminué progressivement. De 10,6 % en 2010 elle passe à 6,7 % en 2016, avant d’enregistrer une hausse de 6,9 % en 2017. Les prévisions actuelles annoncent une nouvelle baisse pour 2018.
Dès 2012, le gouvernement chinois a commencé à promouvoir l’idée d’une « nouvelle norme », centrée autour d’un taux de croissance de 6,5 %. Le gouvernement a fait valoir que les avantages de ce nouveau taux standard de croissance offriraient une plus grande stabilité et un processus de croissance du marché intérieur qui profiterait aux travailleurs chinois.
Toutefois et contrairement à cette rhétorique, l’Etat continue de poursuivre un taux de croissance élevé pour soutenir un boom du secteur du bâtiment grâce à une politique d’expansion urbaine. De nouvelles routes, des aéroports, des centres commerciaux et des complexes de logements ont été construits.
Comme on pouvait s’y attendre, ce grand élan de construction, cet excès d’installations et d’infrastructures a été mis en évidence avec un nombre croissant de villes « fantômes ». Selon le South China Morning Post:
« Six des gratte-ciels qui surplombent un immense lac artificiel étaient autrefois l’illustration superbe des ambitions de la ville de transformer le désert au bord de l’Ordos, en Mongolie intérieure, avec un complexe résidentiel et commercial rutilant pour assurer sa prospérité future.
À midi, lors d’une froide journée d’hiver, la réalité semblait quelque peu différente. Je n’ai vu qu’une poignée de personnes entrer ou sortir des bâtiments, avec quasiment aucune trace d’activité dans les gratte-ciels de 42 étages.
Le complexe a ouvert cinq ans auparavant, mais seulement trois de ses bâtiments ont été vendus à la mairie et l’autre est occupé par son promoteur, une banque et une compagnie du secteur de l’énergie. Les deux autres sont vides – les portes sont bloquées et la poussière, s’est amassée sur le sol.
Ordos, n’est que l’un des projets d’urbanisation de la Chine. La nation a utilisé plus de ciment dans les trois ans de 2011 à 2013 que n’en ont utilisé les Etats-Unis pendant tout le XXe siècle.
Vous pouvez trouver des villes vides en Chine, vide le quartier des affaires Yujiapu de Binhai, (sous administration de Tianjin), vide le district administratif Chenggong ( de Kunming, capitale du Yunnan) et Yingkou, ville de la province de Liaoning, (Manchourie). »
Ce boom dans le bâtiment a été financé par une augmentation rapide de la dette, créant des problèmes de remboursements. En particulier l’endettement des sociétés a augmenté mais les dettes nationales et des gouvernements locaux ont aussi augmenté considérablement.
Cette explosion de l’immobilier a également amené plusieurs industries à augmenter considérablement leur production, se traduisant par de graves problèmes de surcapacité. Comme le souligne le chercheur Xin Zhang:
« Au cours de la dernière décennie, des universitaires et des fonctionnaires du gouvernement se sont accordés sur le fait que les neuf industries traditionnelles de la Chine sont les plus gravement exposées à des problèmes de surcapacité : acier, ciment, verre, aluminium électrolytique, charbon, construction de navires, énergie solaire, éolienne et pétrochimie. Tous ces neuf secteurs sont liés à l’énergie, la construction des infrastructures et le développement de l’immobilier, et mettent en évidence la nature d’une économie fortement tributaire d’investissements. »
Comme prévu, cette situation a également conduit à une diminution significative des taux de rendement dans l’ensemble de l’économie. Selon Xin Zhang :
« Malgré quelques bons résultats en termes de croissance globale, le taux de profit de l’économie chinoise a commencé à décliner assez fortement. Bien que les résultats varient selon les différentes méthodes d’estimation, la recherche à l’intérieur ou à l’extérieur de la Chine montre une tendance récente à la baisse. Par exemple, deux économistes montrent que tout au long des années 1980 et durant la première moitié des années 90, le taux de rendement de l’économie chinoise était resté relativement stable autour d’un 0,22, ce qui est beaucoup plus élevé que celui des États-Unis. Cependant, depuis le milieu des années 90, le taux de profit a connu plusieurs variations tant à la hausse qu’à la baisse, jusqu'à chuter de près de 0,14 en 2013. Depuis lors, toutefois, la rente du capital de l’économie chinoise a diminué, créant une surabondance de capitaux ».
En d’autres termes, il devenait de plus en plus improbable que l’État chinois puisse stabiliser une croissance stable en poursuivant sa stratégie actuelle. En fait, il semble que beaucoup de Chinois fortunés aient décidé que c’était le moment de mettre leur argent hors du pays. Un article paru dans China Economic Review souligne cet événement :
« A partir de 2015, le spectre de la fuite des capitaux a tourmenté l’économie chinoise. Cette année-là, face à la menace d’une dévaluation de la monnaie et une campagne agressive contre la corruption, les investisseurs et les épargnants ont commencé à sortir leurs richesses de la Chine. La fuite a été si importante que la Banque centrale a été obligée de dépenser plus de 1 milliard de dollars de ses réserves en devises, pour défendre le taux de change.
Le gouvernement chinois a été finalement en mesure de contenir les flux de capitaux qui s’expatriaient, en imposant de stricts contrôles sur les mouvements de capitaux, et la balance des paiements, le taux de change et les mouvements sur les devises se sont stabilisés. Mais le barrage le plus volumineux ne peut arrêter la pluie ; seulement empêcher l’eau de couler vers le bas. Il y a maintenant plusieurs signes qui alertent sur le fait que les circonstances ayant conduit à la première vague massive de la fuite des capitaux réapparaissent. La force du contrôle de capitaux chinois pourrait bientôt être de nouveau mise à l’épreuve. »
Les dirigeants chinois ne sont pas aveugles aux difficultés économiques croissantes. Les limites d’un développement du bâtiment en interne étaient visibles, comme le danger de bâtiments et d’usines inutilisés, et la surcapacité dans les secteurs clés qui pourraient déclencher une défaillance généralisée des emprunteurs et menacer la stabilité du secteur financier. Ils craignent aussi une reprise de l’activisme des travailleurs en difficulté, aux bas salaires et aux conditions de travail dangereuses.
Malgré le soutien à la « nouvelle norme » pour une croissance plus lente mais acceptable par les travailleurs et plus orientée sur l’activité économique et le marché interne, la direction du parti semble aller vers une autre stratégie pour maintenir la croissance actuelle et la propager au-delà des frontières chinoises : l’initiative de « la ceinture et la route de la soie ».
L’initiative de la « ceinture et de la route de la soie » (ICR)
XI Jinping a été élu Président de l’Assemblée de Chine populaire en 2013. Peu de temps après sa nomination, il a annoncé son soutien à ce qui pourrait-être le plus grand projet économique du monde : « l’initiative de la ceinture et de la route de la soie ». Cependant, ce n’est qu’en 2015, après des discussions entre plusieurs commissions et ministères, que le plan a été publié et que l’Etat s’est résolument lancé.
Le but initial de l’ICR était de créer des liens entre la Chine et plus de 70 pays en Afrique, Asie, Europe et Océanie. L’approche initiale de l’ICR se décompose en deux parties : la « ceinture », l’ancienne route de la soie et son environnement économique ; la « route », qui n’est effectivement pas une route mais une série de ports, un ensemble de routes maritimes, ferroviaires, terrestres, énergétiques à travers le monde. L’initiative a été rendue possible grâce à une série d’investissements, distincts mais connexes, en gazoducs, oléoducs, routes, infrastructures ferroviaires, ports, et « de corridors économiques » connectés.
Une des raisons pour laquelle il n’y a aucune carte officielle de l’ICR c’est que le projet n’a cessé d’évoluer. En plus des infrastructures, il comprend maintenant aussi l’« intégration financière », la « coopération en science et en technologie », les « échanges culturels et universitaires » et la création d’utilitaires pour les « mécanismes de coopération ».
En outre, son orientation géographique a également changé. En septembre 2018, le Venezuela avait annoncé que « le pays allait rejoindre l’ambitieux plan chinois de route de la soie estimé à $ 900 milliards ». Le Venezuela (pour plus de 50 milliards de $) faisait suite à l’Uruguay, premier des pays d’Amérique latine à recevoir des fonds de l’ICR.
L’Initiative de XI ne venait pas de nulle part. Comme indiqué précédemment, la croissance économique chinoise est de plus en plus dépendante des exportations et des investissements venant de l’étranger. Le gouvernement chinois a donc utilisé ces investissements et prêts étrangers pour sécuriser ses marchés à l’étranger et celui des matières premières nécessaires à ses exportations. En fait, l’aide officielle de la Chine pour les pays en développement a dépassé en 2010 et en 2011 la valeur totale de tous les prêts de la Banque mondiale à ces pays. La Chine a joué un rôle de premier plan dans la création et le développement de la nouvelle banque des BRIC, la Banque asiatique pour l’investissement dans les infrastructures, et l’organisation d’une coopération bancaire par l’intermédiaire de la Shanghai Coopération Organization Bank. Ce qui démontre l’importance du rôle actif des dirigeants chinois dans l’activité économique régionale et internationale.
En résumé, l’ICR semble n’être qu’une tentative de résoudre les problèmes de la surcapacité chinoise, l’excès de capital, le déclin des affaires, une dette croissante et la baisse des taux de profit, grâce à l’expansion géographique de son activité économique et de production.
Malheureusement, cet effort pour garder l’essentiel de la croissance actuelle de la Chine est loin d’être favorables aux travailleurs.
La même année de la publication du plan d’action de l’ICR, le gouvernement chinois a commencé à procéder à d’importantes mesures répressives contre les mobilisations de travailleurs.
Par exemple, en 2015, le gouvernement a élaboré des mesures sévères et sans précédent dans plusieurs centres de travailleurs au sud du paysESSF (article 46457), 2015 : une répression de la Chine des travailleurs sans précédent, emprisonnant un certain nombre de ces travailleurs. Cette action a coïncidé avec la répression renouvelée contre des journalistes et des avocats militants auprès des travailleurs. Le Financial Times a déclaré que ces actions pourraient représenter « pour les autorités chinoises des mesures contre le syndicalisme les plus sévères qu’au cours des deux dernières décennies. »
Les attaques contre les travailleurs et ceux qui les soutiennent se poursuivent. Un bon exemple: au mois d’août de cette année, la police anti-émeute a pénétré dans une maison à Huizhou, occupée par des diplômés du gratin des universités chinoises qui étaient descendus en ville pour soutenir les efforts d’organisation des travailleurs. Environ 50 personnes ont été arrêtées et 14 restent en détention ou en résidence surveillée.
Une mauvaise stratégie
Pour atteindre ses objectifs, l’ICR a largement recours aux travailleurs chinois et aux entreprises chinoises financées par des prêts remboursables en ce qui concernent l’infrastructure stratégique de la Chine. Par exemple, le Centre d’études stratégiques, a récemment calculé qu’environ 90 % des projets de la « ceinture et la route de la soie » sont construits par des entreprises chinoises.
L’investissement de l’ICR peut aider temporairement les entreprises chinoises qui souffrent de surcapacités, à absorber une partie des capitaux excédentaires et stimuler leurs marges de profit, mais il ne peut-être une solution permanente aux défis économiques de la Chine ; il ne fait que retarder le moment de vérité.
Une des raisons de ce point de vue négatif, c’est que, construits dans l’urgence, beaucoup de ces projets ne sont pas financièrement viables. Andreea Brinza, écrivait dans Foreign Policy, sur les projets ferroviaires européens:
« Si l’on cherche à matérialiser l’initiative internationale ambitieuse de la Chine de la ceinture et la route de la soie, c’est le chemin de fer qui s’impose. Chaque mois, les médias louent une nouvelle ligne qui va théoriquement relier une ville chinoise à une capitale européenne. Aujourd'hui, c’est Budapest. Hier, c’était Londres. Les nouveaux ajouts de lignes ferroviaires transcontinentales au réseau ferré chinois existant déjà se répandent en Eurasie. Mais la plupart de ces routes sont économiquement inutiles, il est douteux qu’elles serviront à générer des profits, elles répondent plus à une nécessité politique qu’a une vraie demande du marché.
Chongqing-Duisburg, Yiwu-Londres, Madrid-Yiwu, Zhengzhou-Hambourg, Suzhou-Warszawa et Xi'an-Budapest sont quelques-unes des plus de 40 routes qui relient maintenant la Chine à l’Europe. Mais de toutes ces lignes, seule la Chongqing-Duisburg, qui relie la Chine à l’Allemagne, a été créée grâce en réponse à une véritable demande du marché. Les autres sont des créations politiques de Pékin pour cultiver ses relations avec les États européens comme la Pologne, la Hongrie et le Royaume-Uni.
La route de Chongqing-Duisburg est prise comme référence pour la « ceinture », la partie du projet qui traverse l’Europe par voie terrestre. Mais c’est un paradoxe, car la ligne de Chongqing-Duisburg a été créée avant que le Président chinois Xi Jinping ait annoncé son projet de « Une ceinture, un itinéraire » et de l’ICR.
Il s’agit d’une route existante, reconstruite et réutilisée par Hewlett-Packard en 2011 pour réduire de moitié le temps de transport de ses ordinateurs portables produits en Chine, et arrivant par la mer...
Contrairement à la route d’HP, qui transportaient des ordinateurs portables et des gadgets de la Chine vers l’Europe, les conteneurs sur les nouvelles routes qui arrivent en Europe, transportent de la camelote chinoise, ou sont vides, car il n’y a pas grand-chose à exporter par chemin de fer dont les consommateurs chinois n’aient pas envie pour eux-mêmes. Efficace seulement sur une moitié de la route, le trajet entier est souvent un gaspillage d’argent. Pour les entreprises chinoises exportatrices de jouets, produits ménagers ou décorations, la voie maritime est beaucoup plus rentable, étant donné qu’elle ne coûte que la moitié du prix du ferroviaire, bien qu’elle soit plus lente.
Les voies de Chemins de fer Europe-Chine non seulement ne génèrent pas de profit en raison des frais de transport, car chaque containeur doit être isolé pour supporter les énormes variations de température, et aussi parce que la Russie a interdit l’importation et le transport alimentaire en direction de l’Europe sur son territoire. Les aliments sont une des marchandises qui peuvent transiter par une route de terre Europe-Chine. Mais sans containers spéciaux, le voyage n’est pas facile. Par exemple, il a fallu plus de trois mois complets à un train venant de Yiwu en Chine pour arriver à Londres, alors que le gouvernement britannique est désireux d’échanger dans le cadre d’un partenariat chinois après le Brexit.
Actuellement, la majorité des voies de chemin de fer de l’ICR travaillent uniquement grâce aux subventions du gouvernement chinois. La subvention par voyage pour un conteneur de 6 mètres est de 3 500 et 4 000 dollars, selon les autorités locales. Par exemple, dans les villes du Wuhan et Zhengzhou des entreprises de transport ont reçu près de 30 millions de dollars us de subventions. Grâce à cette aide financière, les sociétés chinoises et occidentales payent un prix abordable par conteneur. Sans subvention, cela coûterait environ 9000 $ us pour envoyer un conteneur de 6 mètres par chemin de fer, contre 5 000 $ après les subventions. Bien que le gouvernement chinois perde de l’argent sur chaque voyage, il envisage d’augmenter le nombre annuel de déplacements d’environ 1900 en 2016 pour environ 5 000 trains de fret d’ici à 2020. »
Une autre raison de douter de la viabilité de l’ICR est que de plus en plus de pays sont réticents à y participer, parce que cela signifie qu’ils devront demander des prêts pour des projets qui pourraient ne pas bénéficier au pays mais créer des dettes à rembourser. Par conséquent, la valeur réelle des projets est très inférieure à ce qui est rapporté dans les médias.
Thomas S. Eder et Jacob Mardell ont fait valoir ce point de vue dans une discussion sur les activités de l’ICR avec 16 pays d’Europe centrale et de l’est (16 + 1):
« Nombres d’investissements chinois liés à l’initiative de la ceinture et de la route de la soie ont tendance à être gonflés et trompeurs. Seule une fraction des montants présentés est reliée aux projets réels d’infrastructures. La plupart des projets en cours sont financés par des prêts chinois, exposant ainsi les gouvernements déjà accablés par les dettes à des risques supplémentaires.
Selon les sources, l’ICR est évaluée à 900 milliards. Mais seulement une fraction du montant concerne des projets concrets. De même, les investissements de l’ICR dans les pays du « 16 + 1 » créent une confusion sur les chiffres avec une tendance à l’exagération.
Les médias arrivent à ce chiffre en faisant la somme des « accords annoncés » et du coût des protocoles signés par les entreprises chinoises. Beaucoup d’acteurs ont intérêt à exagérer le montant global de l’ICR : des responsables locaux dans les pays de destination pour impressionner leurs concitoyens, des journalistes qui veulent séduire les lecteurs et des responsables chinois désireux de favoriser la rumeur autour de l’ICR.
La route de Banja Luka-Mlinište en Bosnie-Herzégovine, par exemple, est fortement associée à l’investissement du « 16 + 1 ». Sinohydro a signé en 2014 un accord préliminaire de 1,4 milliards de dollars pour mettre en œuvre le projet, et ce chiffre a été largement rapporté dans les médias de langue anglaise. Quatre ans plus tard, cependant, l’approbation finale du prêt de l’Export-Import Bank pour financer ce tronçon d’autoroute était encore en suspens. Cette route est en fait un des projets qui a été suivi dans une région sur laquelle nous ne disposons pas suffisamment de renseignements, mais les préliminaires de cet accord n’ont pas été repris dans les médias.
De même, en 2014, China Huadian a signé un accord pour la construction d’une centrale électrique de 500 MW en Roumanie, pour un montant soi-disant d’un milliard de dollars. Les pourparlers semblaient reprendre en 2017, mais sans avoir abouti depuis lors. On ne sait pas si ce projet se réalisera, ni quand, mais c’est le genre de « Convention » que prennent en compte ceux qui calculent la valeur de l’investissement de la Chine dans les pays du « 16 + 1 ». Un chiffre d’un milliard 300 de dollars us a été signalé en ce qui concerne la Kolubara B, alors qu’un accord de coopération avait déjà été signé avec la société italienne Edison, trois ans avant que la société Sinomach y trouve un intérêt.
Une autre question importante c’est l’investissement chinois en Chine même - et cela ressort clairement de la base de données MERICS – sous forme de prêts à des conditions favorables obtenus auprès des banques du gouvernement chinois. Ce financement doit être remboursé avec intérêts, quels que soient les résultats et les retombées économiques du projet.
Même chose avec les projets de la ceinture et la route de la soie dans d’autres parties du monde, des prêts accordés par Pékin aux pays d’Europe centrale ou orientale peuvent potentiellement provoquer une instabilité financière. Les petits pays, (peut-être par manque de capacités institutionnelles pour évaluer les accords (par exemple, les risques liés à la fluctuation des monnaies), sont particulièrement vulnérables.
Highway Bar-Boljare au Monténégro illustre ce problème. Cette autoroute est construite par la China Road and Bridge Corporation (CRBC) pour 809 millions d’euros provenant d’un prêt de l’Exim Bank. Le FMI a dit que, sans la construction de l’autoroute, la dette du Monténégro aurait diminué à 59 % du PIB, au lieu de grimper à 78 % du PIB en 2019. La mise en garde du FMI - si la construction de cette autoroute continuait – est la suivante « elle portera la dette à un niveau insoutenable ».
Cette autoroute est typique des nombreux projets de l’ICR en ce sens qu’elle est construite par une entreprise appartenant à l’État chinois, qui utilise principalement des travailleurs et des matériaux venant de Chine et grâce à un prêt que le Gouvernement monténégrin doit rembourser, et par lequel une banque du gouvernement chinois percevra un intérêt. En outre, les entrepreneurs chinois travaillant sur l’autoroute sont exemptés de TVA ou frais de douane pour les produits importés. »
En raison de ces exigences en matière d’investissement, de nombreux pays ont annulé ou réduit leurs projets à l’ICR.
Le South China Morning Post a récemment rapporté que le gouvernement malaisien a décidé : d’ « annuler les mégaprojets financés par la Chine dans le pays : la liaison ferroviaire de la côte est, 20 milliards de dollars Us et deux projets de pipelines de gaz s’élevant à $ 2,3 milliards. Le premier ministre malaisien a déclaré que son pays ne pouvait se permettre ces projets et qu’il n’en avait pas besoin pour le moment.
En fait, la décision de Mahathir n’est pas la première fronde à ces projets, car il y de plus en plus de politiciens et d’économistes des pays qui autrefois courtisaient les investissements chinois, s’expriment aujourd’hui publiquement sur le fait que certains de ces projets sont trop coûteux et génèrent trop de dettes »
La Birmanie, tel que le rapporte l’agence Reuters est un de ces pays:
« La Birmanie a revu l’échelle du projet d’un port construit par la Chine sur sa côte ouest, et a ainsi réduit considérablement le coût du projet qui pouvait rendre le pays lourdement endetté. »
« Le prix initial de 7,3 milliards de dollars pour le port en eaux profondes de Kyauk Pyu, à l’extrémité ouest du pays dans l’Etat de Rakhine, déchiré par le conflit, a servi d’avertissement, car des projets chinois de même nature rencontraient des difficultés au Sri Lanka et au Pakistan. »
« Le sous-ministre des Finances Set Aung, qui a été nommé pour diriger les négociations sur ce projet, a déclaré à Reuters que « la dimension du projet avait été réduite considérablement ». » (Déclaration d’un haut fonctionnaire).
« Le coût révisé serait « autour de 1,3milliards dollars, un montant beaucoup plus acceptable pour les besoins de la Birmanie, dit Sean Turnell, conseiller économique du dirigeant de la Birmanie, Aung San Suu Kyi ».
Une troisième raison pour douter de la viabilité de l’ICR à résoudre les problèmes de l’économie chinoise, c’est le revers politique rencontré par la Chine en matière de propriété des infrastructures clés, qui est inscrite dans les investissements del’ICR.
Exemple : le gouvernement Sri-lankais a été contraint de concéder le port stratégique de Hambantota à la Chine pour un bail de 99 ans pour avoir été incapable de payer plus de 8 milliards de dollars de prêts aux sociétés chinoises.
Malheureusement, l’Afrique offre de nombreux exemples de cela, tel que c’est décrit dans un bref rapport sur les politiques de l’ICR chinoise en Afrique:
« Dans les projets de l’ICR, les entreprises d’Etat chinoises à l’étranger s’éloignent de plus en plus des projets d’ingénierie, d’approvisionnement et de construction « clés en main », pour se transformer en une participation chinoise à plus long terme comme gestionnaire et partie prenante dans l’exécution des projets.
China Merchants Holding, qui construit à Djibouti le nouveau complexe consistant en un port polyvalent et un complexe industriel, est également partie prenante de la gestion de la zone dans un consortium avec les autorités portuaires de Djibouti, pour dix ans. Comme pour les nouveaux projets de chemins de fer standard, de voies navigables et autres opérations en Ethiopie et au Kenya, qui seront administrés et contrôlés par les entreprises chinoises entre 5 et 10 ans après l’achèvement de la construction.
Outre le transport, l’ICR propose l’expansion d’infrastructures numériques, une route de la soie « de l’information ». Il s’agit d’une extension de la « sortie » vers l’étranger des sociétés de télécommunications chinoises, y compris les géants privés du mobile comme Huawei et ZTE, qui ont de nombreux projets d’infrastructures de télécommunications en Afrique, mais aussi l’expansion des grandes entreprises publiques telles que Chine Télécom. China Telecom a créé un nouveau centre de données à Djibouti qui sera relié avec d’autres centres régionaux de la compagnie en Asie, en Europe et à la Chine pour faciliter le développement des réseaux sous-marins de câbles chinois en fibre optique pour l’Afrique orientale.
Les pays associés à l’ICR, comme le Maroc, l’Égypte et l’Éthiopie, ont été considérés comme des « pays pionniers pour un partenariat prioritaire en matière de coopération et de production industrielle » ; ces pays ont compris que l’expansion rapide des zones industrielles de la Chine, annonçaient non seulement un développement des échanges mais aussi des investissements industriels.
Cependant, l’expansion rapide des crédits pour les infrastructures qu’offre l’ICR comporte aussi des risques considérables. Beaucoup de ces grands projets d’infrastructure sont rendus possibles par des emprunts financiers, qui suscitent des interrogations sur l’accroissement et la durabilité de la dette des économies africaines. Pour les pays riches en ressources, la faible valeur des productions de base a généré la baisse des recettes publiques et provoqué une crise des taux de change de monnaie – ces deux effets touchant la capacité du gouvernement à rembourser les emprunts étrangers.
En Tanzanie, le projet du port en eau profonde de Bagamoyo dans le cadre de l’ICR a été suspendu par le gouvernement en raison du manque de fonds. Le port était à l’origine un investissement conjoint entre des partenaires tanzaniens et chinois de la China Merchants Holding qui devait construire les infrastructures portuaires et routières, ainsi qu’une zone économique. Alors que la construction du projet s’est poursuivie, les problèmes de financement ont mis en évidence que le gouvernement avait perdu son statut d’égalité. Il s’agit d’un cas montrant que les gouvernements africains risquent de perdre la propriété des projets, ainsi que les revenus à long terme. »
D’autre part beaucoup de projets de l’ICR « déplacent ou perturbent les communautés existantes ou les zones écologiquement sensibles », ce qui vient se rajouter aux tensions politiques. Il n’est pas surprenant que la Chine ait vu rapidement augmenter le nombre de sociétés de sécurité privées qui desservent les entreprises chinoises qui participent aux actions de l’ICR. Selon les termes de l' Asia Times, ces sociétés sont:
« Décrites comme une armée chinoise privée, ces sociétés de sécurité indépendantes qui sont alimentées par une demande croissante venant des entreprises nationales participant à l’initiative de la couronne et la route de la soie pour un montant de plusieurs milliards de dollars, s’étendent dans les pays.
En 2013, il y avait 4 000 entreprises inscrites qui employaient plus de 4,3 millions de personnes. En 2017, ce chiffre est passé à 5 000 avec environ 5 millions de salariés. »
Ce qui nous attend ?
Les raisons décrites dans cet article rendent hautement improbable que l’ICR puisse améliore sensiblement les perspectives économiques de la Chine à long terme. Il semble probable que la croissance chinoise continuera de diminuer, conduisant à de nouvelles tensions internes quant à la réponse du gouvernement sur l’ICR qui va sûrement redoubler d’efforts pour étouffer le militantisme des ouvriers et ne pas relever les salaires. Avec de la chance, la force de la résistance chinoise à cette répression générera un précieux espace public de discussion pour de nouvelles options vraiment favorables à la majorité.
Global research, Octobre 2018