Ce texte est une contribution à l'élaboration du programme du Parti de gauche, parti qui tenait sa convention nationale les 5 et 6 décembre dernier. Jean-Pierre Lemaire est un ex-militant des Verts qui a rejoint, avec la Gauche écologiste autour de Martine Billard, le P.G. Serge Marquis, membre de notre comité de rédaction est militant du P.G. dans le Val-de-Marne
CHER-ES ami-es, cher-es camarades, comme vous le savez, accéder au pouvoir pour réaliser une véritable politique de gauche implique de nous affranchir du carcan libéral de l'Union européenne. Notre pays vit une métamorphose décisive. M. Barroso vient d'être réélu président de la Commission européenne à la majorité absolue des parlementaires européens, la Cour de justice européenne contredit continûment le droit constitutionnel français... Un président et un ministre des Affaires étrangères de l'U.E. vont être désignés. Durant ce temps, quatre millions de nos compatriotes pointent au Pôle Emploi, sur une population active de 28 millions, soit un taux de 14 %. La moitié de la population vit avec moins de 1 510 euros après impôts alors que les dépenses contraintes (logement, eau, chauffage, etc.) sont passées de 21 % en 1979 à 38 % aujourd'hui 1. Devons-nous rappeler l'existence de millions de gens à la rue ou dépendants des minima sociaux, des mal-logés, des millions de personnes handicapées,... ? La société prend des coups sur la tête, le mouvement ouvrier aussi - ses organisations, ses syndicats, ses associations... La tête dans le guidon, nos concitoyens ne parviennent pas à s'opposer, même électoralement.
Il s'agit de savoir, dans pareil contexte, si nous pouvons continuer à prétendre changer l'Europe, quitte à passer par pertes et profits l'expression sourde des peuples, ou s'il est nécessaire de recentrer un certain nombre de questions, même s'il faut pour cela se déprendre d'une idée séduisante, avec laquelle nos concitoyens ne font pourtant pas corps...
« Une opportunité historique » ?
Les élections européennes devaient se présenter pour le Parti de gauche comme « une opportunité historique ». Les Français pourraient « exiger le respect de la souveraineté nationale », « répliquer à la construction autoritaire de l'Europe », « faire sauter le verrou de sa construction antisociale et antidémocratique », « faire élire des représentants pour qu'émerge une issue internationaliste »... « L'intervention des citoyens, des mouvements sociaux, du mouvement altermondialiste, de la gauche anti-libérale et anti-capitaliste créeront les conditions d'une nouvelle politique répondant aux besoins du plus grand nombre », est-il écrit dans le texte d'orientation, adopté à notre congrès de constitution de février 2009.
« Sur la base de ces propositions répondant aux intérêts des peuples, nous devons viser à construire un mouvement populaire européen [c'est nous qui soulignons] (...).
« V-6. Selon les configurations et les rapports de forces que nous saurons créer, cette nécessaire refondation démocratique pourra prendre plusieurs formes : Nouveau Traité Fondateur ou Constitution [souligné par nous]. »
Les Français, particulièrement les jeunes et les couches populaires (ceux là avec des taux de 70-75 %) nous ont fait savoir ce qu'ils pensaient de cette approche. Ils se sont abstenus (59,5 %) ou ont voté blancs/nuls (4,3 %)... Comme ils l'avaient fait précédemment, en 2004 (57,2 % ; 3,3 %), 1999 (52,2 % ; 5,9 %) et déjà en 1989 (51,3 % ; 2,8 %), voire 1994 (47, 3 % ; 5,2 %). Ce qui pourrait expliquer au passage pourquoi la droite n'a pas cessé de dépasser la gauche dans ce type d'élection (50 % contre 46,8 % en 2004 ; différentiel de 1-2 % en 1999)...
Comparé au nombre d'inscrits, notre score du Front de gauche se monte donc à 2,51 % (DOM-TOM inclus). Europe Ecologie fait 6,33 %, révélant à son propos l'ampleur de la boursouflure médiatique qui a suivi.
La Guadeloupe, qui a connu juste avant un vaste mouvement social, a connu un taux d'abstention de 85,3%.
La cartographie de ce refus de vote recoupe, ville par ville, parfois bureau par bureau, les votes du « non » de mai 2005.
Ce qui a conduit notre conseil national a constaté que « si nous ne devons pas nous désintéresser du rapport de force au sein du groupe des citoyens qui se sont déplacés pour voter, c'est d'abord au nombre écrasant de ceux qui se sont abstenus que nous devons proposer des solutions crédibles [c'est nous qui soulignons], utiles pour sortir de la crise. Il faut donc, encore une fois, construire les propositions et l'Union capables de les faire valoir. »
La proposition de paquet électoral atteste notre effort d'union. En revanche, en matière de propositions pour sortir de la crise, nous restons sur notre faim. L'enjeu est pourtant d'importance. Il s'agit ni plus ni moins de l'éviction des classes populaires du champ politique !
Seulement... lorsque les Français s'expriment, qui les entend ?
L'Europe,l'Europe !
Mais, d'abord, rappelons ce qu'avaient à proposer les partis politiques à cette élection. L'U.M.P. : « Quand on veut, on peut » (sous-entendu changer l'Europe). Le P.S. : « Changer l'Europe, maintenant », le Modem : « Nous, l'Europe », etc. Tous se tenaient sur la même ligne de départ : l'Europe rêvée, l'Europe fantasmée, l'Europe mise à toutes les sauces, sans qu'aucun ne dénonce le principe de la primauté du droit européen sur le droit national. C'est-à-dire le tour de passe-passe qui voit les instruments de la souveraineté, et donc de la démocratie, s'éloigner du citoyen.
Notre message a-t-il été plus audible ? Front de gauche... «pour changer d'Europe » !
Parlons franchement : sommes-nous certains que ce message corresponde vraiment au sentiment intérieur qui habite le peuple souffrant ? Qu'il n'est pas plutôt la formule politiquement correcte qu'attendent les couches moyennes, plus influencées que d'autres par l'air du temps - le fameux storytelling (récit) européen, rabâché par la machine politico-médiatique ?
A travers une campagne essentiellement médiatique, le F.N. dénonçait, lui, « l'arnaque européenne ». Mais son positionnement politique plus général, ce que l'on sait de cette formation, ne lui a pas permis de mobiliser les abstentionnistes ni de récupérer les suffrages ponctionnés par l'U.M.P.
Pourquoi notre liste, nos idées ne parviennent-elles pas à être identifiées par le peuple comme sa meilleure attaque et sa meilleure défense ?
Parce que nous ne parvenons pas à aller à l'essentiel. Nous sommes en effet écartelés entre plusieurs considérations : nous voudrions que cela change en France, que cela change en Europe, que cela change dans le monde ; que nous croyons pouvoir traiter tous les sujets à la fois, sans ordre prioritaire. Et la vie concrète nous ramène aux réalités prosaïques : puisque vous nous demandez nos suffrages, vous, que pouvez-vous donc faire pour nous, nous demandent nos concitoyens ?
Voilà ce qui devrait être le point de départ d'un programme politique de gouvernement d'une vraie gauche en France.
Bien sûr... c'est une élection sur l'Europe.
Seulement, pourrons-nous changer d'Europe à une échéance raisonnable, de façon à crédibiliser notre combat et le mettre à la portée de millions de gens ? 21 pays sur 27 ont des gouvernements à majorité de droite et le parlement européen est à majorité de droite ou social-libérale. Les bourgeoisies nationales, cahin-caha en cours de fusion, jouent sur les deux tableaux. Après des décennies de construction européenne, la réponse à cette question est claire : non.
Suite dans Utopie Critique N°50