Tout le monde admet (ou feint d'admettre) que la démocratie consiste en l'exercice du pouvoir par le peuple soit directement, par voie référendaire notamment, soit indirectement par l'entremise des représentants qu'il désigne et mandate. Tout le monde par ailleurs admet (ou feint d'admettre) que la liberté consiste en l'obéissance à des lois auxquelles chacun concourt et consent en vertu de son droit à la citoyenneté. Dans ces conditions, tout le monde devrait admettre la nécessité d'une constitution fondée sur le primat du pouvoir législatif.
Supposons donc qu'une VIè République restaure le régime parlementaire. Se posera alors la question du mode de scrutin le plus apte à exprimer la souveraineté du peuple. Etant donné l'enjeu, il ne s'agit pas là d'un simple détail technique, mais d'un véritable débat de fond.
En France, depuis l'avènement de la Ve République, les députés sont élus au scrutin majoritaire uninominal à deux tours. Chaque département est subdivisé en autant de circonscriptions que de députés à élire. Si un candidat obtient la majorité absolue des suffrages exprimés et un nombre de voix dépassant le quart des électeurs inscrits, il est déclaré vainqueur dès le premier tour. Sinon un second tour est nécessaire auquel sont autorisés à participer ceux qui ont atteint le quorum de 12,5 des {jo_tooltip} Si un seul candidat atteint ce seuil, celui situé en deuxième position est autorisé à se présenter au second tour. Si aucun candidat n'obtient un tel score, les deux premiers accèdent au second tour. | inscrits {/jo_tooltip}. A l'issue du second tour, le postulant ayant obtenu le plus de voix est élu.
Par conséquent, c'est le premier tour qui traduit au mieux l'état de l'opinion car le citoyen peut porter son choix sur le candidat dont il se sent le plus proche. Ce qui n'est pas forcément le cas au second tour où intervient la notion de vote utile. Mais, en fonction des découpages des circonscriptions et des rapports de force internes à chacune d'elles, ce système peut aboutir à des répartitions en sièges disproportionnées au regard du nombre de voix obtenues au premier tour.
Ainsi en 1968, les partis regroupés au sein des {jo_tooltip} Ces comités regroupent l'Union pour la défense de la République (gaulliste) et la droite (Républicains indépendants, Centre national des indépendants). | « Comités pour la défense de la République » {/jo_tooltip}, enregistrant 48% des suffrages exprimés, font-ils main basse sur l'assemblée en raflant plus de 80% des sièges. Même pourcentage de sièges en 1993 avec 42% des voix en faveur du {jo_tooltip} Parti post-gaulliste créé par Jacques Chirac en décembre1976. | Rassemblement pour la République {/jo_tooltip} et de {jo_tooltip} Créée, sous l'impulsion de Valéry Giscard d'Estaing alors Président de la République, à la veille des élections législatives de 1978 par la fusion des Républicains Indépendants, du Parti Radical « Valoisien » (minorité du parti hostile à l'alliance avec les communistes) et du Centre des démocrates sociaux. | l'Union pour la démocratie française {/jo_tooltip}. En 1981, les partis étiquetés « à gauche » avec 54% de suffrages exprimés remportent 70% des {jo_tooltip} Et encore estimons-nous heureux! Au moins, dans ces trois cas, la coalition victorieuse a obtenu plus de voix une ses rivaux. | sièges {/jo_tooltip}. On pourrait également évoquer le Front National (quoi qu'on en pense) qui, de 1988 à 2002, oscille entre 10 et 15% sans jamais obtenir plus d'un député. Mais le sommet est, sans conteste, atteint en 1973 où avec 37% des suffrages la coalition soutenant le {jo_tooltip} L'Union pour la Défense de la République, les Républicains Indépendants, le Centre National des Indépendants et leurs alliés « centristes » qui ont rallié Georges Pompidou dès le premier tour de l'élection présidentielle de 1969. | Président de la République {/jo_tooltip} de l'époque (Georges Pompidou) se retrouve majoritaire en sièges alors que la « gauche » recueille plus de voix qu'elle au premier tour (46% ).
Le scrutin majoritaire uninominal à {jo_tooltip} En Grande-Bretagne, le scrutin uninominal ne comporte qu'un tour. L'électeur ne peut donc, comme en France, choisir au premier tour et éliminer au second mais est contraint de voter utile d'emblée. Ce qui réduit de fait la démocratie au bipartisme. | deux tours {/jo_tooltip} pose donc un grave problème de respect du verdict des urnes et de légitimité démocratique. Pour autant, le scrutin plurinominal à la proportionnelle à un tour (appliquée tout au long de la IVè République et une fois, en 1986, sous la Vè) constitue-t-il la bonne solution ?
Les citoyens votent dans le cadre départemental pour des listes de candidats. Le nombre d'élus pour chaque liste est proportionnel au nombre de voix obtenues. Quoi de plus juste en apparence ? Mais, regardons-y de plus près.
En premier lieu, les listes étant bloquées, le citoyen ne peut ni modifier l'ordre d'une liste ni faire de {jo_tooltip} Voter pour des candidats appartenant à des listes différentes. | « panachage » {/jo_tooltip}. Son rôle est relégué au rang de vulgaire caisse enregistreuse. De plus, la « proportionnelle » ne permet pas de dégager une majorité. Les organisations politiques ont ainsi loisir de s'arranger entre elles après coup, c'est-à-dire dans le dos des citoyens. Les {jo_tooltip} Dont l'Union Démocratique et Socialiste de la Résistance (UDSR), dirigée par François Mitterrand à partir de 1953,qui ne dépassera jamais 10% des voix mais participera à tous les gouvernements de la IVè République et verra même un de ses membres devenir Président du Conseil (René Pleven en 1950). | formations minoritaires {/jo_tooltip}, voire ultra-minoritaires, détiennent en l'occurrence le pouvoir de faire pencher la balance d'un côté ou de l'autre et de monnayer au prix fort leur ralliement.
Le phénomène est aggravé entre 1951 et 1958 avec la loi sur les « apparentements ». Dans chaque département, deux ou plusieurs listes ont la possibilité, avant le scrutin, de se déclarer « apparentées ». Elles participent ensuite à l'élection, chacune sous sa propre bannière. Si l'addition de leurs voix atteint la majorité absolue, elles se partagent la totalité des sièges à pourvoir dans le département.