(https://www.linkiesta.it/author/vittorino-ferla/)

Alors que les États européens affrontent la crise du coronavirus-19 dans un ordre dispersé et dépourvus d’une stratégie commune, la Chine s’engrouffe dans le chaos en essayant de gagner l’amitié, la gratitude et la dépendance des pays les plus faibles.

“Quiconque veut attaquer irrésistiblement doit le faire en se glissant dans les vides.”

Les dirigeants européens ont-ils lu L’Art de la guerre de Sun Tzu, le célèbre traité de stratégie militaire chinois, qui remonte au 6ème siècle avant JC ? Ils feraient bien de le lire, tôt ou tard, en commençant par cette phrase si claire. La pandémie de Covid-19 est devenue l’arme imprévisible d’une initiative stratégique que la Chine mène au cœur du vieux continent.

Le 13 mars, un avion chinois chargé de fournitures médicales et d’experts est arrivé en Italie. Il a été accueilli en fanfare par les médias italiens et par les salamamecs du ministre Luigi di Maio du Ms5. Le même jour, lors d’une vidéoconférence, le gouvernement chinois s’est adressé à dix-sept pays européens d’Europe centrale et orientale pour leur donner des conseils sur la lutte contre le virus tout en promettant une aide matérielle. Alors que les pays européens sont submergés par le développement du coronavirus, le nombre de décès en Italie et en Espagne dépasse désormais de loin ceux déclarés par la Chine.

Tout le monde sait que les données chinoises sont fausses, mais le nombre de morts suscite la consternation. Ainsi, alors que les États de l’Union européenne sont dépourvus d’une stratégie commune, la Chine s’infiltre dans le désordre avec une stratégie à de « patte de velours ».

Entre le milieu et la fin du mois de mars, par exemple, avec plus de dix vols aériens, la Chine a livré des millions de masques à la République tchèque. Le dirigeant chinois Xi Jinping a envoyé des fournitures et des ressources médicales à plusieurs pays européens. L’homme le plus riche de Chine, Jack Ma, a distribué deux millions de masques dans plusieurs pays européens, dont l’Espagne, l’Italie, la Belgique et la France. Et Huawei, le leader de la technologie chinoise, a proposé de faire don d’importants volumes d’équipements de protection individuels à l’Irlande.

Aujourd’hui, la politique étrangère chinoise se concentre sur la soi-disant « diplomatie du masque » : une stratégie qui combine une approche extrêmement douce et le dialogue, fortement connotée sur le plan symbolique, par une manifestation de puissance basée non pas sur le militaire et l’armement, mais sur les délégations médicales, les groupes de recherche scientifique, les fournitures de matériel de santé (masques, désinfectants) et l’aide financière. Dans une Europe objectivement divisée, Pékin cherche à gagner l’amitié et la gratitude (et la dépendance) des pays les plus faibles. Tout en cherchant aussi à rendre les pays les plus forts comme la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni moins solides (en attendant d’autres Brexit). Le site Euractiv a tenté de faire le point sur cette stratégie. Il en ressort une image choquante.

La Chine aide tous les pays européens, y compris les plus forts. Bien sûr, avec la France et l’Allemagne, c’est plus difficile, comme l’explique Sarah Lawton, correspondante d’Euractiv à Berlin, « les Allemands ont essayé d’acheter des masques à la Chine par les canaux habituels, mais il n’y a pas eu de coopération formelle entre les deux pays ». Au contraire, les constructeurs automobiles allemands et d’autres grandes usines ont fait des dons au gouvernement, tandis que certaines entreprises ont déjà changé de production pour commencer à produire des masques. Pour sa part, la France, après avoir annoncé détenir suffisamment de masques (ce qui était faux) en a reçu un million de Pékin. Mais il s’agissait en partie « d’une restitution » : lorsque l’épidémie s’est éclatée en Chine, la France avait envoyé dix-sept tonnes de matériel médical à Wuhan.

Mais il y a encore beaucoup de faiblesses en Europe. Tout d’abord, les pays de la région de Visegrad, sont un morceau vraiment délicieux pour le géant chinois. La Pologne, par exemple, recevra 10 000 kits pour la détection des coronavirus, 20 000 masques de protection, des milliers d’appareils de protection médicale, y compris des vêtements de protection spéciale, des lunettes de sécurité, des gants, des protections de chaussures. Le ministère polonais des Affaires étrangères se vante du succès de sa diplomatie, mais il est plus approprié d’accorder à l’ambassade de Chine à Varsovie le succès de l’initiative.

Un autre succès chinois en République tchèque : le premier avion porteur de masques venant de La Chine a été accueilli à l’aéroport de manière festive par le Premier ministre Andrej Babi. De son côté, le ministère de l’Intérieur, responsable des approvisionnements chinois, informe quotidiennement sur l’aide reçue du régime de Pékin et affirme que son pays a été le premier en Europe à convenir avec la Chine d’un pont aérien qui livrera régulièrement des fournitures d’équipement médical. Le président tchèque Milos Zeman a officiellement remercié la Chine dans son discours à la nation. Mais comme l’explique Vlagyiszlav Makszimov d’Euractiv : « le discours selon lequel, grâce à la forte implication du gouvernement, les Chinois aident la République tchèque - alors que l’Union européenne est absente -, a suscité des critiques. Les médecins et laboratoires tchèques se plaignent de la faible qualité des produits chinois et du manque de fiabilité de leurs tests. »

Ces derniers jours, sur sa page Facebook, le despote hongrois Vikron Orban a annoncé en grande pompe la fourniture d’équipements sanitaires par la Chine : « De chine, sont arrivés plus de trois millions de masques, 100 000 kits d’essai et 86 respirateurs ». En outre, les images du débarquement à Budapest de la cargaison de la Suparna Airlines, la compagnie aérienne chinoise, avec le matériel médical, ont été diffusées par une vidéo montrant les courbettes – et le « toucher du coude » - avec l’équipage chinois. Le 23 mars, la société China Construction Bank a également fait don de 20 000 masques de protection au Centre national hongrois pour les services de santé.

Comme l’explique le South China Morning Post, la Chine met en œuvre une stratégie diplomatique agressive en Europe centrale et orientale, qui s’adresse aux 17 pays les plus pauvres et les plus instables d’Europe centrale et orientale (et parmi eux, les États du Visegrad), baptisée : «17 + 1 ». Le premier pays de ce groupe serait la Hongrie. Le lien entre le géant communiste chinois et la néo-dictature populiste hongroise pourrait devenir le prochain cauchemar de l’Europe.

Au cœur des Balkans, la Chine tente aussi de construire une relation privilégiée avec la Serbie. Le président Aleksandr Vucic, qui qualifie Xi Jinping d’« ami fraternel », a garanti, le 26 mars, la réception d’un premier envoi 15 millions de masques de protection dans les pharmacies de Serbie, ensuite de 35 millions de masques, et enfin 50 millions, qui seront distribués aux citoyens.

L’autre versant diplomatique de la politique du masque de la Chine, c’est l’Europe du Sud. La Grèce, l’Espagne, l’Italie et l’UE ont, depuis un certain temps, des liens qui se fissurent avec la construction européenne. Chacun des trois pays avait des raisons d’insatisfaction et de revanches envers l’UE (crise économique en Grèce, la question catalane en Espagne, la dette publique en Italie). La Chine veut profiter de ces frictions en tendant une main généreuse. Un vol d’Air China a déjà livré plus d’un demi-million de masques et 10 tonnes d’équipement médical. Et il ne faut pas oublier que l’investissement chinois en Grèce, malgré les préoccupations de l’UE, est important : par exemple, la compagnie d’électricité chinoise State Grid, qui a joué un rôle réel dans la livraison des appareils, est déjà actionnaire de la Greek Electric Grid Company.

Cependant, explique Theodore Karaoul Anis, attaché de presse de Technico Epimelitirio Elladas, « Pour les médias grecs, la Chine a une grande responsabilité dans la propagation du coronavirus, de sorte que ses mouvements sont perçus plus comme une compensation des dommages qu’un effort diplomatique pour gagner sur le terrain politico-économique".

En Italie, comme on le sait, le principal sponsor des objectifs expansionnistes de la Chine, est le joueur de claquettes du Ms5, Luigi di Maio. En tant que ministre des Affaires étrangères, il a facilité l’arrivée en Italie d’une certaine quantité de matériel (500 mille masques, quatre tonnes d’équipement médical, 1800 combinaisons de protection et 150 000 gants de protection) et il a annoncé la signature d’un contrat d’approvisionnement avec une société chinoise pour 100 millions de masques qui devraient arriver dans ces prochaines semaines.

Brian Wong, rédacteur en chef de l’Oxford Political Review et chroniqueur pour l’Asia Times, écrit dans The Diplomat : « Grâce à la fourniture tactique de l’aide, la Chine est en mesure de gagner la faveur des sceptiques et en même temps de consolider la crédibilité et la présence des partis pro-chinois au sein des États-nations européens ». Comme dans le cas du Mouvement Cinq Etoiles du ministre di Maio. En fait, poursuit M. Wong, l’engagement de la Chine à relever les défis du leadership mondial et à « soulager les frères et les amis » fait remarquer à beaucoup, les retards bureaucratiques de la machine institutionnelle et les vetos intergouvernementaux de l’Union européenne. Pour certains États membres, Pékin représente cette contrepartie pragmatique et active qui peut devenir un allié alternatif précieux comparé aux performances ternes de l’UE. Voici le vide que la stratégie chinoise inspirée par Sun Tzu peut combler.

Il ne faut pas oublier, que les suggestions de Sun Tzu sont très raffinées. Comme le souligne Parag Khanna, le politologue américain d’origine indienne qui est l’auteur de The Asian Century, il serait naïf de penser que la stratégie de la Chine consiste simplement à piéger les pays les plus faibles avec des projets de développement et des chaînes de prêts. La dette réelle que construit la Chine, explique Brian Wong, « est construite comme une dette morale et psychosociale créant des relations de dépendance submergeant ces États ». En offrant une aide d’urgence dans des situations critiques telles que les catastrophes naturelles ou les crises de santé publique, et même pendant la pandémie de Covid-19 « la Chine a obtenu un accès inégalé et significatif à l’infrastructure stratégique des États qui s’ouvrent à la Chine. Elle favorise aussi le sentiment de gratitude et de réciprocité parmi les bureaucraties intermédiaires, en soutenant l’importation régulière et constante de technologies et de fournitures chinoises, de la biotechnologie à l’équipement médical, tout en augmentant indirectement les revenus de ses entreprises ou des composantes clés de son Made in China ».

L’Europe commence à craindre cette stratégie complexe. Ce n’est pas un hasard si, le 25 mars, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a averti que les difficultés économiques causées par la crise du coronavirus pourraient exposer les entreprises européennes « stratégiques » à des acquisitions étrangères : « La crise du coronavirus affecte profondément l’économie européenne et de nombreuses entreprises sont temporairement affaiblies par cette crise, nous devons nous en occuper : certains domaines sont fondamentaux pour la sécurité, la santé publique et la sécurité, tels que la recherche médicale ou les infrastructures stratégiques ».

En outre, la complexité et l’interdépendance mondiales peut également multiplier la fréquence des catastrophes. La manière dont les pays traiteront ces changements constituera un test clé de leur compétence diplomatique et de politique étrangère.

Le gouvernement de l’équilibre des relations internationales et de la sécurité mondiale au cours des cent dernières années a été géré par les États-Unis, le soi-disant représentant du « monde libre ». Mais aujourd’hui, le pays dirigé par Donald Trump est devenu un problème, à la fois à cause de l’isolationnisme de son président, et parce qu’il doit faire face, pour la première fois de son histoire, à une catastrophe qui se déroule à l’intérieur de ses frontières. Encore un autre vide dans lequel la Chine semble s’être astucieusement infiltrée. Le gouvernement chinois a déjà adopté une stratégie d’aide en Amérique latine qui suit de près celle structurée en Europe.

En outre, elle cherche à accroître son influence au niveau des organisations internationales les plus importantes. Déjà la Chine compte quatre des quinze chefs d’agences spécialisées aux Nations Unies : Qu Dongyu, Directeur général de la Fao (Agriculture et Alimentation), Fang Liu, Secrétaire général d’Icao (Aviation), Houlin Zhao, Secrétaire général de l’Itu (Télécommunications) et Li Yong, Directeur général de l’Unido (Développement industriel).

Les États-Unis ont toujours la plus grande représentation parmi les hauts fonctionnaires des Nations Unies (23 Nord-américains sur 202). Mais profitant de l’isolationnisme américain, la Chine tente de combler son écart au sommet des institutions multinationales : sa présence croissante est cruciale pour consolider son hégémonie régionale en Asie, mais aussi dans le reste du monde. Sur ce point, la Chine ne cache pas son approche autoritaire brutale : il suffit de penser à l’isolement qu’elle inflige depuis des années à la république démocratique de Taiwan, exclue de l’Organisation mondiale de la Santé par la volonté de la Chine. Taiwan est également l’un des pays asiatiques qui, en évitant le verrouillage, a adopté contre l’épidémie de Covid-19 une stratégie beaucoup plus efficace que celle du voisin chinois. Dans ce cas, c’est Taiwan qui a le mieux mis en œuvre les sages conseils Sun Tzu.

6 avril, l’Inkiesta.it