Claude Tedguy est philosophe et psychanalyste. Il anime L'Université Libre et Populaire des Lettres, des Sciences et des Arts.
I. D'HIER ET D'AUJOURD'HUI
A tous ceux qui s'offusqueraient de voir ces deux termes accolés, Politique et Psychanalyse, nous aimerions rappeler que Freud se piquait d'avoir bouleversé l'univers médical en redonnant à l'Inconscient une place insoupçonnée avant qu'il la lui assigne comme fondamentale, et ce, définitivement. C'était déjà en son temps une Révolution, et individuelle et sociale.
Cette « Révolution psychanalytique » qui commençait ainsi à se manifester en abolissant les vieilles croyances et en ouvrant des horizons nouveaux à la médecine mentale et à d'autres domaines dits culturels, ne pouvait pas bien entendu, limiter son action « révolutionnaire » à la seule « pratique » psychanalytique et à l'opposition farouche du monde médical qui n'a eu de cesse depuis Freud, de vouloir ignorer, ironiser, puis attaquer et enfin englober et « soumettre » la psychanalyse pour tenter de l'effacer de la mémoire collective de ceux qui souffrent... c'est-à-dire, de tous.
Nous connaissons bien ces « mots qui font-peur » : Névrose, psychose, angoisse, inceste, transfert, pulsion de mort, refoulement... etc.et nous voulons croire qu'en mettant des noms sur chacun d'entre eux comme appartenant à... Anna 0, à l'Homme aux loups, à Cécily, au Petit Hans... nous sommes à l'abri, nous avons échappé égoïstement à tout cela, même si nous ne savons pas très bien la signification précise et pathologique de ces maux...
Mais au fond de nous, quelque chose nous dit que cela pourrait très bien nous arriver, ou bien arriver à nos proches... Une petite voix murmure : « Et si c'était toi ?... Et si c'était elle ?... Et si c'était ton enfant ?... Et si c'était... » Et cette petite voix ne s'arrête pas, et elle chante juste : Tous ces maux peuvent s'abattre sur n'importe lequel d'entre nous.
À ce niveau, plus de différence de culture ou de richesse des individus. Cultivé ou inculte, fortuné ou pauvre, l'être est frappé de plein fouet... et c'est paradoxalement ce qui le rend égal à l'Autre.
Nous atteignons là nous semble-t-il, le premier maillon d'un état social qui fait en sorte que l'abolition des différences renvoie à un concept politique démocratique. Et partant de là c'est une nouvelle conception de la Société tout entière qu'il faut envisager sous l'angle de l'omniprésente et inconsciente douleur de l'être, et par voie de conséquence, sur la manière d'aborder le système, la solution thérapeutique elle-même.
On me rétorquera que considérer les hommes comme égaux devant la maladie, n'est pas une nouveauté... (encore qu'ils ne soient égaux que lorsqu'ils sont frappés, et non dans les moyens qu'ils ont de la combattre...),mais ce n'est pas tant exactement de cela dont il est question, que du fait qu'en ce qui concerne la psychanalyse, les coupables, les responsables de la maladie des autres, s'ignorent ou ignorent ou veulent ignorer qu'ils sont eux les vrais malades, ceux qui devraient être soignés d'urgence, pour ne plus avoir à rendre, consciemment ou inconsciemment, les autres malades... Un père incestueux, une mère castratrice, un mari pervers, violent, violeur... n'admettront jamais leur responsabilité et leur culpabilité. En se réfugiant derrière le masque d'une conception de « L'AMOUR »» qui reste à définir.
Ne sursautez pas ! Oui j'ai dit RESPONSABLE et COUPABLE... même si l'analyste cherchera en amont les origines et les causes de cette responsabilité et de cette culpabilité, arrêtons de jouer aux prudes et aux saints... à ceux qui se veulent neutres !... Appelons « un chat un chat ».
Ces hommes et ces femmes acteurs et actrices de phénomènes sociaux traumatiques... Ceux qui les subissent en se taisant le plus longtemps possible et qui finissent un jour par craquer... Tous ceux qui gravitent autour des uns et des autres au quotidien, ce sont eux qui forment ce qu'on appelle une Société, La Société...
Une Société qui invente des formes de Pouvoir, pour, en s'appuyant sur la faiblesse ou l'inconscience ou l'incapacité des uns et des autres, arriver à les dominer à les exploiter à son profit, à se servir d'une énergie humaine à sa propre survie et parfois à sa gloire... Vampires des Temps nouveaux !
Ne sommes-nous pas là au centre, en plein centre d'une question Politique?....Et la Psychanalyse qui va traquer au plus profond de l'âme de ceux qui souffrent, l'origine de la douleur, n'est-elle pas un instrument politique de détection de ces situations qui pour l'être deviennent de plus en plus insupportables ? On pourrait, et d'autres l'ont fait, et d'autres le referont, soupçonner à travers les textes de Freud, rechercher en quoi et comment de Totem et Tabou jusqu'à L'Homme Moise, ont été posés les jalons ou les principes de base d'une Psychanalyse Politique... on pourrait se servir de ce mot de Freud ^Politiquement je ne suis rien», pour nier la visée politique de la psychanalyse. Mais rien n'y fera, car en posant « les questions qui fâchent », la Psychanalyse restera toujours un élément perturbateur non seulement au niveau individuel, mais aussi et surtout au niveau collectif.
Et comment pourrions-nous résister devant le triste spectacle politique actuel que nous offre le monde ici et ailleurs, comment pourrions-nous résister, je vous le demande, à la tentation, quitte même à les absoudre, d'allonger sur le divan (quitte à les hypnotiser), les pseudo « Grands de ce Monde » qui rendent les hommes si malheureux et si pleins de douleurs et si remplis de chagrin ?