Derrière la critique se tient ce qui est son objet global, ou plutôt sa cible, la structure, en ce qu'elle signifie autorité, permis-défendu, hiérarchie sociale et usinière, i.e les institutions, toutes, tous les pouvoirs, comme le verra Foucault, tous les appareils, assimilés à des instruments de coercition. C'est pourquoi l'affaire est en son fond politique et point seulement, quelle qu'en ait été l'importance, une question de libération des moeurs, à laquelle on l'a souvent limitée. Elle concerne l'organisation elle-même de la Cité, dont aucun secteur n'échappe alors à la critique.
{jo_tooltip} Cf. Utopie Critique n°47: "Le carrefour de mai 68" | A nouveau{/jo_tooltip}, un bref recensement pour en prendre une idée. L'Etat en personne a été ébranlé, au point que son chef l'abandonnera un temps et que ses organes, chargés du maintien de l'ordre, connaîtront des secousses. Ainsi de l'Armée, au 153e Rimeca de Mutzig, un groupe de soldats déclare qu'il refusera d'intervenir contre les manifestants, contestataires ou grévistes. En 1974, l'Appel de Cent soldats contre leurs conditions d'existence et la censure recueillera 6 000 signatures.
Une multitude de placards et d'affiches, dans ces domaines aussi, jouaient un rôle irremplaçable pour exprimer toutes les revendications et en appeler à une nouvelle société libérée de ses aliénations. Dans le florilège de 500 réunies par Gasguet on trouve, entre autres perles : « La beauté est dans la rue » (titre de l'ouvrage), « Solidarité ouvriers étudiants artistes », « Les comédiens solidaires des travailleurs pour un théâtre libéré », « 35e jour de grève des Folies Bergères », « Marionnettes populaires », « Manifestation théâtrale 10 Mai 68 », « PACRA, Music Hall populaire gratuit »... Et les mots d'ordre font florès : « Pelouse interdite » ; « Interdit d'interdire » ; « Jouir sans entraves » ; « Oser dire ce qu'on pensait », « Tout est possible », « Sous les pavés, la plage », « Faites l'amour, pas la guerre » (campus US). La volonté de prendre la parole, « la prise de parole » en est le véritable étendard. Toutes les couches sociales, hormis la bourgeoisie, toutes les catégories sociales, toutes les professions sont saisies par la « fièvre révolutionnaire ». La politique est portée, comme disaient les maos, « au poste de commandement », « tout est politique », selon le slogan majeur. Les luttes de classes entendent casser les consensus les mieux établis et les plus intériorisés. L'esprit de 68. Il a bel et bien existé un esprit de 68, sous des aspects qui ne sont pas absents de contradictions.
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