Voltaire a écrit au Roi de Prusse en 1742 au sujet de sa pièce en 5 actes « le fanatisme ou la tragédie de Mahomet » qu’il a du retirer après la troisième représentation, car censurée : « Votre majesté sait quel esprit m’animait en composant cet ouvrage : l’amour du genre humain et l’horreur du fanatisme »
La France vient de connaître un grand moment de communion laïque et d’auto célébration du « Tous ensemble ». 4 millions de manifestants dont 2 millions à Paris ont défilé coude à coude dans des rues où l’on ne pouvait avancer tellement elles étaient pleines de citoyens toutes générations confondues, dont certains n’avaient même jamais entendu parler ou lu « Charlie Hebdo ». Partout, en hommage aux dessinateurs et aux autres victimes, des pancartes : « Je suis Charlie », « Je suis juif », « Je suis musulman » et même un très nouveau « Je suis flic », mais aussi « Charliberté », et La Marseille a retenti tout au long des parcours.
L’attaque contre ce journal de caricature et de satire (de qualité inégale) - qui depuis près de 50 ans (d’abord avec Hara Kiri puis Charlie hebdo ensuite) vitupère contre tous les intégrismes religieux, l’obscurantisme ou les « vices » de la République et de la vie politique en France et ailleurs - a été ressentie par une grande partie des Français comme une atteinte à la liberté d’expression et aux fondements mêmes de la République française : Liberté, Egalité, Fraternité et la Laïcité.
Elle avait pour but de créer une rupture entre Français venus d’horizons divers et de contrer le bien fondé des luttes anti racistes (contre l’antisémitisme, l’islamophobie, etc.). Mais l’idéal républicain, malgré tous ses graves manquements (la question sociale, la collaboration de Vichy, les guerres coloniales, une certaine xénophobie plus ou moins forte en fonction des périodes historiques..), semble être le socle commun qui cimente encore la société française.
Un sursaut républicain ?
Sans doute. 4 millions de personnes c’est énorme, cela ne s’est pas vu depuis 1968, mais peu en comparaison des 62 autres millions de Français, dont on ne sait leur sentiment vis-à-vis de la République, comme à Marseille où seulement 50000 personnes ont défilé au regard des 900000 habitants, comparés par exemple aux 300000 manifestants de Lyon (sur près d’un demi million d’habitants).
Quoiqu’il en soit, beaucoup de citoyens se sont mobilisés immédiatement dès l’annonce du massacre bien déterminés à refuser toute récupération politique, et pour tous la manifestation du 11 janvier 2015 devait garder son caractère de mobilisation spontanée.
Aussi Ils regardèrent incrédules la présence des délégations de différents gouvernements étrangers. Celle de Netanyahu fut provocante, elle s’expliqua par le fait qu’il venait appeler « les juifs de France à rejoindre leur foyer ». Il était donc là pour prêcher le « retour » en Israël. Pour coloniser les terres du Palestinien Mahmoud Abbas lui aussi présent aux côtés de Hollande ? D’autre part, on ne savait pas que certains des pays représentés défendaient la liberté d’expression, par exemple la Hongrie d’Orban, la Turquie ou encore les pays arabes qui craignent en fait la menace, pour leur pouvoir, des guerres menées contre eux par ces « Djihadistes » à qui ils ont donné vie par leur incapacité, non pas à s’enrichir, mais à répondre aux besoins de leurs populations désespérées.
Le développement du fondamentaliste religieux et criminel se fait sur le terreau des guerres impérialistes et sur les territoires délaissés par les Etats.
Il en est de même pour la France dans son incapacité à résorber ses poches de pauvreté et d’inculture qui ne cessent de croître ravagées par, la crise du travail et les dégâts du tournant politique libéral de ces 20 à 30 dernières années.
Qu’en restera-t-il une fois l’émotion retombée ?
« Djihadistes » oui, mais Français. Ces «combattants » islamistes, issus parfois de la pègre ou même d’un milieu social favorisé, qui opèrent sur le sol français et sont nés en France, ne sont-il pas le produit d’un échec, d’une relégation scolaire, sociale ou culturelle et culturelle ? Une minorité, au sentiment religieux dévoyé, encline à la haine des femmes et fascinée par la puissance des armes et de la mort (cette même mort, retransmise sur nos écrans, qui frappe sans discontinuité, là bas… en Orient) ? Cette minorité n’est-elle pas le signe qu’il reste beaucoup à faire pour une intégration apaisée ? L’intégration ne dépend-elle pas de l’Etat et des moyens qu’il devrait y mettre ? Ne dépend-elle pas des Français eux-mêmes dont une partie se rassemble dangereusement autour du Front National et se complait dans les thèmes xénophobes du « Français de souche » réactivés par le chômage, la crise et l’absence d’un projet collectif politique autre que la soumission aux « Marchés », à Bruxelles, au néolibéralisme et au capitalisme ?
A quand des mobilisations contre les guerres en « Orient » ?
Une France qui aussi mène une politique contradictoire envers le « monde arabe » : soutien de l’intervention en Afghanistan, refus de l’intervention en Irak, guerre en Lybie contre l’ex « ami Khadafi », intervention au Sahel contre les anciens « révolutionnaires » libyens, amitiés avec le Qatar et l’Arabie saoudite qui financent une partie de ces groupes « terroristes », ou encore l’absence désastreuse de tout soutien politique au peuple syrien lors de ses premières manifestations contre Bachar El Assad, puis recours à des frappes militaires en Irak sur l’ « Etat Islamique » (ce qui indirectement peut aider Bachar El Assad dans sa guerre contre son peuple), et maintenant une possibilité d’une intervention armée au sol réclamée par les va-t-en guerre.
Avec son intégration dans le « processus européen », et sa réintégration dans l’Otan, la France ne semble plus disposer de la liberté de sa politique internationale. Ne devrait-elle pas pour autant agir pour mettre fin à ces 30 années de guerres impérialistes qui de l’Afghanistan à la Syrie ne cessent de déstabiliser cette région du monde (sans parler du conflit Israélo-palestinien) si loin mais si proche ?
D’autre part il faudra à ces 4 millions de manifestants continuer à être vigilants pour que le gouvernement ne se lance pas dans une politique sécuritaire de réduction des libertés citoyennes au nom de la « guerre au terrorisme », à l’image de ce qu’on fait les Usa avec le Patriot Act.
Dans un pays comme la France où un quart de la population est d’origine « étrangère », il reste possible de faire place sans distinctions à tous ces Français (ou qui le deviendront) venus d’horizons différents, sinon, ce sera la guerre de tous contre tous, et alors une refondation critique des institutions de la République (la 6ème) et le projet d’une République socialiste autogérée n’auront plus de sens et laisseront place au fascisme.
11 janvier 2015