Interview d’Olivier Dossou par Isabelle Minnon
Le renversement d’Ibrahim Boubacar Keïta a provoqué une onde de choc au Mali et a soulevé de nombreuses interrogations sur la scène internationale. Représentant en Europe du Conseil Panafricain et analyste politique, Olivier Dossou nous éclaire sur ces manifestations populaires qui ont conduit au coup d’État mené par des soldats. « À travers la mobilisation, les populations maliennes exigeaient le départ d’Ibrahim Boubacar Keïta et plus largement de la Françafrique, dont il n’est qu’un agent local, un garçon de course », souligne Olivier Dossou. Il fait également le point sur la situation en Libye où la guerre de l’Otan a eu des répercussions sur le reste de l’Afrique. (IGA)
- Pouvez-vous nous expliquer brièvement les revendications des mobilisations populaires qui ont conduit au renversement du gouvernement malien ? Pouvez-vous expliquer le lien avec la présence militaire française ?
Les mobilisations au Mali dénonçaient et continuent de dénoncer la gouvernance oligarchique et ploutocratique du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) et voulaient obtenir sa démission. Ce sont des revendications qui dépassent le Mali. Elles concernent l’Afrique francophone de façon plus large, y compris la Guinée Bissau, avec la gouvernance erratique de M. Oumaro Sissoco Embalo.
Voyons ce qui explique la contestation de la présence militaire française. Il est important de noter que la question de la démission d’Ibrahim Boubacar Keïta n’est qu’une goutte d’eau. Les populations maliennes, et de façon plus large africaines, espèrent à terme obtenir le départ sans conditions des bases militaires françaises et étrangères au Mali. Je voudrais vous rappeler que la France dispose de bases militaires au Mali, notamment à Gao avec un détachement d’à peu près 1000 personnes. A côté de cela, il y a également l’Union européenne, qui a une base militaire dans le pays. Ensuite, la question plus profonde de la présence française au Mali dépasse la seule sphère militaire. C’est également une question liée à une recolonisation politique et économique à travers l’appui diplomatique et politique de la France au régime d’Ibrahim Boubacar Keïta. Or ce régime a complètement échoué à offrir au peuple malien des perspectives dignes et heureuses.
Et surtout, nous remarquons au Mali une spoliation économique à travers des privatisations ruineuses qui profitent essentiellement aux multinationales françaises.
Je voudrais rappeler que l’aéroport de Bamako Sémou a été privatisé il y a quelques semaines à un groupe français du nom de J. Ce groupe détient de façon exclusive l’exploitation de l’aéroport du Mali. Et cet aéroport est un site extrêmement sensible, stratégique pour la souveraineté du pays depuis plusieurs décennies.
De surcroît, vous avez une forte présence des entreprises françaises dans le cadre des télécommunications, des banques, de la logistique, de la coopération militaire… Mentionnons cette présence dans le domaine des GSM, par exemple.
Donc, nous pouvons dire qu’aujourd’hui, nous assistons en fait, à travers la gouvernance d’Ibrahim Boubacar Keïta, à la deuxième mort du président Modibo Keïta qui, comme vous le savez, a été renversé en 1968 et a été empoisonné en 1977.
À travers la mobilisation, les populations maliennes exigeaient le départ d’Ibrahim Boubacar Keïta et plus largement de la Françafrique, dont il n’est qu’un agent local, un garçon de course. Nous observons essentiellement trois ou quatre raisons qui fondent la mobilisation des populations à la fois maliennes, mais aussi africaines, à exiger son départ. La première, c’est la trahison de la Constitution malienne. En 2013, il a été élu sur le slogan “Le Mali d’abord” et réélu en 2018, dans des conditions somme toute contestables. Mais, depuis ces deux élections, le président Ibrahim Boubacar Keïta n’a eu de cesse de parjurer la Constitution malienne, de la travestir et surtout, d’en violer les lois. Or cette Constitution, c’est le peuple malien qui se l’est librement donnée, et il était censé en être le garant.
Le second point, c’est sur le plan politique et militaire. Nous assistons à un génocide qui ne dit pas son nom au Mali, avec les assassinats quotidiens à la fois de civils maliens, mais surtout de militaires maliens. Ceux-ci sont tués par des forces dites terroristes, mais aussi par des forces étrangères, protégées par les Nations unies, qui dispose d’une base au Mali (la base de la Minusma). Il y a également les fameux rebelles touareg et certains terroristes djihadistes qui ont élu domicile au Mali. Je fais allusion au mouvement AQMI (Al-Qaida Maghreb Islamique). Vous avez le mouvement du MUJAO (Le Mouvement pour l'unicité et le jihad en Afrique de l'Ouest) et certains mouvements terroristes dits de l’EI (Etat islamique).
Outre ces raisons liées aux parjures de la Constitution et aux assassinats, il y a le mépris du président vis-à-vis des souffrances du peuple malien sur le plan économique et social. Il faut en effet mentionner le pillage des ressources publiques dont son gouvernement et son fils Karim Keïta se sont rendus chaque jour responsables.
Toutes ces raisons nous poussent à exiger sa démission.
Sur l’ensemble de ces différents points, la contestation de la présence militaire française n’est qu’un aspect d’une contestation beaucoup plus large : celle de la présence politique française depuis plus de 60 ans, qui n’a pas du tout cessé. Cette occupation coloniale de la France depuis 60 ans dans les Etats dits francophones a donné lieu à ce qu’on appelait la Françafrique. L’Afrique francophone reste le grand malade de l’Afrique et le Mali en est un prototype et une figure archétypale de l’échec des politiques dites « de cogestion », c’est-à-dire de cogestion néocoloniale entre le maître français et l’esclave africain francophone. Cet esclave est bien entendu symbolisé ici par la figure d’Ibrahim Boubacar Keïta, mais aussi d’Alassane Ouattara en Côte d’Ivoire, d’Ali Bongo Ondimba au Gabon, d’Idriss Déby Itno qui vient de se faire couronner maréchal au Tchad, de Patrice Talon au Bénin, d’Ismaël Omar Guelleh à Djibouti, de Faure Gnassingbé au Togo, de Paul Biya au Cameroun, de Macky Sall au Sénégal, de Denis Sassou-Nguesso au Congo-Brazzaville et le rôle également de Mahamadou Issoufou au Niger, qui a littéralement bradé son pays.
Voilà L’ensemble des raisons qui fondent aujourd’hui les contestations africaines contre la spoliation et la recolonisation de l’Afrique par la France.
- Le chaos actuel en Libye déstabilise toute la région. En 2011, les Nations Unies et puis l’Otan sont intervenues dans ce pays. La France a joué un rôle déterminant dans ces interventions. Pourriez-vous nous expliquer ce qui s’y passe ?
La situation de la Libye est celle d’une invasion impérialiste qui a eu lieu en février 2011 à travers la résolution votée au niveau du Conseil de sécurité des Nations unies. Si je ne me trompe, c’est la résolution 1973. Cette résolution, inspirée par la France de Nicolas Sarkozy et sur la demande pressante d’un pseudo-philosophe, Bernard-Henri Lévy, a ouvert la voie à l’agression militaire de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord, l’OTAN.
A l’heure actuelle, de cette agression, on retient essentiellement trois ou quatre conséquences directes. La première conséquence a été la destruction totale de la Libye et l’assassinat du guide de la Jamahiriya arabe libyenne, Mouammar Kadhafi, le 1er octobre 2011 par les forces de l’OTAN et des milices islamistes. Ensuite, la seconde conséquence, c’est la spoliation de l’ensemble des richesses de la Libye par le gang de l’OTAN et des régimes fantoches arabes. Je voudrais citer en particulier l’Arabie saoudite et le Qatar dans cette spoliation économique et financière. Plus de 200 milliards de dollars des fonds libyens, présents essentiellement dans les banques occidentales (aux Etats-Unis, en Europe, en France, en Italie…) ont été volés C’est le plus grand casse qui ait jamais été perpétré contre un Etat souverain en matière d’avoirs financiers.
La troisième conséquence a été la disparition totale de la Libye de la carte africaine en tant qu’Etat.
Aujourd’hui, la Libye est essentiellement une sorte de terra incognita. Elle est essentiellement sous la coupe de deux gouvernements fantoches qui se partagent ses dépouilles en complicité avec le gang de l’impérialisme international.
Nous avons d’une part le gouvernement de Fayez al-Sarraj, qui gouverne essentiellement le territoire autour de Tripoli. Ce gouvernement-là est appelé le “gouvernement d’union nationale”, le GNA. Il contrôle essentiellement, comme je l’ai rappelé, Tripoli, la capitale, ainsi que les zones à l’impôt avec des milices partenaires.
Ces milices ont chassé les terroristes dits de l’organisation de l’Etat islamique dans certaines villes. Ces milices, avec le gouvernement de Fayez al-Sarraj, règnent sur Tripoli depuis la chute de Mouammar Kadhafi.
Ensuite, vous avez également l’Armée nationale de libération, qui est dirigée par un ancien proche de Kadhafi. Il s’appelle Khalifa Haftar. Il contrôle essentiellement les régions de l’est du pays où se situent les principaux gisements pétroliers ainsi que la ville de Benghazi, qui est le foyer contestataire à partir duquel l’OTAN et le Qatar ont organisé la déstabilisation de la Libye. Ce qui a ouvert la porte à une résolution des Nations Unies, la Résolution 1973 sur la fameuse responsabilité de protéger la population libyenne contre le régime de Mouammar Kadhafi, et de « prendre toutes mesures nécessaires, pour protéger les populations et les zones civiles menacées ».
Tout cela s’est fait avec un mandat onusien qui a été outrepassé.
Ce mandat lui-même était une insulte parce qu’il était fondé sur des éléments somme toute contestables : les prétendus massacres attribués au régime de Kadhafi n’existaient pas. Les images qui ont été montrées ont été tournées dans les studios de la télévision qatarie Al-Jazira. Il s’agissait donc essentiellement de fake-news, de manipulations. L’ensemble de cette opération a permis de justifier l’invasion de la Libye par l’OTAN.
Cependant, dans les faits, on peut distinguer deux ou trois raisons principales à cette invasion de la Libye.
La première raison, c’est essentiellement une raison de politique intérieure. En ce qui concerne la France, Nicolas Sarkozy a précipité l’assassinat de Mouammar Kadhafi et la destruction de la Libye parce qu’il était sous le coup d’une inculpation en France sur le financement illicite de sa campagne avec des fonds libyens. Un certain nombre d’investigations menées par des journalistes du Monde et de Mediapart ont révélé que Nicolas Sarkozy a reçu des millions de dollars. On parle de plus de 60 millions de dollars reçus de la part de Kadhafi pour financer sa campagne de 2007.
La deuxième raison de l’invasion et de l’assassinat du guide de la Jamahiriya arabe libyenne Mouammar Kadhafi, c’est que l’OTAN n’a eu de cesse de lui déclarer depuis au moins 30-40 ans une guerre perpétuelle. Vous savez que le guide libyen a pris le pouvoir le 1er novembre 1969, en renversant le roi Idriss Ier, qui avait été installé au pouvoir par l’Empire ottoman et qui jouissait d’un soutien des puissances impérialistes. Il a été renversé en 1969 sans effusion de sang par le colonel Kadhafi et certains de ses proches, essentiellement des jeunes officiers. Ces jeunes officiers se sont inspirés des travaux et du modèle de Gamal Abdel Nasser, en Égypte, qui prit également le pouvoir quelques années plus tôt, avec des jeunes officiers, en renversant la monarchie égyptienne.
La politique de Kadhafi était essentiellement une politique tiers-mondiste, une politique internationaliste, une politique de souveraineté du peuple libyen et de contrôle des richesses libyennes pour le bien de ce peuple. Cette politique était mal perçue par les puissances impérialistes, essentiellement les Etats-Unis, la France, le Canada, Israël et l’Arabie saoudite.
Vous avez également une raison qu’on ne cite pas beaucoup : celle liée à la fermeture des bases militaires étrangères à partir de 1969. Dès sa prise de pouvoir, Kadhafi ferme l’ensemble des bases militaires étrangères qui étaient installées dans le pays. Il s’agissait de bases US et britanniques qui permettaient aux troupes de l’OTAN de bombarder des pays arabes environnants. Cette politique nationaliste ne plaît pas à l’Occident. D’ailleurs, le dirigeant libyen échappa à plusieurs tentatives d’assassinat. On peut mentionner celle de 1986, qui a visé des résidences principales, dont celle de Babel Haziza, où il a perdu sa fille adoptive, tuée par des bombardements ordonnés par Ronald Reagan.
Il est important de le mentionner également : la volonté occidentale d’empêcher la naissance d’un panafricanisme révolutionnaire mené par Mouammar Kadhafi à partir de 2000, notamment au lendemain du sommet de Syrte qui a vu la naissance de l’Union africaine. Kadhafi avait essentiellement une politique panafricaniste qui visait à terme de lancer le Fonds monétaire africain dont le siège serait basé à Yaoundé, au Cameroun. Il visait également la création d’une banque d’investissement à l’échelle africaine et avait plusieurs projets structurants qui devaient permettre à l’Afrique d’amorcer son décollage. Il faut dire que le fonds souverain libyen, qui disposait d’une manne financière liée au pétrole d’un peu plus de 200 milliards de dollars, devait servir à jeter les bases du financement de ces différentes institutions financières qui devaient remplacer la Banque mondiale et le FMI. En effet, ces dernières asservissent les pays africains à travers des prêts liés, mais surtout des programmes de privatisations ruineuses dans les pays africains.
Cette politique de développement national est née sur l’échec du panarabisme. Mouammar Kadhafi, va développer un panafricanisme de type révolutionnaire, avec de grands projets structurants pour le bien de l’Afrique, et cela n’a pas plu aux puissances impérialistes de l’OTAN. Il faut rappeler que l’OTAN n’est que le bras armé de l’impérialisme anglo-américain, c’est-à-dire les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, accompagnés de quelques pays, dont la France qui a intégré le commandement de l’OTAN à partir de 2007 avec Nicolas Sarkozy.
Je voudrais ajouter une dernière analyse sur la situation libyenne. La Libye aujourd’hui est devenue le théâtre d’opérations terroristes criminelles et d’invasions extérieures notamment des forces turques. Ces dernières, depuis le 5 janvier 2020, sont autorisées par le Parlement turc à se déployer en Libye pour soutenir le gouvernement de Fayez al-Sarraj à Tripoli, gouvernement fantoche aux mains des puissances impérialistes et de l’OTAN.
Ensuite, vous avez toujours dans cette même logique l’ensemble des pays du nord, de l’Arabie saoudite, du Qatar qui sont présents en Libye. Ils sont présents en Libye à travers des milices. Vous avez le Parlement égyptien, qui a également autorisé l’envoi de troupes égyptiennes pour aller combattre en Libye. Et derrière tout cela, vous avez la France qui appuie militairement les troupes de Khalifa Haftar, soutenu également par certaines puissances impérialistes.
L’ensemble de cette situation contribue à fragiliser la stabilité et la sécurité en Libye et à mettre le pays dans une situation chaotique, avec une absence d’Etat et la déstructuration des différentes tribus qui composaient le ciment même de la société libyenne, que Kadhafi avait réussi à pacifier en plusieurs décennies. Au niveau des alliances intertribales, mais également à travers des fusions entre les régions de la Cyrénaïque, les régions de Tripoli et la région de Benghazi, aujourd’hui, la Libye n’existe plus en tant qu’État, mais même sa survie en tant que nation n’est plus réelle.
La Libye, aujourd’hui, permet également la déstabilisation de l’ensemble des pays de la sous-région et du Sahel. C’est à partir de la Libye que les milices ont été armées par la France essentiellement, mais également par l’OTAN, pour descendre et déstabiliser le Niger, déstabiliser la Centrafrique, déstabiliser le Mali, le Burkina Faso, le Tchad. Donc c’est à la fois un foyer de tensions, qui menace la paix et la sécurité en Libye, mais également dans l’ensemble de la sous-région africaine, notamment au niveau du Sahel et au niveau de la Centrafrique.
Il est important de noter cela et de dire que la destruction de la Libye participait même d’un agenda géopolitique à la fois interne à la France et d’une volonté d’étendre le fait terroriste dans l’ensemble du Sahel et des pays africains.
Voilà la responsabilité historique et criminelle des Etats-Unis sous Barack Obama, un président noir de surcroît, qui a déstructuré l’Afrique à la fois en Côte d’Ivoire et en Libye, en favorisant l’assassinat de Kadhafi. Vous avez également la responsabilité de Nicolas Sarkozy, des pays de l’OTAN et de beaucoup d’autres pays, notamment le Qatar et l’Arabie Saoudite.
Pour résumer, je dirais que la Libye a été victime d’une conspiration internationale, portée par des puissances impérialistes colonialistes la France, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la Turquie.
- Vous êtes le coordinateur du Conseil panafricain de Belgique, co-organisateur du rassemblement. Pouvez-vous nous présenter le conseil panafricain ?
Le Conseil panafricain est essentiellement une organisation de la société civile, mais avec un but panafricain qui vise à soutenir toutes les initiatives et toutes les actions favorisant la souveraineté du peuple africain et l’unité africaine au sens défini par Kwame Nkrumah. Cela implique une politique fédérale au niveau continental et un bloc militaire unifié au plan africain. Et bien évidemment, le Conseil panafricain vise à permettre à la diaspora africaine de jouer son rôle, qui est de deux ordres ; celui de l’alerte à travers des publications et des interpellations, mais également celui de la mobilisation à travers des actions de manifestations, de sitting, de dénonciations dans les médias et d’interpellations. Et en troisième lieu, le Conseil panafricain vise également à favoriser toutes les initiatives qui permettront aux Africains de se prendre en charge et d’avoir de meilleurs standards économiques et sociaux.
En gros, vivre mieux et décemment, voilà l’ensemble des raisons qui structurent le Conseil panafricain et nous serons aux côtés des dirigeants qui favorisent ces différentes initiatives. C’est à dire des initiatives qui réaffirment la dignité de l’Homme noir, l’Homme africain qui est aujourd’hui méprisé par tous, parce que nous avons des dirigeants fantoches, corrompus, incompétents, soutenus par des puissances impérialistes, qui trônent au sommet de nos Etats. Voilà les trois axes majeurs qui fondent le travail du Conseil panafricain.
- Quelles perspectives voyez-vous pour le Mali après le coup d’Etat du 18 août 2020 ?
Le mardi 18 août 2020, il y a eu effectivement l’éviction du président Ibrahim Boubacar Keita par des soldats maliens. Tout cela est parti essentiellement d’une mutinerie au camp militaire de Kati. Il s’agit d’un camp situé au nord de Bamako, à plus ou moins 15 kilomètres de la capitale politico-administrative du Mali. Alors, ce coup d’État est essentiellement perpétré par quelques officiers de l’armée malienne menés par le colonel Assimi Goita et ses adjoints. Ils ont pris fait et cause pour le peuple malien qui manifeste depuis plusieurs semaines contre la gouvernance oligarchique et ploutocratique d’Ibrahim Boubacar Keita, une gouvernance synonyme de pillage, de parjure et d’échec au plan social et économique. Il faut dire que, en réalité, le Mali était dans une situation de déliquescence avancée à trois niveaux, essentiellement au plan interne.
Primo, il y a cette gouvernance, comme je l’ai rappelé, essentiellement caractérisée par l’échec : échec à respecter la Constitution, échec à respecter les engagements, échec à faire respecter l’intégrité territoriale du Mali, ce qui fait qu’aujourd’hui, plus des deux tiers du territoire malien échappent au contrôle du pouvoir central.
Secundo, il y a cet échec à offrir au peuple malien des perspectives économiques heureuses.
Tertio, par la suite, vous avez également la situation géopolitique. Le Mali est sous la menace depuis 2011, avec des rapts d’otages, essentiellement dans le nord du Mali, à la frontière algérienne. Cette situation géopolitique, comme je le rappelle, est liée essentiellement à une horde de groupes terroristes et djihadistes qui sont descendus de la Libye après l’assassinat de Khadafi. Il faut rappeler que le Mali n’a pas de frontière avec la Libye, c’est à travers le Niger que les terroristes se sont enfoncés dans le pays. Ces hordes de rebelles n’ont pas été désarmées par le pouvoir de Amadou Toumani Touré (président malien entre 2002 et 2012), qui les a laissé prospérer.
Et de fil en aiguille, avec des soutiens impérialistes internationaux, ces rebelles ont pris possession essentiellement de territoires dans la région du nord du Mali, du côté de Kidal. Ils ont ensuite progressé vers Gao et Tombouctou, où les mausolées ont été détruits et la population terrorisée.
Ces groupes sont essentiellement AQMI, vous avez également l’État islamique et le Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO). Tous ces terroristes, en réalité, ne sont que des franchises d’une même structure qui opère sous le parapluie de puissances impérialistes.
Cette situation a justifié l’opération militaire menée au Mali par l’Armée française, à partir de 2013, l’Opération Serval, par décision du président français, François Hollande. Celui-ci a prétexté la nécessité d’un soutien aux autorités maliennes. Mais en réalité, il ne s’agissait pas de cela. C’était tout simplement un agenda politique français qui comprenait la réoccupation du Nord-Mali et de l’ensemble du Sahel. Cela a donné lieu, en 2014, au déploiement de la force militaire Barkhane. Cette opération militaire s’étend sur cinq pays qui constituent le cœur de ce que nous appelons le G5 Sahel : la Mauritanie, le Niger, le Burkina Faso, le Mali et le Tchad.
L’ensemble de ces pays est aujourd’hui sous parapluie français. Sans oublier que Paris est passé sous pavillon américain depuis 2007. Pour toutes ces raisons-là, le Mali se retrouve aujourd’hui être le pivot de la politique de l’opération militaire Barkhane.
Cette politique fait que plus des deux tiers du territoire malien échappent au pouvoir central. Et pendant ce temps, vous avez une multitude de forces internationales qui sont présentes au Mali : la force européenne, la Minusma, la mission des Nations unies au Mali. Vous avez également la force française Barkhane, qui, elle, est stationnée essentiellement dans la zone de Gao, mais aussi du côté de Kidal, puisqu’elle soutient les mouvements rebelles touareg.
Tout bien pesé, cela participe d’un même agenda géopolitique organisé, financé et structuré par les puissances impérialistes pour pouvoir contrôler le Sahel et l’ensemble du golfe de Guinée. Voilà ce que l’on peut dire sur la situation malienne.
Le second point qu’il faut retenir sur la situation malienne est le rôle en première ligne de la CEDEAO (Communauté Economique des Etats d’Afrique de l’Ouest). Celle-ci apparaît aujourd’hui comme une véritable fédération de chefs d’État qui œuvrent contre les intérêts des populations africaines en maintenant ces dernières dans le joug à la fois d’une recolonisation et de leur pouvoir politique. Un pouvoir parjure, un pouvoir d’échec, un pouvoir de routine sur le plan social et économique, comme en Côte d’Ivoire avec Alassane Ouattara, au Togo avec Faure Gnassingbé, en Guinée avec le président Alpha Condé.
Vous avez également la même logique avec Ibrahim Boubacar Keïta qu’on essaie aujourd’hui de remettre en selle. Lorsque nous voyons les sanctions qui ont été décidées à l’encontre la junte malienne par la CEDEAO, elles sont disproportionnées et elles sont illégitimes parce qu’elles tendent à justifier le soutien diplomatique et politique de la CEDEAO à un président contre les plus de 25 millions d’habitants que représentent les Maliens. Lorsqu’on consulte les protocoles de la CEDEAO relatifs à la bonne gouvernance et à la démocratie, il n’est prévu nulle part des sanctions contre un Etat souverain.
Aujourd’hui, la CEDEAO a outrepassé son mandat et elle viole son propre traité pour pouvoir faire avancer un ordre impérialiste qui est contraire aux aspirations des peuples ouest-africains. Et dans tout cet agenda géopolitique, le rôle crucial d’Alassane Ouattara au Mali est central depuis 2012 et 2014, et ce jusqu’à 2020. Alassane Ouattara y est pour beaucoup dans l’absence de démocratie, le soutien à la tyrannie d’Ibrahim Boubacar Kéita, le soutien également aux forces impérialistes qui agissent dans le Sahel. Sans oublier le soutien à la destruction du projet de la monnaie unique de la CEDEAO : l’Eco.
- Peut-on résumer de la façon suivante : la lutte contre le président actuel du Mali est une volonté d’une souveraineté économique du pays, la fin du pillage des ressources au bénéfice de la France et d’autres puissances ?
Oui, d’autant plus que la souveraineté économique n’est que l’autre versant de la souveraineté politique. En chassant IBK, les Maliens espèrent changer d’orientation économique marquée depuis 1991 par un capitalisme néolibéral émasculant et ruineux. Entre 1991 et 2013, plus des deux tiers des entreprises publiques ont été privatisées sur fond de corruption
07 Sep 2020, Investig’Action