Alors que 70 000 personnes sont mortes (6 avril 2020) du Coronavirus et que les États-Unis s’attendaient initialement à 82 000 décès (et maintenant à plus de 200 000 décès),les économistes allemands se demandent à quel point le Coronavirus va être mauvais pour les entreprises, et à quel point ce sera mauvais pour les travailleurs allemands. En Allemagne et ailleurs, Coronavirus impose son pouvoir sur le capitalisme et la classe.
Au cours des dernières semaines, même les économistes allemands qui croient fermement au marché libre, sont passés en mode panique. Certains ont également commencé à douter de la promesse de Hayek, celle d’une croissance économique éternelle. A la place des hallucinations néolibérales optimistes habituelles, les économistes néolibéraux ont commencé à parler, un peu prudemment, des conséquences de la pandémie du Coronavirus sur l’économie. Il y a seulement quelques semaines, le FMI néolibéral prévoyait une baisse de 0,1 % de l’économie mondiale. Aujourd’hui, ces prévisions sont très différentes en prévision d’une baisse plus spectaculaire, dans les semaines à venir. Déjà, la puissante industrie automobile allemande a mis à pied de 90% à 100% de ses effectifs.
Aujourd’hui, de nombreux économistes allemands s’attendent à la plus forte récession économique depuis la Seconde Guerre mondiale. Certains prévoient que la mère de toutes les récessions est à notre porte. Le capitalisme est, comme souvent, en crise. L’un des principaux think tanks du marché libre d’Allemagne, l’Institut IFO, estime que le coût économique du Coronavirus devrait dépasser tout ce qu’avait connu l’Allemagne. Le Coronavirus devrait créer une crise financière sans précédent dépassant le chaos causé par les récentes catastrophes naturelles. Ces prédictions intimidantes ont amené les historiens économiques à identifier et à expliquer les causes de ce phénomène.
Economie, Histoire et La grippe espagnole
En 1918, la Première Guerre mondiale n’était pas tout à fait terminée ; une épidémie hantait le monde et il n’y avait pas de traitement. En trois vagues, la grippe espagnole a tué environ 39 millions de personnes entre 1918 et 1920. Environ 2 % de la population mondiale est décédée à ce moment-là. Parmi eux se trouvait le peintre expressionniste autrichien Egon Schiele, qui n’avait que 28 ans à sa mort. Parmi les autres victimes de la grippe espagnole, citons Max Weber, le parrain de la sociologie allemande et le grand-père de Donald Trump, Frederick Trump. Fait remarquable, la grippe espagnole n’est pas originaire d’Espagne car le premier cas connu a été rapporté du Camp Funston à Fort Riley, Kansas. Cependant, en raison des médias non censurés en Espagne à l’époque, les Espagnols ont été les premiers à signaler la maladie.
Cette pandémie a été étudiée par des historiens et des épidémiologistes. Mais comme on pouvait s’y attendre, elle a été largement ignorée par les économistes qui se sont préoccupés des marchés et de la concurrence. Pour beaucoup, il était plutôt difficile de séparer l’impact humain et économique de la grippe espagnole des conséquences de la Première Guerre mondiale. Leur ignorance pourrait également être attribuée au fait que l’accent a été mis sur la santé publique et non sur les conditions économiques.
Aujourd’hui, les choses sont différentes. Dans une étude récente, les économistes de 43 pays ont calculé l’impact de la grippe espagnole sur l’économie. Ils en ont conclu que l’économie mondiale s’était contractée de 6 % tandis que la consommation avait chuté de 8 % en moyenne. Il semblerait que la grippe espagnole ait perturbé l’économie autant que la crise financière mondiale, l’économie allemande ayant reculé de 5,7 % en 2009, la plus forte récession de l’Allemagne d’après-guerre.
Du côté humain de l’équation, plus de décès se sont produits dans les pays par rapport à leur taille, en termes de population et de force économique. Autrement dit, plus la population est importante, plus le nombre de décès est élevé et plus le ralentissement économique est important, plus le nombre de décès est élevé. De 1918 à 1921, des pays à forte population comme l’Inde, l’Indonésie et l’Afrique du Sud ont connu un grand nombre de décès. En Europe, en Italie, au Portugal et en Espagne, les économies les plus fortes ont connu les taux de mortalité les plus élevés. Entre 1918 et 1921, l’Amérique, qui avait une population élevée a connu l’un des ralentissements économiques les plus profonds de son histoire (moins 12%) avec un nombre de décès importants.
L’économie du Coronavirus
Dans la situation actuelle, la grippe espagnole a été un avertissement, en particulier pour ceux qui aiment les comparaisons comme le président Français, Emmanuel Macron. Initialement, la grippe espagnole a été considérée comme le pire des scénarii possible. Nous avons alors pensé que le Coronavirus ne pouvait pas être aussi mauvais que la grippe espagnole l’était il y a cent ans, et qu’il ne tuerait pas autant de gens étant donné que les systèmes de santé sont aujourd’hui supérieurs en qualité, bien qu’il y ait de fortes variations entre le système de soins de santé de différents pays. Les 12 principales contrées de soins de santé sont le Canada, le Qatar, la France, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, l’Allemagne, Hong Kong, les Pays-Bas, la Suisse, Singapour, le Luxembourg et le Japon. Les États-Unis d’Amérique ne sont même pas répertoriés car ils se classaient en 37eme position.
Mais maintenant, certaines prédictions sur l’impact économique de la pandémie du coronavirus vont bien au-delà de ce que les économistes avaient pensé. L’Institut allemand IFO a présenté des scénarios pour l’année en cours. L’estimation la plus optimiste a montré une contraction de 4,3% pour l’Allemagne. La plus pessimiste, de 20,6% : « Cette fois, tout est différent. »
Cette fois, tout est différent
Ceux qui ne se réfèrent pas à l’histoire pour comprendre ses conséquences sur l’économie se basent exclusivement sur le présent. La Chine, qui est en avance sur la crise virale actuelle, parce que les premiers cas du Coronavirus sont apparus là-bas, est l’exemple actuel absolu. Au début, le monde occidental a été incrédule (« Nous avons très peu de petits problèmes ici » a déclaré Trump), le déni, puis l’horreur a suivi peu de temps après. Le Coronavirus a débordé des pays comme l’Italie et l’Espagne et s’apprête à faire de même au Royaume-Uni et aux Etats-Unis.
Les gens sont étonnés d’apprendre que les restrictions qu’ils croyaient impensables dans le monde occidental - en Allemagne et partout – deviennent soudainement la norme. Il y a des interdictions de réunions, le report d’événements majeurs tels que les Jeux Olympiques, le Championnat d’Europe de football et des événements mineurs comme les mariages et les funérailles. Les frontières et les écoles sont fermées. Foires, spectacles, expositions et concerts de musique sont annulés. Les magasins sont fermés, les couvre-feux sont émis et des quarantaines strictes appliquées. Ce sont précisément ces mesures que les économistes allemands considèrent sous le prisme du « l’époque est différente ».
Pendant la grippe espagnole, différentes régions, comme en Suisse, par exemple, des interdictions sévères pour les rassemblements et les vacances pour les écoliers étaient monnaies courantes. Cependant, il n’y a pas eu de fermeture généralisée de l’économie en réponse à la pandémie.
Voilà la nouveauté. L’économie est plongée dans un profond sommeil. Le capitalisme est intégré à l’échelle mondiale ce qu’il n’était pas auparavant. Peut-être que la pandémie de coronavirus sera en effet une grande épreuve économique.
Pour de nombreux économistes allemands, la Chine reste la seule référence possible parce que seules les statistiques chinoises sont actuellement disponibles ; toutefois, des données économiques en provenance d’Italie et peut-être d’Autriche pourraient être publiées, dans un proche avenir. Alors que les données chinoises sont considérées comme douteuses, les prévisionnistes économiques allemands les regardent et s’inquiètent de plus en plus chaque semaine qui passe. Les observateurs s’attendaient à une légère augmentation en raison du taux de croissance habituel de la Chine ces dernières années. Or, en janvier et février, le virus paralysant déjà la vie, la Chine a signalé une baisse de sa production industrielle de 13,5 %. Les investissements en immobilisations ont chuté de près d’un cinquième et les exportations de 17,2 %, soit la plus forte récession économique en 30 ans.
Attentes allemandes
Bien que l’Allemagne ne soit pas la Chine, l’Allemagne a rapidement adopté les fermetures généralisées comme méthode pour lutter contre le Coronavirus s’attendant à ce que les prévisions économiques chinoises soient réalistes. Les économistes de l’Institut IFO prédisent un ralentissement de moins 20%. Alors que l’une des principales banques allemandes, la Deutsche bank considère « « comme plausible » qu’il pourrait être de moins 15% à 30% - « plausible » parce que les économistes aiment poser des limites à leurs prévisions vagues au cas où celles-ci s’avèreraient erronées. Cependant, ces chiffres sont moins une conséquence de la pandémie elle-même, que le résultat de l’impact économique de l’arrêt de toute activité économique. De nombreux Allemands n’ont pas été surpris par des prévisions économiques extrêmes.
Récemment, l’Association des chambres d’industrie et de commerce allemandes a interrogé 15 000 entreprises dans de nombreuses régions et de nombreuses industries. elle a constaté que 80% des entreprises allemandes s’attendent à une baisse du chiffre d’affaires et 20% craignent l’insolvabilité. De même, une enquête menée par la BGA allemande (bourse du commerce) a révélé que 45 % de ses sociétés membres craignent une « crise existentielle » si les fermetures dues au Coronavirus se poursuivent, tandis que 51 % pensent qu’ils en souffriront économiquement.
470 000 entreprises allemandes ont déjà mis à pied leurs travailleurs. Si les mesures de confinement du Coronavirus se poursuivent pendant cinq semaines, les économistes allemands prévoient une contraction de l’économie allemande de 2,8 %.
La modélisation économique de l’Allemagne
Les prévisions de l’économie allemande deviennent particulièrement intéressantes lorsque l’on combine les résultats des épidémiologistes avec ceux des économistes. Ces deux disciplines se sont fécondées. Actuellement, l’Allemagne expérimente ce que les économistes appellent un compromis, un dilemme. Plus les mesures de santé sont vitales, plus les points négatifs pour l’économie sont élevés. Il y aura plus de pertes d’emplois qui, à leur tour, pèseront sur la sécurité sociale, les pensions et les impôts, et entraîneront peut-être une pauvreté de masse. Heureusement ou malheureusement, ces dilemmes reposent sur les épaules des politiciens qui ne pensent que chiffres économiques.
Par conséquent, les politiciens ont exigé que les économistes soient plus précis pour savoir quelles mesures et secteurs de l’économie peuvent être inclues ou exclues de ces compromis.
L’un des compromis est le transfert du travail et des services sur Internet afin d’atténuer les effets économiques négatifs. Par conséquent, les politiciens allemands ont suggéré que le travail à domicile devrait être élargi. Un autre compromis, face au ralentissement économique sans cesse croissant, pourrait inclure un arrêt complet de l’économie.
Les pandémies passées ont connu cette situation avec les interventions de l’État, le plus souvent en raison du nombre de morts. Les gens ont également fait un choix personnel de rester à la maison, craignant la contagion. Malheureusement, tous ces facteurs ne peuvent pas être mesurés avec précision, mais les économistes avaient déjà inclus ces éléments dans le calcul de l’impact économique de la grippe espagnole. Les possibilités de continuer à travailler via Internet n’existaient pas en 1918 et ce que nous appelons la mondialisation aujourd’hui n’existait tout simplement pas.
Le Coronavirus et le travail - les travailleurs de l’industrie alimentaire de l’Allemagne ont fait grève
La situation de l’emploi semble sombre en Allemagne. Dans l’industrie automobile, les travailleurs ont été renvoyés chez eux, et les garderies et les établissements pour jeunes ont été fermés. D’autre part, plus de changements ont été introduits dans les entreprises de production alimentaire afin de répondre à l’immense demande de pâtes ou de légumes congelés pour contrer la thésaurisation et l’achat de panique.
Pendant une crise économique comme la pandémie de Coronavirus, les travailleurs, les syndicats et les activités collectives telles que les grèves perdent leur influence. Mais pour la première fois depuis le début du siècle, les employés d’une entreprise alimentaire allemande se sont mis en grève. Les ouvriers se sont organisés à Frosta (Bautzen Mustard) en Allemagne de l’Est. L’objectif était d' « aligner » les salaires est-allemands sur les salaires ouest-allemands. Ils réclamaient une augmentation de salaire allant jusqu’à 700 euros de plus par mois et une pension supérieure au maigre niveau de base. Le syndicat allemand NGG (syndicat de l’alimentation) espérait « faire l’histoire ». Le syndicat devait redynamiser un conflit de négociation collective qui se déroulait depuis décembre. Une vague de grèves était prévue, et des centaines de participants attendus lors d’un rassemblement central dans la ville est-allemande de Dresde.
Puis vint le Coronavirus et le gouvernement allemand interdit les rassemblements publics.
Aujourd’hui, les travailleurs syndiqués ne sont plus autorisés à se rassembler, ce qui viole le droit constitutionnel de grève du travailleur allemand. Pendant des semaines, le NGG a hésité, entre la décision de grève ou non. Enfin, toutes les actions ont été annulées, laissant l’inconstitutionnalité de la décision en suspens. Actuellement en Allemagne presque toutes les négociations syndicales en cours sont « suspendues ».
La crise du coronavirus a frappé durement le pouvoir des syndicats allemands. Dans la plupart des secteurs industriels, les activités de négociation collective qui ont déjà commencé ou qui devaient l’être pour ce printemps ont été reportées ou suspendues. L’industrie métallurgique allemande, l’industrie de la construction, les services sociaux et éducatifs et l’industrie alimentaire ont tous cédé au virus pour diverses raisons.
Dans les négociations collectives actuelles, le plus grand syndicat allemand l’IG Metall (métallurgie) avec 2,3 millions d’adhérents s’est trouvé impuissant, son pouvoir emporté par la pandémie du Coronavirus. Sentant les effets de ses pouvoirs de négociation réduits, le syndicat a mis fin aux négociations avec l’État allemand de NRW (Rhénanie-du-Nord-Westphalie). Par ailleurs les conventions collectives actuelles de la métallurgie qui ont été négociées récemment contenaient des mesures moins favorables que les anciennes conventions.
Les travailleurs progressistes de la métallurgie de toute l’Allemagne partagèrent la même opinion sur la faiblesse de ces accords. De nombreux travailleurs associaient ces faibles résultats en matière de négociation collective aux accords de « partenariat social » de longue date entre les dirigeants syndicaux et les grandes multinationales. D’autres pensent que l’accord de négociation actuel est le reflet de l’équilibre actuel des pouvoirs. L’accord pilote de l Etat de la NRW a été appliqué dans des districts syndicaux solides tels que l’usine de Mercedes Benz et de Porsche dans le Bade-Wurtemberg avec l’espoir de fournir une base plus forte une fois que les négociations recommenceront après la pandémie du Coronavirus.
En outre, de nombreux conflits de travail ont été reportés en raison d’une réaction négative potentielle du pouvoir, dans la presse conservatrice. Le pouvoir de propagande du syndicat allemand, très redouté, pourrait influencer le processus de négociation collective pendant la crise du Coronavirus. Par exemple, dans l’industrie alimentaire allemande, les syndicats sont conscients que la production alimentaire reste impérative, et une grève en ce moment pourrait nuire au mouvement lui-même. En conséquence, le syndicat allemand NGG de l’alimentation a décidé de reporter la négociation collective. Le syndicat NGG ne veut pas profiter de la situation du Coronavirus. Il est conscient qu’il ne serait pas compris dans la situation actuelle. Le report des négociations collectives et des grèves signifie également que les travailleurs de l’Allemagne de l’Est continueront à être payés 30 % de moins que leurs homologues occidentaux. Pourtant, les syndicats allemands espèrent rebondir sur cette question pour relancer une nouvelle série de négociations collectives dans un proche avenir.
À l’heure actuelle, les travailleurs et les syndicats sont engagés dans la gestion directe des crises. Cela reste primordial. Alors que la crise du Coronavirus frappe fort, les syndicats allemands sont mis au défi comme jamais auparavant de sauvegarder l’emploi et de repousser les attaques des employeurs qui tentent de tirer parti des décisions du gouvernement.
Les syndicalistes craignent que les normes de travail, les salaires et même les droits de cogestion établis et légalement fondés soient suspendus. Les entreprises où se sont récemment créés des comités d’entreprise et des syndicats, ont été en mesure de faire respecter une augmentation des salaires, même dans l’industrie hôtelière Allemande en difficulté et traditionnellement peu syndiquée. Les syndicats allemands savent que s’il n’y a pas de cogestion, les patrons peuvent exploiter les salariés. En conséquence, les syndicats défendent les travailleurs qui luttent contre les patrons opportunistes qui tentent de profiter de l’épidémie actuelle de coronavirus.
À la fin de la pandémie actuelle, ce sera le capitalisme pour les travailleurs et le socialisme pour les riches. Le résultat de la crise financière mondiale de 2008/2009 était un avant-goût.
À cette époque, de nombreux travailleurs qui payaient des impôts et possédaient des maisons ont été obligés de quitter leur maison parce qu’ils ne pouvaient plus payer leurs hypothèques. C’est le capitalisme pour les travailleurs. Pendant ce temps, l’argent de leurs impôts a été utilisé pour renflouer les banques. C’était du socialisme pour les riches. Enfin, la pandémie du coronavirus ne tuera pas le capitalisme.
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8 avril 2020, counterpunch
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Nadine Campbell fondatrice d’Abidos academy