« La politique européenne d’Angela Merkel est soumise à une pression croissante. Le président de la Commission Européenne Manuel Barroso mais également le premier ministre italien Enrico Letta ont critiqué sa politique d’austérité qui domine en Europe et qui conduit au désastre. Les dirigeants européens savent que les choses ne peuvent continuer ainsi. La situation économique se dégrade de mois en mois, et le chômage a atteint un niveau qui sape de plus en plus les structures démocratiques.
Les Allemands n’ont pas encore pris conscience que les Européens du sud, y compris la France, seront du fait de la paupérisation économique, forcés de riposter, tôt ou tard, à l’hégémonie allemande. Ils sont plus particulièrement soumis à la pression du dumping salarial pratiqué par l’Allemagne en violation des traités européens depuis le début de l’union monétaire. Merkel se réveillera de son sommeil du juste quand les pays qui souffrent du dumping salarial allemand se mettront d’accord pour imposer un changement de politique de gestion de la crise aux dépens des exportations allemandes.
Une monnaie unique aurait pu être soutenable si les participants s’étaient mis d’accord sur une politique salariale coordonnée orientée vers la productivité. Pendant les années 1990, comme je pensais qu’une telle coordination était possible, j’étais d’accord avec la création de l’euro. Mais les gouvernements ont contourné les institutions créées en vue de cette coordination, plus particulièrement le dialogue macro-économique. Les espoirs selon lesquels la création de l’euro imposerait une attitude économique rationnelle de toutes les parties se sont avérés vains. Aujourd’hui le système est hors de contrôle. Comme Hans-Werner Sinn l’a récemment écrit dans le Handelsblatt, des pays comme la Grèce, le Portugal ou l’Espagne doivent baisser leurs coûts d’environ 20 à 30% par rapport à la moyenne de l’Union Européenne pour atteindre un niveau approximativement équilibré de compétitivité, et l’Allemagne devrait les augmenter d’environ 20%.
Abandonner la monnaie unique
Toutefois, les dernières années ont montré qu’une telle politique n’a aucune chance d’être mise en œuvre. Une hausse des salaires, qui est nécessaire dans le cas de l’Allemagne, n’est pas possible avec les organisations patronales et le bloc des partis néolibéraux, formé par la CDU/CSU, le SPD, les libéraux et les Verts, qui ne font que les suivre. Une baisse des salaires, qui signifie des pertes de revenus de l’ordre de 20 à 30% en Europe du sud, et même en France, conduira au désastre, comme nous le voyons déjà avec l’Espagne, la Grèce et le Portugal.
Si des réajustements réels à la hausse ou à la baisse ne sont pas possibles de cette façon, il devient nécessaire d’abandonner la monnaie unique et de revenir à un système qui rende possible les dévaluations et les réévaluations, comme c’était le cas avec le prédécesseur de la monnaie unique, le Système Monétaire Européen (SME). Il s’agit fondamentalement de rendre de nouveau possibles des dévaluations et des réévaluations à travers un système de change contrôlé par l’Union Européenne. Dans ce but, de stricts contrôles des capitaux seraient l’inévitable première mesure, afin de contrôler les mouvements de capitaux. Après tout, l’Europe a déjà mis en place cette première mesure à Chypre.
Durant une période de transition, il sera nécessaire d’aider les pays dont la monnaie subira de façon certaine une dévaluation pour soutenir son cours, y compris au moyen d’une intervention de la Banque Centrale Européenne, afin d’éviter un effondrement. Une condition préalable au fonctionnement d’un Système Monétaire Européen serait la réforme du secteur financier et sa stricte régulation, en s’inspirant des caisses d’épargne publiques. Les spéculateurs doivent disparaître.
La transition vers un système permettant des dévaluations et des réévaluations contrôlées serait graduelle. On aurait déjà pu commencer avec la Grèce et Chypre. L’expérience du « serpent monétaire européen » et du SME aurait dû être prise en compte. »