Claude Tedguy est psychanalyste et philosophe. Il anime l'Université libre et Populaire des Lettes .des Sciences et des Arts.
En détournant ainsi cette phrase de son sens initial et de sa finalité, on pourrait bien faire en sorte qu'elle illustre l'œuvre et l'action de Sigmund Freud.
On peut en effet apprécier comme bon nous semble, le bourgeois conformiste et un tantinet victorien qu'est Sigmund Freud en apparence mais, en apparence seulement. Car tout le temps qu'il consacra après 1896, c'est-à-dire après la mort de son père, Jakob, à l'élaboration de son œuvre analytique, et la manière dont il s'y consacra, les obstacles et les critiques qu'il dut surmonter en opposition à un establishment coriace, laisse à penser qu'inconsciemment il traçait en filigrane une pensée politique, que nous ne pouvons pas ignorer.
C'est dans cette Vienne, à l'époque capitale du monde, qu'il haïra toute sa vie, et qui n'est ni Freiberg, la verte campagne où il est né, ni Berlin, où vit son alter ego Wilheim Fliess, ni Paris, dont il dira : « Dans ma France tout était plus beau », ni la Rome éternelle, troublant lieu sacré de l'Occident, ni Londres, admirée et convoitée... c'est dans cette Vienne, capitale du suicide sur fond de valse de Strauss et de faux-semblants que vivent, au temps du jeune Freud, les Mahler, Klimt,Von Hofmannsthal, Arthur Schnitzler, Théodor Herzl et son ami Henrich Braun qui faillit l'entraîner dans des études de droit, tant il ne se sentait pas attiré par la médecine... Braun qui l'emmena un jour rendre visite à Victor Adier, chef du Parti socialiste, au... « 19 Bergasse », c'est à dire Rue de la Montagne.dans ce même appartement où dix années plus tard, Sigmund s'implantera pendant quarante sept ans, abandonnant ses rêves de s'adonner comme son ami Henrich... « à des activités sociales, c'est-à-dire à des activités politiques.
Hasard, destin, fatalité, qui sait ? Mais étrange retour aux sources d'une jeunesse anti-bourgeoise pour celui qui, en 1939, exilé à Londres, dit à un voyageur retournant à Vienne : « Alors, vous repartez à.. .je ne me souviens plus du nom de cette ville ?... »
Cependant, entre l'occupation de l'appartement du 19 Bergasse en 1892 et l'exil à Londres en 1939, que de choses écrites qui engagent l'homme-Freud dans sa Vienne « bien-pensante ».
Propos d'actualité s'il en est, il constate qu'« il est devenu facile aujourd'hui de s'exterminer jusqu au dernier » tellement la « pulsion de mort » est devenue prédominante. Néanmoins, Eros doit triompher. Comment faire donc ?
En 1921, « Psychologie collective et analyse du Moi » représente une œuvre prophétique et certainement la plus grande contribution politique de Freud, en cela que les deux éléments fondamentaux d'une psychanalyse politique s'y retrouvent : la Masse et le Chef. La Masse a « le sentiment de toute puissance ». L'individu n'est plus lui-même, il est devenu un automate sans volonté propre », subjugué par la volonté hypnotique d'un « Chef Suprême », tout puissant, insufflant un « état amoureux » se transmettant de l'un, Le Chef, à l'autre, La Masse... annihilant toute prérogative d'un Moi fondu dans cette masse et qui a nécessité pour exister de rompre avec la masse et donc avec le Chef lui-même, justifiant ainsi et par ce fait la nécessité de « tuer le Père », c'est-à-dire le Chef...
Freud « fera des enfants », se réclamant plus ou moins ouvertement de lui : Wilheim Reich affirmera que le biologique est tout entier « sous la coupe » du Politique : la psychanalyse soigne des névrosés et la société fabrique des névrosés en masse. Il faut donc poser le problème en termes politiques de l'organisation sociale elle-même et à sa suite celui de la santé mentale. Quant à Fenichel qui rédigea clandestinement quelques 119 longues et interminables lettres destinées à des « psychanalystes de gauche », il veut préserver et maintenir tendu « le ressort révolutionnaire de la pensée Freudienne ».