Témoignage de Mahmoud Muna
Ecrivain et militant palestinien, il dirige la librairie Educational Bookshop, Jérusalem
Le texte suivant reproduit des posts mis en ligne par Mahmoud Muna sur sa page Facebook au fil des derniers jours. Repris notamment par The Independent, ils sont ici mis en forme et traduits par la rédaction d’Orient XXI. Ahmad Gharabli
Les affrontements et la violence autour de la porte de Damas à Jérusalem ont fait couler beaucoup d’encre ces dernières semaines, mais en tant que résident de longue date de la ville, j’ai un point de vue unique sur les jeunes qui vivent dans et autour de la Vieille Ville. La clé de toute compréhension réelle des événements est la relation profonde qui existe entre les résidents palestiniens de la Vieille Ville et l’espace public entourant leurs maisons — c’est une relation que même les Palestiniens vivant à l’extérieur de ses murs sous-estiment souvent.
Au-delà des responsabilités religieuses et nationales évidentes que les habitants de la Vieille Ville ressentent à l’égard de leur ancienne ville natale, ils considèrent les espaces publics comme leurs propres jardins, où ils se retrouvent sur les terrasses et leurs magnifiques balcons jusque tard les nuits d’été.
A nulle autre pareille.
Jérusalem, est une ville à nulle autre pareille. Reconnue comme un site du patrimoine mondial de l’humanité par l’Unesco, elle est un concentré de richesses patrimoniales pour le monde entier.
Bas du formulaire
Les rues sont étroites, les maisons de la Vieille Ville sont surpeuplées, et peu de permis de construire ou de rénovation sont accordés aux résidents palestiniens. Cela explique pourquoi les familles (et les jeunes en particulier) affluent vers la vaste Porte de Damas pour trouver de l’espace.
Tout au long de ma vie, et plus encore ces dernières années, la porte de Damas (ou Bab Al-Amoud comme nous l’appelons), est devenue un lieu de rassemblement et de vie sociale. Les jeunes s’y retrouvent, fument et mangent des sucreries. Au fil des ans, la place en forme d’amphithéâtre était devenue la scène de spectacles culturels, notamment d’événements musicaux, de street art, de danse traditionnelle et même de parkour.
Tout a changé le premier jour du ramadan de cette année, lorsque les autorités israéliennes ont empêché les gens de se rassembler autour des grands escaliers (que les habitants appellent « les chaises ») avec des barrières métalliques, et n’ont autorisé qu’un accès à pied étroit par les petites marches. Les jeunes Palestiniens ont considéré cette mesure comme une provocation et ont organisé des manifestations nocturnes pour récupérer l’espace.
La détermination et l’engagement en faveur d’une manifestation pacifique se sont accrus. Après quelques jours de scepticisme, la communauté palestinienne au sens large s’est rapidement ralliée à la cause des jeunes. Les demandes étaient claires comme de l’eau de roche : « retirer les barrières autour des grands escaliers et rouvrir la zone des « chaises » ».
La police israélienne a essayé à plusieurs reprises de persuader les jeunes d’accepter la fermeture des escaliers, en vain. C’est à ce moment qu’on s’est rendu compte qu’il n’y avait en fait aucun leader pour ce mouvement, aucun parti ni dirigeant politique impliqué.
Bien sûr, le désespoir, l’absence d’avenir et le sentiment croissant d’oppression et de discrimination sont autant de facteurs qui alimentent la colère et ce cycle de confrontations. Le point de basculement a toutefois eu lieu lorsque des groupes juifs ultranationalistes se sont rassemblés et ont défilé en scandant « mort aux Arabes », avant que des affrontements n’éclatent dans les rues de Jérusalem au vu et au su des forces israéliennes.
Le 22 avril, les choses se sont précipitées. Environ 120 Palestiniens ont été blessés en l’espace d’une nuit. Les manifestations se sont multipliées et intensifiées. Deux jours plus tard, le dimanche soir, la police a décidé de retirer les barrières et d’ouvrir les escaliers de la Porte de Damas.
Une petite victoire
Des habitants de Jérusalem de tous âges et de toutes origines ont afflué sur la place pour célébrer l’événement par une nuit de fête exceptionnelle. Ce n’était qu’une petite victoire, mais treize nuits de manifestations continues avaient finalement porté leurs fruits, et l’espace social le plus important de la ville pour les Palestiniens était enfin rouvert. À l’heure où j’écris ces lignes, cette histoire reste inachevée : les forces israéliennes continuent de se déployer en grand nombre autour de la porte de Damas et la tension est vive.
En s’opposant à la politique israélienne par le biais de la protestation — et contrairement à la voie bloquée vers les élections palestiniennes —, la jeunesse de Jérusalem présente un autre modèle de leadership et de mobilisation, marqué par la spontanéité, la participation communautaire et sociale.
À moins d’un kilomètre de la porte de Damas, le quartier de Sheikh Jarrah est devenu le théâtre d’une nouvelle manifestation la semaine dernière. Dans ce quartier historique, les propriétaires de 28 maisons sont menacés d’expulsion par un groupe de colons israéliens ultranationalistes. Les Palestiniens du quartier ont manifesté pacifiquement en solidarité avec les familles, et bien que la bataille juridique ne soit pas encore terminée, il est clair que les tribunaux israéliens manipulent à nouveau la loi en faveur des organisations de colons juifs revendiquant les maisons de ceux qui vivaient là avant même la création d’Israël il y a sept décennies.
Chaque jour, les résidents palestiniens sont soumis à la violence militaire et à celle des colons armés, qui attaquent les civils à la table de l’iftar de solidarité dressée en plein air. Le jeudi 6 mai, l’armée a déployé d’importantes forces pour protéger le bureau de fortune du membre de la Knesset Itamar Ben Gvir, un politicien d’extrême droite qui fait passer Benyamin Nétanyahou pour un communiste en comparaison ! Une fois de plus, l’armée a été à pied d’œuvre pour défendre un groupe de colons. Ils sont le visage le plus laid d’Israël.
Dans la Vieille Ville et autour de la mosquée Al-Aqsa, les Palestiniens doivent supporter l’attitude violente et agressive des soldats israéliens, dont beaucoup n’ont pas plus que 18 ou 19 ans. Des militaires inexpérimentés qui reçoivent des mitraillettes avec des balles en caoutchouc et des balles réelles, stationnés derrière des barrières métalliques installées là où des milliers de Palestiniens tentent d’accéder à leur lieu saint. Ils sont en permanence prêts à intervenir, considérant chaque Palestinien en mouvement comme un risque potentiel, qu’il s’agisse d’un homme, d’une femme ou d’un enfant.
Des années d’endoctrinement à dire qu’ils défendent leur peuple contre un nouvel holocauste, comme si nous avions quelque chose à voir avec l’aryanisme européen ! Sauf à en payer le prix fort — perdre notre patrie et vivre sous l’oppression et le racisme depuis 1948.
L’escalade Israélienne
Dans la nuit du vendredi 7 mai, l’armée israélienne a poursuivi l’escalade. Effrayée par la présence de 70 000 Palestiniens, elle a pris d’assaut l’enceinte de la mosquée Al-Aqsa et a littéralement tiré sur les personnes qui priaient. Plus de 200 Palestiniens ont été hospitalisés, dont beaucoup ont été blessés à la tête et aux yeux. Au moins un homme a perdu la vue.
Tout cela se passe dans un contexte d’échec de la démocratie israélienne, sans gouvernement viable après quatre élections en deux ans. Une cinquième élection est probablement en vue. Les cas de corruption et les scandales abondent, allant de la tête de l’échiquier politique israélien à des cas de viols de la part de ses dirigeants religieux. Pourtant, une fois de plus, ce sont les Palestiniens qui paient le prix d’une telle anarchie.
La société israélienne et son establishment politique sont profondément inquiets, mais ils refusent de voir que c’est l’occupation militaire qui est le problème ici. En effet, pour nous, l’occupation est le principal obstacle à notre libération et à notre liberté.
Nous en avons assez de l’occupation et de tout ce qui l’accompagne, et nous ne pouvons pas continuer à jouer les psychiatres de la société israélienne. Nous sommes les occupés, pas les occupants, nous sommes les opprimés, pas les oppresseurs, nous sommes les colonisés, pas les colonisateurs. Pour le bien-être de tous ceux qui vivent entre le fleuve et la mer, il faut mettre fin à cette occupation. Elle n’a que trop duré.