Je suis convaincu que le monde occidental aborde une phase de profond obscurantisme qui peut durer des dizaines d´années, voire, pourquoi pas, des siècles. Le xviiie occidental a été un siècle qui a vu le triomphe des Lumières, du Rationnalisme, de la recherche de L´Objectivité et de la Vérité à travers la Science. Tel un tsunami, l´esprit des Lumières a fait table rase de l´esclavage, des fanatismes religieux (catholique en particulier), des croyances apocalyptiques et des doctrines destinées à entretenir l´ignorance des masses. La laïcité ne s´est pas implantée du jour au lendemain, mais Dieu (et les dieux) ont finalement cessé d´être des hypothèses nécessaires pour nombre d´hommes et de femmes. Darwin, Marx, Einstein et bien d´autres ont tracé le chemin pour une analyse objective des réalités, hors de toute interférence mystique. Les révolutions (d´Indépendance aux États-Unis, francaise, russe, chinoise, vietnamienne, etc.) ont démontré que le statu quo n´était pas frappé du sceau de l´Éternité et que l´Histoire possédait son propre combustible : la lutte des classes. Ainsi, se positionner par rapport à la lutte de classes marquait l’appartenance politique : grosso modo, gauche ou droite – discours et actes déterminant la localisation à l´intérieur de ce spectre.

 

Les années 70-80, au siècle dernier, représentent l´Apocalypse de la gauche. L´échec et l´effondrement de l´URSS, la transformation capitaliste de la Chine, les difficultés rencontrées par divers gouvernements socialistes (Chili, Brésil, Uruguay, pour ne citer que l´Amérique Latine), l´assassinat de dirigeants de gauche (Colombie, Mexique, El Salvador…) poussèrent les diverses gauches, à court d´arguments, à baisser pavillon face aux politiques ultralibérales dont les soi-disant succès économiques semblaient rendre obsolètes les revendications populaires classiques. En oubliant que le capitalisme est un système d´une incroyable flexibilité qui renaît, tel un phénix, avec plus de force lorsqu´on le croit mort, la gauche a accepté de jouer aux cartes avec la donne que le système libéral lui offrait : la démocratie, les droit humains, les libertés, l´égalité, etc. Mais les cartes sont truquées, les dés sont pipés : de quelle démocratie est-il question ? Les libertés de qui face à quoi ? Les droits de quels humains ? De quelle égalité s´agit-il ? La gauche semble avoir oublié que l´on perd tous les matches lorsqu´on joue avec les règles du propriétaire du ballon. En acceptant ces concepts définis dans une optique libérale, la gauche a mis à l´écart la lutte des classes qui était (et reste) le seul concept qui lui aurait permis d´analyser de façon adéquate les situations conflictives auxquelles la France (et l´Occident en général) doit faire face. Déboussolée, sans idéologie cohérente qui lui serve d´assise, la gauche assume bien souvent des luttes et des positions qui la rapprochent, sans le vouloir, de l´extrême droite.

Ce préambule permet de comprendre les égarements des gauches francaises, aujourd´hui parmi les plus bêtes d´Europe (bien qu´elles aient au moins le mérite d´exister). Ne pas vouloir comprendre que l´islamisme, fondamentaliste ou pas, est une idéologie réactionnaire qui incite au développement et au maintien d´une structure classiste des plus rétrogrades, qu´elle se nourrit de l´ignorance de ses croyants et de l´oppression de ses adeptes (femmes, enfants, pauvres, déclassés), tient de l´aveuglement le plus primaire. Pour la France (et sans doute pour l´Allemagne aussi), l´islamisme est plus dangereux que l´extrême droite de Marine Le Pen parce qu´il est suivi par les descendants d´immigrés les plus dévaforisés, qui se sont reproduits sur le sol francais sans que la République ait voulu ou ait pu les intégrer. Vénéré par un mélange d´ouvriers, lumpens, classes moyennes défavorisées, petits et moyens commercants (et quelques privilégiés), l´islamisme est l´idéologie qui à l’heure actuelle traduit le mieux les intérêts de ces secteurs déclassés et/ou appauvris et opprimés. En posant le débat autour du respect des “normes culturelles”, la gauche (ou pseudo gauche, en réalité) est complètement hors du sujet et entame un débat d´arrière-garde qui la voue à l´échec et condamne la laïcité par la même occasion. Bon Dieu, où es-tu Jaurès !!! La gauche du xixe et du xxe siècles n´avait pas peur d´être traitée d´anti-catholique et revendiquait son droit à “croquer du curé” pour défendre la laïcité à tous les niveaux ; celle du xxie tremble de peur d´être, ou ne serait-ce que soupconnée d’être, anti-islamiste. La gauche semble craindre le faux amalgane : anti-islamiste = anti-arabe, donc raciste. Ce qu´elle devrait plutôt faire (mais qu’elle ne fera pas), c´est démontrer que l´Islam est classiste, oppresseur, répressif et fascisant. Il n’y a quasiment aucune différence entre le discours islamiste et le discours de l´Inquisition espagnole des xve et xvie siècles. Entre le discours des imams et celui des dominicains de Savonarole, il n´existe qu´une différence de langage.

Que l´Islam se présente actuellement, et dans le plus grand nombre de cas, comme la religion des laissés pour compte, n´exclut pas qu´il soit en lui-même une idéologie réactionnaire. Lorsqu´elles ne jouissent pas d´une préparation politique et idéologique en accord avec leurs intérêts économiques, les classes populaires peuvent assumer sans grands états d´âme des positions fascisantes après avoir adopté des idées socialistes (et vice versa, heureusement). Il suffit, pour s´en apercevoir, d´analyser l´évolution politique des sociétés allemande et italienne au moment des années 20-30 du siècle dernier. L´excellent ouvrage d´Antonio Scurati (M. L´enfant du siècle), retraçant la prise du pouvoir par Mussolini durant les années 1919-1924, met en évidence la manière dont l´immobilisme et la cécité des dirigeants socialistes qui contrôlaient la politique italienne à la fin de la Première Guerre mondiale, a permis à un “groupuscule” de pas plus de 2 000 déclassés conduits par un ancien dirigeant socialiste de devenir le premier parti d´Italie et, à coups de boutoir permanents, de prendre le pouvoir en moins de cinq années. Il est stupide de croire que les classes défavorisées sont spontanément de gauche ; elles peuvent très bien adopter des idéologies réactionnaires (comme l´Islam) si celles-ci répondent à leurs attentes du moment.

En ce qui concerne la laïcité, le devoir de la gauche est d´éduquer, convaincre, lutter, se battre, se battre et se battre encore sans jamais faire de concessions sur ce terrain, même au prix d´un ostracisme électoral momentané. En ce moment, la laïcité est peut être un des terrains privilégiés où se joue la lutte des classes et si, pour la défendre, la gauche doit s´allier avec la droite, eh bien, qu´elle le fasse !!! Ce ne sera pas la première fois (la Résistance l´a déjà prouvé). Dans ce sens, il est indispensable que l´Éducation nationale francaise refuse toute concession au symbolisme islamique, et religieux en général, qu’elle soutienne à fond la laïcité de l´enseignement et, surtout, l´intégrité des hommes chargés de la transmettre. L´histoire en témoigne, l´obscurantisme commence toujours par tuer les porteurs de lumières : les intellectuels et les professeurs.

La France, si orgueilleuse de sa trilogie “Liberté-Égalité-Fraternité”, s´est vouée corps et âme au mot “Liberté”, oubliant par là-même que sans la “Fraternité”, “Liberté” et “Égalité” ne sont que des mots creux où peuvent se nicher toutes les injustices du monde. Je crains fort que si la France et sa gauche ne défendent pas une laïcité conquise au prix du sang des siècles, elles entament, avec d´autres pays occidentaux, une longue et douloureuse période de ténèbres.

Avril 2021