Déclaration de l'initiative allemande « A bas les armes ! » à l'occasion de l'anniversaire de l'invasion de l'Ukraine par la Russie
Avec l'invasion de l'Ukraine par des troupes russes le 24 février 2022, la guerre de basse intensité qui dure depuis sept ans dans le Donbass – 14.000 morts selon l'OSCE, dont 4.000 civils, les deux tiers dans les territoires sécessionnistes – a dégénéré en une nouvelle qualité d'utilisation de la force militaire. L'invasion russe est une grave violation du droit international et a entraîné encore plus de morts, de destructions, de misère et de crimes de guerre.
Mais au lieu de saisir la chance d'un règlement par des négociations, qui ont d'abord eu lieu jusqu'en avril 2022, la guerre a été transformée en « guerre par procuration entre la Russie et l'OTAN » comme le disent ouvertement même des fonctionnaires du gouvernement américain. par ex. Hal Brands, membre du Foreign Affairs Board du State Department. Washington Post, 1.5.2022
Pourtant, la résolution de l'assemblée générale de l'ONU du 2 mars, dans laquelle 141 pays condamnaient l'invasion, avait déjà exigé le règlement immédiat du conflit « par un dialogue politique, des négociations, une médiation et d'autres moyens pacifiques » et demandé de « s'en tenir aux accords de Minsk » et également d'œuvrer expressément, dans le format Normandie, « de manière constructive à leur mise en œuvre complète ».
L’appel de la communauté mondiale est toutefois ignoré par tous les belligérants, même s'ils se réfèrent habituellement volontiers aux décisions de l'ONU – pour autant qu'elles conviennent à leur propre position.
La fin des illusions
Sur le plan militaire, Kiev est sur la défensive et sa capacité générale à mener une guerre se réduit. En novembre 2022 déjà, le chef d'état-major des armées américaines avait donc conseillé de négocier, car il considérait une victoire de Kiev comme irréaliste. Il l'a répété récemment à la réunion de l’OTAN à Ramstein. Mais tandis que la politique et les médias s'accrochaient à l'illusion de la victoire, la situation se détériorait pour Kiev. C'est le contexte de la dernière escalade: la livraison de chars de combat. Mais cela ne fait que prolonger la guerre. Elle ne peut pas être gagnée. Au lieu de cela, il s'agit d'une nouvelle étape sur une pente glissante : avec des avions de combat comme prochaine étape, ce que Kiev a rapidement exigé; et ensuite avec une participation directe des troupes de l'OTAN – et finalement jusqu'à l'escalade nucléaire ? L'Ukraine serait la première à disparaître.
Selon l'ONU, le nombre de morts civils s'élève à plus de 7.000 l'année dernière et les pertes en soldats sont estimées à des centaines de milliers. Ceux qui continuent à faire tirer au lieu de négocier doivent dire s'ils veulent encore gaspiller inutilement 100.000, 200.000 personnes, voire plus, pour des objectifs de guerre irréalistes. Une véritable solidarité avec l'Ukraine implique de s'engager pour que les tueries cessent le plus rapidement possible.
It‘s géopolitique - stupid !
La raison décisive pour laquelle l'Occident mise sur la carte militaire est que Washington y voit l'occasion d'affaiblir considérablement Moscou dans une guerre d'usure. Comme la domination mondiale des Etats-Unis touche à sa fin en raison du bouleversement du système international, on pense pouvoir réaffirmer ainsi sa prétention au leadership mondial, y compris dans la rivalité géopolitique avec la Chine. C'est tout à fait dans la ligne de ce que les Etats-Unis ont entrepris très vite après la guerre froide pour empêcher l'émergence d'un rival de la taille de l'Union soviétique. L'instrument le plus important a été l'expansion de l'OTAN vers l'Est, avec l'Ukraine comme « porte-avions insubmersible » aux portes de Moscou comme couronnement.
Parallèlement, l'intégration économique de l'Ukraine à l'Ouest a été accélérée par le traité d'association à l'UE, négocié à partir de 2007, qui exigeait la déconnexion de la Russie. Sur le plan idéologique, le nationalisme antirusse en Europe de l'Est a été attisé. En Ukraine, cela a dégénéré avec les violents affrontements de 2014 sur le Maïdan, et en réaction dans le Donbass, ce qui a ensuite conduit à la sécession de la Crimée et des régions de Donetsk et Louhansk.
Maintenant la guerre est devenue un amalgame de deux types de conflits :
- d'une part, le conflit entre l'Ukraine et la Russie qui résulte de l'effondrement chaotique de l'Union soviétique et qui est lourdement grevé par l'histoire contradictoire de la formation d'une nation ukrainienne,
- d'autre part, la confrontation de longue date entre les deux plus grandes puissances nucléaires.
Les problèmes aussi dangereux que complexes de l'équilibre nucléaire (de la terreur) entrent ainsi en jeu. Du point de vue de Moscou, l'intégration militaire occidentale de l'Ukraine comporte le risque d'une frappe de décapitation contre Moscou. D'autant plus que les accords de contrôle des armements datant de la guerre froide ont tous été dénoncés, du traité ABM encore sous Bush en 2002 jusqu'aux traités INF et Open Sky sous Trump.
Indépendamment de son bien-fondé, la perception de Moscou doit donc être prise au sérieux. Une telle crainte ne peut pas être apaisée par des mots, mais uniquement par des mesures crédibles. Mais Washington a rejeté les propositions de Moscou en décembre 2021. A cela s'ajoute le fait que l'utilisation à ses propres fins de traités internationaux fait également partie des pratiques de l'Occident, comme le montre entre autres l'aveu de Merkel et de François Hollande d'avoir conclu Minsk II uniquement pour gagner du temps afin de réarmer Kiev.
Dans ce contexte, la responsabilité de la guerre – et c'est encore plus vrai depuis que nous avons affaire à une guerre par procuration – ne peut pas être réduite à seulement la Russie. La responsabilité du Kremlin ne disparaît pas pour autant. En Russie aussi, les sentiments nationalistes se propagent et l'on assiste à un nouveau renforcement de l'État autoritaire. Mais seul celui qui regarde la longue histoire de l'escalade par le prisme noir et blanc d‘une diabolisation peut occulter la part de responsabilité de Washington – et de l'UE à sa suite.
Une fièvre belliciste
La classe politique et les médias de masse balayent tous ces liens sous le tapis. Au lieu de cela, ils sont littéralement pris d'une fièvre belliciste. L'Allemagne participe de facto à la guerre et le gouvernement fédéral est devenu un gouvernement de guerre. La ministre allemande des Affaires étrangères a cru pouvoir « ruiner » la Russie, dans une présomption de grandeur véritablement wilhelminienne. Entre-temps, son parti – autrefois engagé pour la paix – est devenu le belligérant le plus virulent au Bundestag. Lorsqu'il y a eu quelques succès tactiques de l'Ukraine sur le champ de bataille, dont l'importance stratégique a toutefois été démesurément exagérée, l'illusion est née qu'une victoire militaire sur la Russie était possible.
Ceux qui plaident pour une paix de compromis sont insultés de « pacifistes de la soumission » ou de « criminels de guerre secondaires ». Il en résulte un climat politique typique d‘un front intérieur en temps de guerre, avec une pression massive de conformisme à laquelle beaucoup n'osent pas se soustraire. A l'image extérieure de l’ennemi s'ajoute une illibéralité croissante à l'intérieur de la forteresse. La liberté d'opinion et de la presse s'érode, comme le montre entre autres l'interdiction de « Russia Today » et de « Sputnik ».
La guerre économique – un échec cuisant
La guerre économique contre la Russie, qui avait également commencé dès 2014, a certes pris des proportions historiques sans précédent après l'invasion russe. Mais elle n'a pas eu d'effet sur la conduite de la guerre russe. Certes, l'économie russe s'est contractée de trois pour cent en 2022, mais celle de l'Ukraine de trente pour cent. Combien de temps le pays peut-il supporter une telle guerre d'usure ?
Parallèlement, les sanctions entraînent des dommages collatéraux dans l'économie mondiale, dont le Sud global est particulièrement touché. La faim et la pauvreté sont aggravées, l'inflation renforcée et il s‘ensuit des turbulences coûteuses sur les marchés mondiaux. Il n'est donc pas étonnant que le Sud global ne soit pas disposé à participer à la guerre économique ni à isoler la Russie. Ce n'est pas sa guerre.
Mais chez nous aussi, la guerre économique a des effets négatifs. La déconnexion du gaz naturel russe aggrave la crise énergétique, ce qui touche les ménages socialement plus faibles et peut conduire à un exode des industries à forte consommation d'énergie hors d'Allemagne. L'armement et la militarisation se font toujours au détriment de la justice sociale. Dans le même temps, avec le gaz de schiste des États-Unis, jusqu'à 40% plus nocif pour le climat que le gaz naturel russe, et le recours au charbon, tous les objectifs de réduction du CO2 deviennent inaccessibles.
Priorité absolue à la diplomatie, aux négociations et à une paix de compromis
La guerre absorbe des ressources politiques, émotionnelles, intellectuelles et matérielles qui sont impérativement nécessaires pour lutter contre le changement climatique, la destruction de l'environnement et la pauvreté. La participation de fait de l'Allemagne à la guerre divise la société et en particulier les secteurs qui s'engagent pour le progrès social et la transformation socio-écologique.
Nous œuvrons à ce que le gouvernement fédéral mette immédiatement fin à sa politique de guerre. Une initiative diplomatique doit émaner de l‘Allemagne. C'est également ce que souhaite la majorité de la population. Il faut établir un cessez-le-feu et engager des négociations, intégrées dans un cadre multilatéral avec la participation de l'ONU.
Le but doit être une paix de compromis qui ouvre la voie à une architecture de paix européenne tenant compte des intérêts de l'Ukraine, de la Russie et de toutes les parties en conflit en matière de sécurité, et qui rende possible un avenir pacifique pour notre continent.
Le texte a été rédigé par: Reiner Braun (International Peace Bureau), Claudia Haydt (Informationsstelle Militarisierung), Ralf Krämer (Sozialistische Linke in der Partei Die Linke), Willi van Ooyen (Friedens- und Zukunftswerkstatt Frankfurt/M.), Christof Ostheimer (Bundesausschuss Friedensratschlag), Peter Wahl (Attac Allemagne). Les informations sur les personnes sont données uniquement à titre indicatif.