* Ramzy Baroud est journaliste, auteur et rédacteur en chef de Palestine Chronicle
À l’origine de la nouvelle flambée de violence au Proche-Orient, il y a les expulsions de familles palestiniennes dans le quartier de Sheikh Jarrah à Jérusalem. On a pu voir des manifestations de Palestiniens, des raids de la police israélienne ou même la démonstration de force de colons extrémistes. Mais ce n’est qu’une partie de l’histoire, explique Ramzy Baroud… (IGA)
Il y a deux histoires distinctes de Sheikh Jarrah : l’une est lue et retransmise sur les chaînes d’information, et l’autre reçoit peu de couverture médiatique ou d’analyse appropriée.
L’histoire évidente est celle des raids de nuit et la violence infligés par la police israélienne et les juifs fascisants contre les Palestiniens dans le quartier dévasté de Jérusalem-Est. Pendant des semaines, des milliers d’extrémistes juifs ont pris pour cible les communautés palestiniennes de la vieille ville de Jérusalem. Leur objectif est le retrait des familles palestiniennes de leurs maisons dans le quartier de Sheikh Jarrah.
Ils n’agissent pas seuls. Leurs émeutes et leurs déchaînements sont sous contrôle d’une direction bien coordonnée composée de groupes extrémistes sionistes et juifs, tels que le parti Otzma Yehudit et le mouvement Lehava. Leurs prétentions infondées, leurs actions violentes et leurs cris répugnants de « Mort aux Arabes » sont approuvés par des politiciens israéliens, tels que le membre de la Knesset Itamar Ben-Gvir et le maire adjoint de Jérusalem, Arieh King.
Voici une petite introduction au discours politique de Ben-Gvir et King, qui ont été filmés en train de crier et d’insulter un manifestant palestinien blessé. La vidéo commence avec le député Ben-Gvir criant de façon obscène sur un Palestinien qui aurait été blessé par la police israélienne, mais qui est revenu pour protester contre les expulsions prévues pour Sheikh Jarrah.
Ben-Gvir peut être entendu en train de crier : “Abou Houmous, comment va ton cul ?” “La balle est toujours là, c’est pourquoi il boite ”, répond le maire adjoint King à Ben-Gvir. King continue : “Ont-ils pris la balle de ton cul ? L’ont-ils déjà retiré ? C’est dommage qu’elle ne soit pas entrée ici ”, poursuit King en montrant sa tête. Ravis de ce qu’ils considèrent comme un commentaire comique sur la blessure infligée au Palestinien, Ben-Gvir et l’entourage de King, fait d’une clique d’extrémistes juifs, se mettent à rire.
Alors que “Abu Hummus”, blessé, mais toujours en train de protester, témoigne de la ténacité du peuple palestinien, Ki, g, Ben-Gvir, les colons et la police sont une représentation du front uni israélien visant à nettoyer ethniquement les Palestiniens et à assurer une majorité juive à Jérusalem.
Un autre contributeur important à la campagne israélienne de nettoyage ethnique en cours à Jérusalem est le système judiciaire israélien qui a fourni une couverture juridique aux attaques à l’encontre des habitants palestiniens de Jérusalem.
Le fondement juridique des tentatives constantes des colons juifs d’acquérir plus de propriétés palestiniennes, peut être attribué à une loi spécifique de 1970, connue sous le nom de “loi sur les questions juridiques et administratives”, qui permettait aux Juifs de poursuivre les Palestiniens pour des propriétés qu’ils prétendaient posséder avant l’établissement d’Israël sur les ruines de la Palestine historique en 1948.
Alors que les Palestiniens se sont toujours vus interdits de faire des réclamations similaires, les tribunaux israéliens ont généreusement remis des maisons, des terres et d’autres biens palestiniens aux requérants juifs. À leur tour, ces maisons, comme dans le cas de Sheikh Jarrah et d’autres quartiers palestiniens de Jérusalem-Est, sont souvent vendues à des organisations de colons juifs pour construire encore plus de colonies sur les terres palestiniennes occupées.
En février dernier, la Cour suprême israélienne a accordé aux colons juifs le droit à de nombreuses maisons palestiniennes à Sheikh Jarrah. À la suite d’un retour de bâton palestinien et international, elle a offert aux Palestiniens un “compromis”, par lequel les familles palestiniennes ont renoncé à leurs droits de propriété sur leurs maisons et ont accepté de continuer à y vivre en tant que locataires, payant des loyers aux colons juifs – totalement illégaux au regard du droit international – qui ont volé leurs maisons, mais qui sont désormais armés d’une décision de justice.
Cependant, la « logique » par laquelle les Juifs revendiquent les propriétés palestiniennes comme étant les leurs ne devrait pas être uniquement associée à quelques organisations fascisantes. Après tout, le nettoyage ethnique de la Palestine en 1948 n’était pas l’œuvre de quelques sionistes “extrémistes”.
De même, l’occupation illégale de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza en 1967 et la colonisation massive qui a suivi n’ont pas été l’idée de quelques individus déjantés.
Le colonialisme en Israël était et reste un projet géré par l’État, qui vise en bout de course à atteindre le même objectif que celui qui est visé à Sheikh Jarrah : le nettoyage ethnique des Palestiniens pour assurer une majorité démographique juive.
C’est l’histoire inédite de Sheikh Jarrah, une histoire qui ne peut être exprimée par quelques octets d’informations ou des publications sur les réseaux sociaux. Cependant, la partie la plus pertinente du récit est en grande partie cachée. Il est plus facile de blâmer quelques extrémistes juifs que de demander des comptes à l’ensemble du gouvernement israélien.
Le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, manipule constamment le sujet de la démographie pour faire avancer les intérêts de son public juif. Il croit fermement en un État juif exclusif et est également pleinement conscient de l’influence politique des colons juifs.
Par exemple, peu avant les élections du 23 mars, Netanyahu a pris la décision de donner le feu vert à la construction de 540 unités de colonies illégales dans la zone dite Har-Homa E (montagne Abu Ghneim) en Cisjordanie occupée, dans l’espoir d’acquérir autant de votes que possible.
Alors que l’histoire de Sheikh Jarrah attire une certaine attention même dans les médias américains dominants, il y a une absence presque totale de toute profondeur à cette couverture, à savoir le fait que Sheikh Jarrah n’est pas l’exception, mais la norme.
Malheureusement, alors que les Palestiniens et ceux qui les soutiennent tentent de contourner la censure généralisée des médias en s’adressant directement aux sociétés civiles du monde entier à l’aide de plateformes de médias sociaux, ils y sont également souvent censurés.
L’une des vidéos initialement censurées par Instagram est celle de Muna al-Kurd, une Palestinienne qui avait perdu sa maison à Sheikh Jarrah au profit d’un colon juif du nom de Yakub.
“Yakub, tu sais que ce n’est pas ta maison”, dit Muna devant sa maison, s’adressant à Yakub.
Yakub répond : “Oui, mais si je pars, tu ne reviens pas. Donc quel est le problème ? Pourquoi tu me cries dessus ? Je n’ai pas fait ça. Je n’ai pas fait ça. C’est facile de me crier dessus, mais je ne l’ai pas fait.
Muna : “Tu voles ma maison.”
Yakub : “Et si je ne la vole pas, quelqu’un d’autre va la voler.”
Muna : “Non. Personne n’est autorisé à la voler.”
L’histoire inédite de Cheikh Jarrah, de Jérusalem – en fait, de toute la Palestine – est celle de Muna et Yakub, le premier représentant la Palestine, le second, Israël. Pour que justice soit enfin rendue, Muna doit être autorisée à récupérer sa maison volée et Yakub doit être tenu responsable de son crime.
15 Mai 2021 Investig’actinon