En prévision du prochain rassemblement de l’ONU sur le changement climatique, qui aura lieu en Égypte en novembre, Vijay Prashad explique comment les gouvernements peuvent assumer leurs « responsabilités communes mais différenciées » pour éviter une catastrophe.
En novembre, la plupart des États membres des Nations Unies se réuniront dans la station balnéaire égyptienne de Charm el-Cheikh pour la Conférence annuelle des Nations Unies sur les changements climatiques.
C’est la 27ème conférence chargée d’évaluer la Convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique, communément appelée COP 27. Le traité international sur l’environnement a été établi à Rio de Janeiro en 1992, et la première conférence s’est tenue à Berlin en 1995 ; les accords ont été prorogés dans le Protocole de Kyoto de 2005 et complétés par l’Accord de Paris de 2015.
Il n’y a pas besoin d’en dire plus sur la catastrophe climatique, qui menace l’extinction massive des espèces. L’abandon du carburant à base de carbone a été bloqué par trois obstacles principaux :
Des forces de droite qui nient l’existence du changement climatique.
Des sections de l’industrie de l’énergie qui ont un intérêt direct dans la poursuite du carburant à base de carbone.
Le refus des pays occidentaux d’admettre qu’ils sont les premiers responsables du problème et de s’engager à rembourser leur dette climatique en finançant la transition énergétique dans les pays en développement dont ils continuent de siphonner les richesses.
Dans les débats publics sur la catastrophe climatique, il n’y a pratiquement aucune référence au Sommet de la Terre de Rio de 1992 et au traité qui notait :
« La nature mondiale du changement climatique exige la coopération la plus large possible de tous les pays et leur participation à une réponse internationale efficace et appropriée, conformément à leurs responsabilités communes, mais différenciées, et à leurs capacités respectives et à leurs conditions sociales et économiques. » “UNITED NATIONS FRAMEWORK CONVENTION ON CLIMATE CHANGE” 1992
L’expression « responsabilités communes mais différenciées » est une reconnaissance du fait que si le problème du changement climatique est commun à tous les pays et qu’aucun n’est à l’abri de son impact délétère, la responsabilité des pays n’est pas identique. Certains pays – qui ont bénéficié du colonialisme et du carburant carbone pendant des siècles – ont une plus grande responsabilité dans la transition vers un système énergétique décarboné.
La réponse est claire : les pays occidentaux ont bénéficié excessivement du colonialisme et du carburant carbone pour atteindre leur niveau de développement. Les données du Global Carbon Project, qui était dirigé par le défunt Carbon Dioxide Information Analysis Center du département de l’Énergie des États-Unis, montrent que les États-Unis sont de loin le plus grand producteur d’émissions de dioxyde de carbone depuis 1750.
À eux seuls, les États-Unis ont émis plus de CO2 que l’ensemble de l’Union européenne, deux fois plus que la Chine et huit fois plus que l’Inde. Les principaux émetteurs de carbone étaient toutes les puissances coloniales, à savoir les États-Unis, l’Europe, le Canada et l’Australie, qui, bien qu’elles ne représentent environ qu’un 10e de la population mondiale, sont à l’origine de plus de la moitié des émissions mondiales cumulées.
Du 18ième siècle plus tard, ces pays ont non seulement dispersé la majeure partie du carbone dans l’atmosphère, mais ils continuent de dépasser leur part du budget carbone mondial.
Le capitalisme alimenté par le carbone, enrichi par les richesses volées par le colonialisme, a permis aux pays d’Europe et d’Amérique du Nord d’améliorer le bien-être de leurs populations et d’atteindre un niveau de développement relativement avancé. Les inégalités extrêmes entre le niveau de vie de l’Européen moyen (748 millions de personnes) et de l’Indien moyen (1,4 milliard de personnes) sont sept fois plus grandes qu’il y a un siècle.
Bien que la dépendance de la Chine, de l’Inde et d’autres pays en développement à l’égard du carbone, en particulier du charbon, ait atteint un niveau élevé, leurs émissions par habitant continuent de rester bien inférieures à celles des États-Unis, où les émissions par habitant sont près de deux fois supérieures à celles de la Chine et huit fois plus que celles de l’Inde.
Le manque de reconnaissance de l’impérialisme climatique conduit à un échec à doter correctement le Fond vert pour le climat le, qui a été créé en 2010 lors de la COP 16 dans le but d’aider les pays en développement à « sauter » le développement social alimenté par le carbone.
Au niveau mondial, les débats sur la manière de faire face à la crise climatique tournent souvent autour de diverses formes de Green New Deal (GND), telles que le Green Deal européen, le GND nord-américain et le GND mondial, qui sont promus par les États-nations, les organisations internationales et différentes sections des mouvements environnementaux.
Afin de mieux comprendre et renforcer cette discussion, le bureau du Tricontinental : Institute for Social Research à Buenos Aires, en Argentine, a réuni d’éminents chercheurs éco-socialistes pour réfléchir aux différents GNDs et aux possibilités de réaliser une véritable transformation pour éviter la catastrophe climatique.
Cette discussion – avec José Seoane (Argentine), Thea Riofrancos (États-Unis) et Sabrina Fernandes (Brésil) – est maintenant disponible dans le carnet n° 3 (août 2022), de The Socio-environmental Crisis in times of the Pandemic : Discussions a Green New Deal ».
Ces trois chercheurs soutiennent que le capitalisme ne peut pas résoudre la crise climatique puisque le capitalisme est la cause principale de la crise.
Cent des plus grandes entreprises du monde sont responsables de 71% des gaz à effet de serre industriels mondiaux (principalement le dioxyde de carbone et le méthane) ; ces entreprises, dirigées par l’industrie de l’énergie carbonée, ne sont pas prêtes à accélérer la transition énergétique, malgré la capacité technologique de générer 18 fois la demande mondiale d’électricité par l’énergie éolienne seule.“world Energy Outlook 2019, Electricity”
La durabilité, un mot qui a été vidé de son contenu dans beaucoup de discours publics, n’est pas rentable pour ces entreprises. Un projet d’énergie sociale renouvelable, par exemple, ne produirait pas d’énormes profits pour les entreprises de combustibles fossiles. L’intérêt de certaines entreprises capitalistes pour le GND est essentiellement motivé par leur désir d’obtenir des fonds publics pour créer de nouveaux monopoles privés pour la même classe capitaliste qui possède ces grandes entreprises qui polluent le monde.
Mais, comme l’explique Riofrancos dans le cahier, « le capitalisme vert » prétend atténuer les symptômes du capitalisme – le réchauffement climatique, l’extinction massive des espèces, la destruction des écosystèmes – sans transformer le modèle d’accumulation et de consommation qui a causé la crise climatique en premier lieu. C’est un « techno-fix » : le fantasme de tout changer sans rien changer.
La discussion générale sur le GND émerge, comme le souligne Seoane, d’initiatives telles que le rapport Pearce de 1989 « Blueprint for a Green Economy », qui a été préparé pour le gouvernement britannique et qui a proposé l’utilisation de fonds publics pour produire de nouvelles technologies pour les entreprises privées comme solution aux crises en cascade dans les économies occidentales.
Le concept de « l’économie verte » n’était alors pas d’écologiser l’économie, mais d’utiliser l’idée de l’environnementalisme pour revitaliser le capitalisme.
En 2009, pendant la crise financière mondiale, Edward Barbier, co-auteur du rapport Pearce, a écrit un nouveau rapport “global green new deal policy brief, March 2009, Unep pour le Programme des Nations Unies pour l’environnement intitulé « Global Green New Deal », qui a reconditionné les idées de « l’économie verte » en « new deal vert ». Ce nouveau rapport plaide une fois de plus en faveur de fonds publics pour stabiliser les turbulences dans le système capitaliste.
Notre projet émerge d’une généalogie différente, enracinée dans la « conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et les droits de la Terre Mère (2010) et la Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et la défense de la vie (2015), toutes deux tenues à Tiquipaya, en Bolivie, puis développées lors de rassemblements tels que le Forum mondial alternatif de l’eau (2018), le Sommet des peuples (2017) et le Forum des peuples sur la nature (2020).
Au cœur de cette approche, née des luttes populaires en Amérique latine, se trouvent les concepts « buen vivir » et « teko porã » (« bien vivre »). Plutôt que de simplement sauver le capitalisme, ce qui est la préoccupation de l’argumentaire GND, le but de notre projet est de penser à changer la façon dont nous organisons la société, en d’autres termes, de faire avancer notre réflexion sur la construction d’un nouveau système.
La construction de ces idées, dit Fernandes, doit impliquer les syndicats (dont beaucoup s’inquiètent de la perte d’emplois dans la transition du carbone aux énergies renouvelables) et les syndicats paysans (dont beaucoup sont saisis par le fait que la concentration des terres détruit la nature et crée des inégalités sociales).
Nous devons changer le système, comme le soutient Fernandes, « mais les conditions politiques actuelles ne sont pas propices à cela. La droite est forte dans de nombreux pays, tout comme le déni de la science du climat. » Par conséquent, rapidement, les mouvements populaires doivent mettre la décarbonisation à leur programme.
Quatre objectifs sont devant nous :
« Décroissance » pour les pays occidentaux. Avec moins de 5 % de la population mondiale, les États-Unis consomment un tiers du papier mondial, un quart du pétrole mondial, près d’un quart du charbon mondial et un quart de son aluminium. Le Sierra Club affirme Use It and Lose It: “The Outsize Effect of U.S. Consumption on the Environment”, 14 Septembre 2012 que la consommation par habitant des États-Unis « d’énergie, de métaux, de minéraux, de produits forestiers, de poisson, de céréales, de viande et même d’eau douce éclipse celle des personnes vivant dans les pays en développement ». Les pays occidentaux doivent réduire leur consommation globale, en réduisant, comme le dit Jason Hickel “ Degrowth : a response to Branko Milanovic”, 27 octobre 2020, in Jason Hickel.org ce qui est « inutile et destructeur » (tels que les industries des combustibles fossiles et de l’armement, la production de jets privés, la manière de produire du bœuf industriel et toute la philosophie commerciale de l’obsolescence programmée).
« Socialiser » le secteur clé de la production d’énergie. Mettre fin aux subventions à l’industrie des combustibles fossiles et construire un secteur public de l’énergie enraciné dans un système énergétique décarboné.
« Financer » le Programme mondial d’action pour le climat. Veiller à ce que les pays occidentaux s’acquittent de leurs responsabilités historiques en soutenant le Fonds vert pour le climat, qui sera utilisé pour financer la transition juste dans les pays du Sud en particulier.
« Améliorer le secteur public ». Construire plus d’infrastructures pour la consommation sociale plutôt que privée, comme plus de trains à grande vitesse et d’autobus électriques, afin de réduire l’utilisation des voitures privées. Les pays du Sud devront construire leurs propres économies, notamment en exploitant leurs ressources. La question ici n’est pas entièrement de savoir s’il faut exploiter ces ressources, mais si elles peuvent être extraites pour le développement social et national et pas seulement pour l’accumulation du capital. « Buen vivir » – bien vivre – signifie transcender la faim et la pauvreté, l’analphabétisme et la mauvaise santé, qui seront développés par le secteur public.
Aucune politique climatique ne peut être universelle. Ceux qui dévorent les ressources mondiales doivent réduire leur consommation. Deux milliards de personnes n’ont pas accès à l’eau potable, tandis que la moitié de la population mondiale n’a pas accès à des soins de santé adéquats. Leur développement social doit être garanti, mais ce développement doit être construit sur une base durable et socialiste.
Vijay Prashad est un historien, éditeur et journaliste indien. Il est t directeur de Tricontinental Institute for Social Research
Tricontinental : Institut de recherche sociale, 8 septembre 2022