A droite, comme à gauche, la tentation est grande de plaquer le « modèle allemand » - soit « les courageuses réformes » de Schröder - sur la réalité Française, et au-delà à tous les pays de l’Europe ou tout au moins ceux qui ont adopté l’euro comme monnaie commune. C’est la voie que semblent prendre le gouvernement Ayrault et le Président Hollande.
Il faut comprendre, que si le terme « gestion » de crise est utilisé, c’est que l’on pense (ou que l’on envisage) qu’elle est installée dans le temps et donc qu’elle offre l’opportunité d’une « gestion » sur le long terme qui favorise la mise en place de politiques de pression sur les revenus et sur l’emploi du « prolétariat » et de la petite bourgeoisie, tout en protégeant soigneusement ceux qui sont à l’origine de cette « crise ».
« Gérer la crise », ce n’est donc pas la combattre immédiatement par des mesures appropriées qui, par exemple, rétablissent la « justice fiscale », mettent fin à l’évasion fiscale, régulent les flux de capitaux, utilisent la politique budgétaire à la place d’une politique économique qui ne fait que défendre l’orthodoxie libérale en matière de monnaie et qui conduit vers la récession. Cela fait plus de 40 ans que ces politiques sont « recommandées » par le FMI, bien qu’elles aient provoqué des « crises » majeures dans plusieurs économies et plongé les populations dans la misère, et ce sur l’ensemble des continents. Quoiqu’il en soit, elles sont toujours mises en œuvre, et cette fois ci ’est l’Europe qui en vit les conséquences.
« Copier le modèle allemand » ?
Voyons rapidement quel était le sens de {jo_tooltip} Lire l’excellent livre de Guillaume Duval : « Made in Germany »- le modèle allemand au-delà des mythes, (Editions du Seuil, Janvier 2013). Il porte une critique acérée sur le soi disant modèle et sur les mécanismes choisis par Schröder dont nous avons pris quelques exemples, et les accusent d’être « à l’origine de la crise actuelle de l’euro ». Sur le même sujet, faire la comparaison avec le livre d’Ulrich Beck « Non à l’Europe Allemande » - vers un printemps européen, (éditions Autrement, Mai 2013), préfacé par Cohn Bendit. L’alternative pour l’’auteur et son préfacier, serait de rendre l’Europe « plus démocratique » pour « répondre aux déséquilibres entre pouvoir et légitimité » dans une Europe libérale. Pour cela l’auteur suggère la formation « d’une coalition entre « mouvements protestataires » et « Bâtisseurs ». Les « Bâtisseurs » sont les bons européens qui œuvrent contre les méchants « souverainistes ». Malgré quelques aspects critiques sur la politique de Merkel, ce livre est loin de répondre à la question. | ces « réformes » {/jo_tooltip}. Elles sont issues de la « 3ème voix », un fort courant libéral de la social démocratie, et co-définies par le trio « Bill Clinton – Tony Blair - Schröder » qui décidèrent dans les années 1980 d’accepter et de poursuivre la politique désastreuse de dérégulation lancée par le couple Reagan-Thatcher qui voulaient « en appeler à la responsabilité individuelle, plutôt que de recourir à la puissance publique ». On connait la musique, si vous êtes pauvre c’est de votre faute et que vous le méritez. La social-démocratie allemande et européenne à partir de là n’a pas ménagé ses efforts pour mettre en place cette loi qui a sonné comme l’oraison funèbre de l’Etat providence.
Schröder a donc remis très largement en cause le système de protection sociale allemand, au nom de la stabilité monétaire entre autre, par l’allongement de l’âge de départ à la retraite, la réduction des indemnisations du chômage, la baisse du coût du travail, etc. Il a réussi à emporter le consentement des grandes structures syndicales allemandes, organisations fondées sur des relations de branche très poussées qu’elles entretiennent avec le patronat allemand (à la manière des corporations de métiers) et qui fait l’une des forces du système productif allemand. Les conventions ne s’appliquent qu’aux salariés dont les patrons ont adhéré aux syndicats patronaux qui les ont signées ! Par contre, malheur à ceux qui sont exclus de ces conventions, comme ces millions de petits boulots (en 2011 : trois millions de salariés à 400 euros mensuels soit 6 euros de l’heure surtout occupés par des femmes), alors qu’en France, 98% des salariés du secteur privé sont couverts par une convention. L’Allemagne est une{jo_tooltip} Lire l’excellent livre de Guillaume Duval : « Made in Germany » - le modèle allemand au-delà des mythes, (Editions du Seuil, Janvier 2013). Il porte une critique acérée sur le soi disant modèle et sur les mécanismes choisis par Schröder dont nous avons pris quelques exemples, et les accusent d’être « à l’origine de la crise actuelle de l’euro ». Sur le même sujet, faire la comparaison avec le livre d’Ulrich Beck « Non à l’Europe Allemande » - vers un printemps européen, (éditions Autrement, Mai 2013), préfacé par Cohn Bendit. L’alternative pour l’’auteur et son préfacier, serait de rendre l’Europe « plus démocratique » pour « répondre aux déséquilibres entre pouvoir et légitimité » dans une Europe libérale. Pour cela l’auteur suggère la formation « d’une coalition entre « mouvements protestataires » et « Bâtisseurs ». Les « Bâtisseurs » sont les bons européens qui œuvrent contre les méchants « souverainistes ». Malgré quelques aspects critiques sur la politique de Merkel, ce livre est loin de répondre à la question. | puissance libérale. {/jo_tooltip}
Il est notoire, au contraire, que les Français restent attachés au primat de l’Etat providence, aux services publics, au tissu de relations qui lie les citoyens à l’Etat, à la laïcité (alors que le fait religieux est inscrit dans la constitution allemande), même s’il est mis à mal ces derniers temps. Il est notoire, par exemple, que la différence du taux des dépenses sociales entre l’Allemagne et la France par rapport au PIB est due entre autre à leur structure démographique contraire.
Copier le « modèle allemand » ce serait donc sauter dans un inconnu atemporel qui lierait artificiellement les différences assez tranchées entre la France et l’Allemagne et qui sont issues d’une histoire, d’une culture, de concepts politiques et des structures économiques spécifiques.
« La contrainte allemande » et la « bonne volonté du gouvernement Hollande »
Comme ils ne peuvent ouvertement appliquer brutalement telles quelles les recettes allemandes, les dirigeants français tentent de se présenter comme capables d’organiser la résistance à la contrainte allemande, pour finalement céder. C’est tout le jeu du « Oui, mais », par exemple, autour de la « contrainte budgétaire » limitée à 3%, mais qui a été acceptée et qui « oblige » l’Etat français à faire des « économies » d’une soixantaine de milliards !
De fait, tout comme Mitterrand lors de la réunification allemande, ou Jospin lors du traité de Nice en 2001, Hollande veut préserver le contrat européen actuel. Ce qui a pour résultat de le placer d’emblée sous l’influence allemande.
Hollande marche dans les pas de J. Delors, et de Mitterrand. Il faut se rappeler que celui-ci avait fini par accepter la réunification allemande contre la promesse de Kohl d’accepter la création de la monnaie unique. Il pensait qu’en rattachant le Franc à une monnaie commune (et donc à la puissance économique allemande) il le mettait à l’abri de toute dévaluation. Mais en fait, il a offert à l’Allemagne l’opportunité de jouer un rôle majeur en Europe. Hollande poursuit la politique de Jospin à Nice en 2001 qui a été contraint de lâcher la parité franco-allemande dans les instances européennes, en faveur d’un renforcement du poids de l’Allemagne, pour « sauver le traité ».
Il ne faut donc pas se tromper, l’appel récent de Hollande à un « gouvernement de l’euro » présenté dans la presse française comme une victoire sur Angela Merkel, ne change en rien le rapport de pouvoir entre l’Allemagne et la France même si celle-ci a tenté un temps une alliance e avec les pays du Sud de l’Europe. La chancelière a bien compris la menace d’un « front du Sud ». Elle vient de décider de financer l’apprentissage de près de 5000 jeunes espagnols pour qu’ils travaillent ensuite dans ses usines et de soutenir quelques grandes entreprises espagnoles. En procédant de cette manière, le « font du Sud » risque de se lézarder..
Autre exemple, dans le même temps l’Allemagne négocie tranquillement avec la Chine pour protéger et développer ses exportations (la fameuse « qualité allemande »), alors qu’il devait être question de peser sur la Chine pour rééquilibrer les relations entre celle-ci et l’Europe. Réaction de la Chine, elle s’amuse, elle menace d’augmenter les droits sur l’importation des vins français !
Parions que celui, ou celle (mais plutôt celui), qui remplacera Barroso, le Président actuel de la Commission Européenne, sera Allemand ou choisi par l’Allemagne. Martin Schulz, Président de l’actuel Parlement européen et qui sa déposé sa candidature, s’est exprimé ainsi devant Sylvie Kauffmann (Le Monde du 28 mai 2013) : « Si le PSE soutien un Allemand et le PPE (groupe centre droit européen) un Polonais, alors ce débat portera sur la direction de l’Europe, sur l’Europe que nous voulons, plutôt que sur la question, pour ou contre l’Europe ». S. Kauffmann : « Une Europe dominée par l’Allemagne et dirigée par un Allemand ? », réponse de M. Schulz : « Non, je représente une autre opinion allemande en Europe » !
Des propos de candidat, certes, mais qui ne peuvent cacher le fait que le choix se réduira à cela «de l’Allemagne ou pour l’Allemagne ».
Parions encore que les prochaines élections européennes risquent d’être marquées par un record d’abstention encore plus important que celui des dernières élections qui avait atteint les 57% !
Cependant, des solutions alternatives à « la crise » de l’euro existent.
A ce sujet, la récente déclaration d’Oscar Lafontaine est « historique » (cf à la fin de l’édito) comme le dit Jacques Sapir. Il reprend la proposition d’un système : celui d’une possible fluctuation des devises entre un plancher et un plafond définis en commun, à l’image du serpent monétaire (dans les années 1970) et du système monétaire européen qui l’a suivi. Ce système pourrait rétablir un équilibre entre les économies fragiles des pays du Sud et de la France, et les économies florissantes du Nord de l’Europe, dont l’Allemagne. Et aussi de permettre à chaque économie européenne de souffler, de bloquer la récession en choisissant par exemple des politiques budgétaires pour relancer l’économie ; aux peuples européens de retrouver une certaine confiance en leur capacité à changer le rapport de force. Ce qui est totalement contraire à ce que veut l’Allemagne : « gérer » l’Europe pour maintenir un euro fort, dont elle profite, seule.
Comme Jacques Sapir ou le M’PEP (Mouvement politique d’émancipation populaire), nous avions avancé ce début de solution en tant que méthode transitoire faisant reculer le délitement libéral des politiques actuelles. Mais comme l’a écrit Bernard Cassen (Mémoires des luttes : La gauche de la gauche, 31 mai 2013) : « En Europe, les forces politiques et sociales qui se veulent à la gauche de la social-démocratie – disons par commodité la gauche de gauche – se croient « radicales » ()Pourtant, elle font depuis longtemps preuve d’un étonnant conformisme sur trois des questions essentielles que pose aujourd’hui la crise européenne : le responsabilité de l’euro dans la récession actuelle, la pertinence de politiques nationales de rupture avec le néolibéralisme et l’urgence de mesures de protectionnisme écologique et social ».
C’est le cas du Front de Gauche qui poursuit son « rêve d’une Europe sociale » tout en maintenant qu’il faut « sauver l’euro » pour combattre la politique de Merkel et celle du parti socialiste français, dont il se proclame en permanence le challenger. Comment peut-il penser que « la » solution au chômage qui ne cesse de jeter des milliers de salariés dans la misère ou la précarité, se trouve dans une politique de défense de l’euro?, une solution aux grèves symboliques comme celles d’Arcelor Mittal ou de PSA (Peugeot Citroën) qui s’achèvent par une nouvelle défaite pour le mouvement ouvrier ? Pense-t-il recueillir les bénéfices de cette monumentale erreur politique aux élections municipales de 2014 ?
Maintenir l’Euro, c’est ignorer que la « monnaie commune » est la base des « ajustements nécessaires » recommandés par Bruxelles à la France et à d’autres et ne visent « qu’à aligner les salaires sur ceux du Bangladesh», comme le dit de manière provocatrice Paul Jorion, ce qui a une part de vérité (Le Monde du 13 mai 2013).
Nul ne sait quelles vont être les retombées de la déclaration d’Oscar Lafontaine sur la politique allemande et le courant alternatif européen bien faible, bien morcelé, malgré les grandes manifestations qui ont déferlée en Espagne, en Grèce, en Italie, au Portugal mais qui n’ont pas encore trouvé leurs structures politiques, mais le débat ne pourra se développer que parmi les forces qui veulent franchir le premier pas vers une « sortir de la crise » avec le soutien des peuples.
Nous devons en finir avec cette politique qui conduit les citoyens européens vers la descente aux enfers. Les Espagnols, les Portugais, les Italiens, voire les Français pourraient rejoindre le douloureux chemin des Grecs ce qui pourrait les amener à préférer, outre l’abstention aux élections, des solutions radicales et dangereuses en votant par exemple pour les droites extrêmes.
8 Juin 2013