LE MONDE daté du 24 mars annonce la fusion de l'Alleanze Nazionale, A.N., héritière directe du Mouvement social italien (créé par des militants issus de la République sociale de Salo en 1942-1943) avec Forza Italia, parti créé par Berlusconi en vue de la constitution immédiate d'un grand parti, celui du Parti de la liberté (P.D.L.), avec ce sous-titre : « le Président de l'Assemblée achève la mue du post-fascisme italien en une droite classique », et se demande « Pourquoi cette fusion, alors que tout oppose, culturellement et politiquement, les militants postfascistes d'AN et les sympathisants postidéologiques de M. Berlusconi ? Le culte de l'Etat contre celui du moins d'Etat ; la centralité du pouvoir contre la décentralisation ; la loi contre les arrangements ; le principe de la laïcité contre la docilité à l'égard de l'influence de l'Eglise en Italie... »

Eh bien, il me semble qu'il ne s'agit pas tant, à mon avis, du mariage de la carpe et du lapin, que de l'aboutissement possible d'une lente stratégie de conquête du pouvoir par les néo-fascistes et que cette « droite classique » sera moins classique que prévue. Fini, aujourd'hui Président de l'Assemblée nationale, suscite toujours le même débat, fasciste ou pas fasciste ? Ce cinquantenaire fringant a tout le profil désiré. Il est le fils de fascistes qui ont été des militants de premier rang - son père (fils d'un militant communiste) a été l'un des volontaires de la République sociale de Salo, même si par la suite il se déclara proche du Parti socialdémocrate italien, et sa mère est la fille d'Antonio Marani, qui s'est retrouvé aux côtés de l'un des futurs dignitaires du régime dans la marche sur Rome (octobre 1922). On peut dire, sans se tromper, qu'il a adhéré dès le biberon aux thèses fascistes et au culte de Mussolini.

On dit aussi de lui qu'il aurait rompu le fil avec le fascisme et serait devenu un démocrate libéral de droite. La preuve : il s'est rendu à Jérusalem au musée de la Shoah ! C'est oublier que rien ne s'opposait, jusqu'en 1938 (date de la promulgation des lois raciales en Italie) à l'adhésion des juifs au parti fasciste, dont certains en devinrent des caciques, et que les fondements idéologiques du fascisme de Mussolini n'avait rien à voir à l'origine avec la « solution finale ».

L'histoire de l'extermination des juifs, aussi douloureuse soit-elle, ne doit pas occulter l'analyse d'un évènement politique aussi important.

Fini serait un homme capable de changer, c'est-ce que le Manifesto du 26 mars 2009 veut démontrer en reprenant un florilège de déclarations faites dans les années 1990, dans un discours très typé : « Mussolini a été le plus grand chef d'Etat du siècle. Il y a des périodes de l'Histoire dans lesquelles la liberté ne fait pas partie des valeurs les plus importantes... » - « La différence entre Hitler et Mussolini est que peu d'entre vous pleure Hitler, alors que beaucoup d'Italiens sont convaincus aujourd'hui que le Duce a réalisé une quantité de bonnes choses. » Pour les comparer avec ce qui est dit aujourd'hui : « en fait le Duce ne fut pas un grand homme d'Etat ».

Est-ce vraiment du « courage » de sa part, comme l'affirme le Manifesto ?

Fascisme, post-fascisme, néofascisme, il est certain que Fini s'imagine en héritier de Berlusconi à la tête du Parti de la liberté et de moins en moins ouvertement en digne fils de Mussolini, dont il peut critiquer les quinze dernières années de régime. Sauf qu'à ce titre, il ne fait ni plus ni moins que tous les Italiens nostalgiques de cette période.

Il est certain que Berlusconi a, lui aussi, de son côté exprimé plusieurs fois son admiration pour Mussolini. Certes, il lui fallait faire les yeux doux à cet électorat. Mais que les deux fondateurs d'un nouveau parti politique soient marqués chacun à leur manière par la figure tutélaire de Mussolini et le culte du chef, cela donne quand même à réfléchir et on peut avoir quelques inquiétudes sur la nature de ce qui est en train de naître en Italie.

Au regard de l'histoire de ces deux formations et de l'Histoire avec un grand H, elles ne devraient pas passer leur temps à cultiver leur différence, sinon pourquoi auraient-elles décidées de fusionner ? Fini amène d'une certaine manière la légitimité historique et un corpus idéologique musclé, militant et organisé au pragmatisme libéral affairiste berlusconien.

De quoi démoraliser un peu plus une « gauche » exsangue, toujours plus affaiblie devant la énième reconstitution de ce bloc « des droites » (1948 : Gasperi met en place un gouvernement de droite en excluant la présence des communistes, niant le passé et les accords venant de la Résistance).

Le fascisme italien comme vecteur du passage à la « modernité » ?

Le fascisme des origines a été pragmatique ; il a su attirer dans ses filets des forces contradictoires et des hommes de grande culture, que tout aurait dû opposer à lui. Le loup sait se métamorphoser en agneau pour parvenir à ses propres fins : la prise du pouvoir par un parti fasciste.

Il faut en revenir aux particularités du fascisme italien et à Mussolini, surtout celui de la première période, celle de la conquête du pouvoir.

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