ALBERTO J. PLA : UNE VIE POUR LE SOCIALISME (1926-2008)
Hugo Moreno - Maître de conférences à l'Université de Paris 8, membre su Conseil Editorial de Sin Permise.
Traduction : Michel Picquart.


Le 10 août est décédé l'historien argentin Alberto J. Pla, à Rosario, sa ville natale. Cette perte laisse un grand vide pour tous ceux qui l'ont connu, ainsi que pour sa fille Laura, scientifique de renom pour qui son père avait autant de tendresse qu'une admiration sans cesse renouvelée. Quelques années auparavant avait disparue Guillermina, sa compagne de toute sa vie, coup terrible dont il n'a jamais pu se consoler.

Alberto est né le 21 janvier 1926 au sein d'une famille aisée de Rosario. Son père, l'ingénieur Cortés Pla, socialiste, avait été l'un des précurseurs de la Réforme Universitaire de 1918. Ce grand mouvement politique et culturel, né à Cordoba, qui eut un impact sur tout le continent. Il fit son éducation dans une ambiance imprégnée par la culture, la politique, les idées et les sentiments de cette époque. Elle était marquée par les échos de la révolution mexicaine, de la révolution russe, la guerre civile espagnole, les crises du capitalisme, les guerres mondiales, l'anti-colonialisme, les luttes et les espoirs d'un monde meilleur. Ainsi que la montée du fascisme et du stalinisme, fossoyeurs de tout espoir, chacun à leur façon. « II est minuit dans le siècle » écrivait alors Victor Serge.

Brillant étudiant de mathématiques à La Plata, Alberto Pla s'orienta plus tard vers des études d'histoire. Il en fit son métier et sa passion. Diplômé d'histoire et géographie en 195-5, il commença sa carrière à la Faculté des Lettres et Sciences de l'Education et à l'Institut d'Histoire de la Culture, dirigé par le professeur José Luis Romero, puis à l'Institut d'Histoire de l'Amérique sous la responsabilité du professeur Enrique N. Barba.

Alberto prit une part active à la réflexion pour comprendre son époque. La gauche argentine dans toutes ses variantes - anarchistes, socialistes, communistes - devait faire face, en particulier, aux nouveaux problèmes posés par le mouvement de masse qui donna naissance au péronisme en 1945. Comprendre le péronisme et maintenir une perspective ouvrière et socialiste était un défi énorme. Les principales forces de la gauche, le PS et le PC étaient profondément anti-péronistes, qualifiant Peron et son mouvement de « nazi-fascistes ». Seuls quelques petits groupes, certains d'origine trotskiste, essayaient de comprendre le nouveau mouvement de masses, en faisant une distinction entre l'impérialisme des pays capitalistes avancés et le « nationalisme » des pays coloniaux ou semi-coloniaux, comme ceux de l'Amérique latine.

Alberto Pla avait milité très jeune au sein du Parti socialiste. La lecture de La Révolution Trahie de Trotsky, ainsi que ses analyses sur Cardenas (Mexique) ou Vargas (Brésil), les « conversations » avec le syndicaliste argentin Mateo Fossa (1938), quelques textes comme « Les syndicats à l'époque de l'impérialisme », eurent un impact très fort sur sa pensée. Ces textes lui offraient une autre grille de lecture, différente de celle de la gauche traditionnelle. Avec sa compagne, ils deviennent alors « trotskistes », en intégrant le Groupe Ouvrier Marxiste (GOM), l'organisation d'Hugo Bressano (Nahuel Moreno). Désillusionnés par sa politique et son fonctionnement interne, Alberto et Guillermina rompirent avec Moreno. En 1949 ils adhérent au Groupe Quatrième Internationale (GCI), la section argentine de la l'Internationale dirigée alors par Michel Raptis (Pabio). Ils consacreront leur activité militante dans ce courant dirigé par Homero Cristalli (Posadas) qui démontrait une grande sensibilité à la « révolution coloniale » et au péronisme. En raison de la dérive sectaire du « posadisme » accentuée après la rupture avec la Quatrième en 1961-1962, Alberto et Guillermina s'en éloignèrent en 1964, toutefois sans renier leurs convictions militantes. Il n'est pas question dans ces lignes de raconter cette histoire, mais d'en signaler le fait.

Le socialisme, le marxisme et le trotskisme furent toujours leur horizon intellectuel et politique, même s'ils ne s'identifiaient plus à aucune des organisations existantes... Ils faisaient la différence entre Marx et Trotski et les groupes qui se réclamaient de leurs noms et de leur représentation.
Lors du coup d'État militaire de 1966 et la main mise par l'armée sur l'Université, Alberto trouve le moyen de continuer son activité au sein du Centre d'Etudes Historiée Sociales, une sorte « d'université populaire », avec entre autres les professeurs Sergio Bagu et Rodoifo Puiggros. À partir de 1972, il devint directeur de deux collections publiées par le Centre Editeur d'Amérique Latine (CEAL) : Histoire de l'Amérique Latine du XXe siècle et Histoire du Mouvement Ouvrier, dont les nombreux travaux étaient édités en fascicules hebdomadaires et ultérieurement en plusieurs volumes.
L'histoire sociale de l'Amérique Latine constituait son principal centre d'intérêt depuis le début des années 60... Il partait du postulat que l'étude et la vie intellectuelle ne pouvaient être séparées des idées, des rêves et des luttes pour un monde meilleur. Il mettait sans cesse en avant - à contre courant de la « mode » - autant l'actualité de Marx que celle des maîtres de l'École française des Annales, fondateurs de l'histoire sociale. Pour cette raison même, lorsque après le retour de Peron en Argentine en 1973, des groupes d'étudiants nationalistes prétendirent imposer une censure sur les programmes, Alberto refusa fermement la mesure et les obligea au respect.

Suite dans Utopie Critique n°47