Denis Collin - animateur du site « la sociale »

Ainsi les puissances alliées de la nouvelle coalition sous la direction éclairée de l’Oncle Sam bombardent-elles les positions du prétendu « État islamique » installé sur les décombres de l’Irak et de la Syrie. Mais tous les grands stratèges mobilisés contre la « barbarie » annoncent que ce sera très long. Et de fait, sous les bombardements, les « djihadistes » menacent chaque jour de nouvelles villes … et continuent sans gros problème de vendre du pétrole – à prix bradé : personne ne peut résister à de telles offres. La main droite vengeresse de l’impérialisme, mettant en pratique à sa façon un précepte évangélique, ignore ce que fait sa main gauche.

« Nous » – j’entends ici les « belles âmes » occidentales – nous nous taisons. Certes nous n’aimons ni les impérialistes ni les guerres, mais contre la pire des barbaries, que faire ? Le « camp anti-impérialiste » (celui des géopoliticiens qui unissent dans un même bloc la Chine, la Russie et l’Iran, par exemple) est non moins embarrassé car les lignes des camps se fissurent. L’Iran et les USA, Bachar El Assad, Poutine, la Grande-Bretagne et la France se retrouvent face à un « ennemi commun », et, du coup, la pensée binaire ne sait plus à quel saint se vouer. Ceux qui ont financé les « djihadistes » (Arabie Saoudite, Qatar, etc.) font mine de condamner les « barbares » dont ils ont armé le bras et qui ne font que défendre avec un peu plus d’esprit de conséquence, les valeurs qui ont cours à Ryad et chez d’autres amateurs des droits humains du même acabit… Certains, comme l’Allemagne, songent à venir en aide aux Kurdes, seules forces combattantes un tant soit peu engagée contre les djihadistes. Mais immédiatement vient un horrible soupçon : si les Kurdes en profitaient pour créer un État unifié du Kurdistan. Voilà une perspective qui horrifie la Turquie, l’Irak, la Syrie et l’Iran.

Le « nouvel ordre mondial » pacifique, promis au lendemain de l’effondrement de l’URSS accouche d’un chaos inextricable. On en appelle à la « communauté internationale » mais celle-ci n’existe pas et la nommer ne suffit pas à en faire une réalité.

En vérité, l’État islamique, le nouveau califat, n’est ni barbare ni inhumain. Il n’est pas une résurgence du passé mais un produit de l’ultra-modernité. Il en utilise d’ailleurs toutes les nouvelles technologies (médias, réseaux sociaux, …) avec une habileté consommée. Il n’est pas inhumain, mais bien trop humain. Les « civilisés » qui ont inventé les fours crématoires et exterminé les populations d’Hiroshima et Nagasaki à coups de bombes atomiques, ceux qui ont tué en dix ans d’une guerre atroce un million de Vietnamiens, utilisant non seulement les bombes, les bombes incendiaires, les bombes à fragmentation mais aussi le fameux « agent orange » mis au point par la très humanitaire firme Monsanto, dont les bons soins font qu’aujourd’hui encore naissent au Vietnam des enfants atteints de malformations à peine soutenables du regard …et avec eux tous les autres, les « pacificateurs » de l’Algérie française, spécialistes de la « corvée de bois » et les aveux à la « gégène », et tant d’autres encore, en voilà des beaux spécialistes en humanité, en voilà d’impeccables spécialistes de la justice !

L’État islamique est un pur produit de l’impérialisme. Il faudrait remonter le fil de l’histoire : comprendre comment pendant et au lendemain de la Première Guerre mondiale les grandes puissances (France et Royaume-Uni en l’occurrence) ont organisé le dépeçage de l’Empire ottoman en étouffant les revendications nationales et démocratiques qui se faisaient jour dans toute la région depuis la fin du XIXe siècle. Comment la France et le Royaume-Uni ont configuré ce qu’on appelle parfois encore le Levant en s’appuyant sur les identités confessionnelles, en dressant les uns contre les autres, en découpant des États inventés faisant fi de l’histoire et divisant les peuples (pensons aux Kurdes). Revenir sur la stratégie de création d’un « foyer national juif » en Palestine (déclaration Balfour) puis la création de l’État d’Israël, conçu par les puissances impérialistes comme un fortin au milieu de tous ces « sauvages » à surveiller et à domestiquer pour cause de richesses pétrolières. Comprendre enfin comme depuis la première guerre d’Irak en 1991 conduite par Bush père (et, en autres Mitterrand et Rocard …), les impérialistes n’ont eu de cesse de vouloir « remodeler toute la région en pulvérisant les États, une stratégie du chaos consciemment organisée et qui débouche sur le désastre d’aujourd’hui.

Il n’y a aucune raison de soutenir les incendiaires quand ils prétendent jouer les pompiers. Les bombardements de la « nouvelle coalition » ne sont nullement le moyen de renversement de l’État islamique, mais bien plutôt un remède qui aggravera le mal. Qui peut croire une minute que les Usa, la France, le Royaume uni et l’Arabie Saoudite aient en vue la démocratie et les droits des hommes et des peuples de la région ? Qui peut croire que la Turquie, pilier de l’OTAN sous direction islamiste, qui favorise le passage des djihadistes amateurs et achète le pétrole de l’État et combat obstinément les droits nationaux kurdes va s’opposer aux décapiteurs de Mossoul ?

L’idée même du « califat » est une négation du droit des nations à disposer d’elles-mêmes. Donc lutter contre le califat, cela ne peut se faire qu’en combattant pour les droits des Kurdes, pour les des Palestiniens à recouvrer leur souveraineté, pour le retrait militaire des puissances impérialistes de toute la région.

Octobre 2014